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Le public chinois n’a pas vraiment aimé le dernier Mulan de Walt Disney

La sino-américaine Liu Yifei 刘亦菲, de sa vraie identité Liu Ximeizi (刘茜美子, 33 ans, née à Wuhan, chanteuse, actrice populaire de séries TV en Chine a été choisie au milieu d’un millier de candidates pour interpréter Mulan. En plein tournage en août 2019, elle avait provoqué une controverse en relayant sur Weibo une image du Quotidien du Peuple, avec le message « Je soutiens la police de Hong Kong. Frappez-moi si vous voulez. Quelle honte pour Hong Kong !! ». En riposte, les réseaux sociaux ont appelé au boycott du film. Depuis, la censure a retiré le message de Liu Yifei et noyé la discussion dans des milliers réponses automatiques de soutien.


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« Si Mulan n’a pas de succès en Chine. Nous aurons un problème ». C’est l’inquiétude que Alan F. Horn, coprésident des studios Walt Disney exprimait il y a à peine un an à un journaliste du Hollywood Reporter. Il ne croyait pas si bien dire. Réalisé par la néo-zélandaise Nini Caro (« La légende des baleines » – 2002 -) le film, sorti en Chine à la mi-septembre fut un demi-échec.

L’histoire, archi-connue, réplique avec des personnages réels du dessin animé de Walt Disney de 1998, raconte la vie de l’héroïne d’un poème du Ve siècle que les collégiens chinois apprennent pas cœur. Une jeune fille nommée Hua Mulan 花木兰 issue de la steppe, se déguise en homme pour prendre la place de son vieux père dans les armées de la dynastie guerrière des Wei du Nord.

Comme un homme, elle y combat durant de longues années les nomades Ruanran 柔然 venus de l’actuelle Mongolie avant que son déguisement soit mis à jour. Aujourd’hui, dans l’imaginaire culturel chinois devenu très nationaliste, elle est à la fois la très moderne figure emblématique de l’héroïne féministe exprimant en même temps la piété filiale et, depuis que la propagande du parti l’a récupérée, la loyauté politique au pouvoir central.

Alors que la Chine occupe la deuxième place du marché de l’industrie cinématographique mondiale et que, sous peu, elle sera à la première place - (depuis 2005, le nombre de billets de cinéma vendus chaque année est passé de 275 millions à 10 milliards en 2019) -, les auteurs et les producteurs ne peuvent se dispenser d’imaginer leurs films à l’aune des goûts du public chinois et, il faut le répéter, en fonction de la censure politique du régime.

La censure, fardeau des cinéastes chinois.

La Chine devait dépasser le box-office américain en 2020 avant l’épidémie de coronavirus. Elle sera sous peu le premier marché mondial. Dès lors que 70% des revenus des films à gros budget produits à Hollywood proviennent de l’étranger, en grande partie de la Chine (10 milliards d’entrées vendues en 2019), la variable de la censure chinoise devient un élément clé de l’équation du succès. Exemples : en Chine le film Bohemian Rhapsody a été élagué d’une scène sur la sexualité de Freddie Mercury. Kundun de Martin Scorsese a été interdit en raison des sympathies affichées pour le Dalaï Lama. Pour Mulan, les studios de Walt Disney ont travaillé étroitement avec les censeurs.


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Tenant à distance les sujets tabous que sont le Tibet, Taïwan, Tiananmen, le Xinjiang et enfermant la liberté d’expression dans une norme rigide, la propagande de l’appareil qui, depuis mars 2018, contrôle les œuvres cinématographiques, qu’elles soient chinoises ou importées – un autre symptôme de la centralisation orchestrée par Xi Jinping – normalise le cinéma en fonction de codes où les préoccupations politiques ont pris le pas sur la licence artistique.

Les très pesantes exigences des censeurs vont d’infimes détails – comme l’injonction de retirer le linge aux fenêtres d’une vue de Shanghai pour ne pas heurter l’image irréprochable d’une Chine moderne idéalisée (The Economist du 27 août) - à tous les impératifs qui, au-delà des hantises politiques du régime citées plus haut ayant trait au contrôle de la société et à la mise aux normes des provinces allogènes, touchent au « roman national chinois » que le Parti, par qui tout commence et tout finit, entend imprimer à la pensée publique, dont il tente d’extirper tout esprit critique.

Ce qui ne signifie pas que les cinéastes chinois ne pourraient pas exprimer leurs talents qui sont réels. Le site de Brigite Duzan Chinesemovies est une mine inépuisable d’exemples de la qualité des acteurs et de la formidable puissance de création artistique du cinéma chinois.

La virtuosité, l’intelligence, le sens dramatique et la subtilité, s’expriment en dépit des affres de la censure qui, elle-même ne sait plus toujours très bien où donner de la tête. A l’occasion, QC a commenté des réalisations de grande qualité. Lire : « So Long My Son » de Wang Xiaoshuai.

En général, le parti admet ou même encourage les critiques, quand elles accompagnent les introspections réformistes contre, par exemple, les cruels errements de la politique de l’enfant unique par Wang Xiaoshuai ou quand elles ciblent les dérives de la violence et de la corruption. Lire : Le « style Tarentino » de Jia Zhangke (2013).

Pour autant, depuis le film de Jia Zhangke, il y a sept ans, force est de reconnaître que le regard politique officiel sur la création cinématographique a changé. Pour tout dire, il n’est plus très certain que « Touch of sin - Tian Zhu Ding, 天注定 - Destinée - » qui relatait pourtant, au moins en partie, des faits réels, passerait aujourd’hui avec succès le crible de la censure.

Les récents commentaires de Brigitte Duzan sur le film « Les 800 - 八伯 » constitue une saisissante plongée dans l’univers tourmenté des nouvelles arrière-pensées des censeurs.

Au passage, il jette aussi une lumière crue sur l’inquiétude qui s’est emparée de l’appareil, aux prises avec l’obsession d’élaguer sa propre histoire. En très fort contraste avec l’image d’une sérénité monolithique que la machine tente de propager, l’analyse du film de Guan Hu 管虎 met à jour une crispation interne de repliement sur les fondamentaux sans nuance de l’histoire officielle.

Pour tout dire, l’environnement artistique et commercial est plus que jamais piégé. A la norme rêvée d’une Chine moderne débarrassée de toute défaillance historique et de toute faiblesse politique que le parti entend propager à toute force, se mêle aujourd’hui, le nationalisme du public devenu pointilleux.

Et quand elle se projette hors de Chine, la production chinoise prend le risque de télescoper les affres de la rivalité stratégique avec les États-Unis.


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