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›› Société

Le crédit social. De l’utopie vertueuse à « Big Brother »

De l’indifférence à la crainte politique.

A Roncheng même, un épicer considère les « tableaux d’honneur » du crédit social placardés en face de sa boutique avec un détachement et une vague commisération « c’est pour les retraités qui n’ont pas grand-chose à faire de leur journée ». Un chauffeur de taxi est plus critique « c’est l’habituelle propagande du Parti. Rien à voir avec notre vie quotidienne ». A 5 minutes de voiture du centre-ville rares sont ceux qui ont entendu parler du système ou connaissent leur score, en dépit de longues campagnes publiques pour en faire la promotion.

Ailleurs, la chape de surveillance par le truchement anonyme des hautes technologies n’est pas perçue avec le même esprit d’émulation civique.

Malgré la censure, les associations de droits, les défenseurs des libertés religieuses, les avocats de la société civile, renvoient en miroir à l’intérieur du pays l’avalanche de critiques venant de la communauté démocratique internationale, tandis qu’une partie de la classe moyenne éduquée, d’abord indifférente, commence à réagir avec circonspection, comme ce commerçant de Rongcheng : « le crédit social n’est que de la paperasse. Ma renommée et mon « crédit » ne dépendent que de moi. »

Mais dans la fonction publique, ou dans les groupes d’État c’est une toute autre attitude qui domine. Et d’abord la crainte de se distinguer en mal aux yeux de la hiérarchie qui les gère ; tandis que les notations du « crédit » ouvrent ou ferment les portes des emplois publics. Plus l’emploi est important, plus l’exigence est élevée : un postulant pour un emploi CDI dans une administration doit au moins être noté « A ». Pour les prétendants à un CDD le minimum est « B ».

Fatalité des dérives politiques.

Au fil des critiques surgissent les considérations politiques et la suspicion des autorités qui ostracisent les contrevenants. Ceux qui enfreignent les lois environnementales ou de la sécurité alimentaire ; ceux qui fraudent le fisc, ou ne respectent pas les restrictions immobilières ; ou encore les fraudeurs en bourse ou ceux qui n’honorent pas leurs dettes bancaires.

Il reste que dans un système où la justice n’est pas indépendante la frontière entre le contrôle des fraudeurs et la mise au pas politique est poreuse. Dans son Blog « China Law Translate », Jeremy Daum chercheur à Yale estime que « les récompenses ne sont qu’une façade. Les vrais outils de contrôle social sont les sanctions et les listes noires. ».

Au sommet des « palmarès » d’indésirables se trouve celui de la Cour Suprême qui établit le répertoire des fraudeurs du droit. Un simple clic donne accès à leurs démêlés avec la justice et les écarte des vols en avion, des voyages en TGV, des hôtels de luxe, ou des écoles les plus renommées pour leurs enfants. En 2018, selon la « Commission de réforme et développement plus de 17 millions de voyages en train et 5 millions de billets d’avion ont été refusés.

Subrepticement, lentement, parfois brutalement, les griffes du pouvoir lacèrent la belle utopie sociale d’harmonie par la vertu des comportements. Les luttes de clans, l’élimination politique des adversaires, la mise sous le boisseau des critiques, l’ostracisme des déviants deviennent la norme dans l’éternelle alchimie des pouvoirs autocratiques où les bonnes intentions affichées sont peu à peu subjuguées par l’obsession du parti unique de perdre son magistère.

A côté des critères ciblant les mauvais comportements, apparaissent ceux du contrôle politique censurant la parole, les rassemblements, les pratiques religieuses avec, par-dessus tout l’accusation de « menacer la sécurité nationale » dont l’éventail est si large et si vague qu’il autorise les interprétations les plus restrictives.

De fil en aiguille le contrôle politique s’empare du « crédit social » dont il fait l’instrument de son pouvoir. Un exemple flagrant, serpent de mer des relations entre les autorités locales gênées par l’effet désastreux des protestations ouvertes, date de juillet 2018 quand le prétexte civique a été utilisé par le Parti pour mettre à jour la régulation sur les pétitions publiques.

Utilisées en désespoir de cause par les plus brimés pour porter leurs doléances aux échelons supérieurs de l’administration, elles avaient, dans un passé récent donné lieu à de très nombreuses exactions des cadres locaux voulant à toutes force effacer les manifestations dont l’ampleur risquait de les mettre directement en cause. QC avait documenté ces abus en 2010 : Les contradictions du droit à pétition.

Deux ans plus tard, le blocage des pétitionnaires que les gouvernements locaux veulent empêcher de « monter » à Pékin, avait même provoqué un drame à Rongcheng. Un citoyen frustré de ne pouvoir exprimer ses doléances avait fait exploser un engin de fortune devant le siège du gouvernement local. La déflagration l’avait lui-même tué et blessé six passants.

Depuis juillet dernier le non-respect des règles de pétitions entraîne la perte de points de crédit social. Le SCMP cite l’exemple d’un dénommé Gao dont le crédit social s’est effondré à « D » pour avoir posté 95 fois 1000 messages internet signalant les démêlés de sa mère avec l’administration des hôpitaux publics. Pire encore. Pétitionner à Pékin, utiliser internet et faire appel aux médias étrangers pour « créer des troubles » entraîne un déclassement civique immédiat au niveau « D ».

La boucle s’est fermée. Le crédit social normalise et bloque toute respiration sociale. Ce n’est pas la première fois que la Chine tente de mettre en œuvre un système national de classement social. En 2010, dans le district de Suining, un expérience similaire avait échoué, confronté à une vaste protestation publique. Lire : La pensée politique normative.


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