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›› Politique intérieure

Les embarras du mensonge et la recherche d’une rédemption

En Chine, le mensonge encore.

En Chine, le pouvoir vertical rigide du Parti diffuse du haut vers le bas des strates de la bureaucratie systématiquement courtisane, l’effet pervers du camouflage réflexe de toutes les informations pouvant porter ombrage à l’épopée idéalisée du « rêve chinois ».

Ainsi, après l’occultation initiale de l’information sur le surgissement d’une nouvelle souche de « corona-virus » en décembre, voilà qu’à peine trois mois après ce premier mensonge, la machine politique est confrontée à l’insistante et très délétère rumeur que le nombre réel de décès à Wuhan a été caché.

Il est impossible de surestimer l’effet pernicieux d’une telle tromperie sur la conscience d’un peuple dont la culture est toujours viscéralement attachée au culte des morts et des ancêtres. Alors que le chiffre officiel des décès à Wuhan est de 2535, un témoin souligne le détail macabre que les « incinérateurs » ont fonctionné 24 heures sur 24.

L’ambassadeur de France en Chine a beau démentir la rumeur, elle s’incruste et court à la vitesse d’une traînée de poudre.

Le 27 mars, c’est le magazine Caixin, repère des journalistes d’investigation chinois traquant le mensonge et appartenant au groupe Caixin Média fondé en 2009 par Hu Shuli (lire : Affaibli à l’intérieur, le parti redore son blason dans le monde.) qui, le premier, relayait la rumeur en Chine.

Alors que le relâchement du confinement avait autorisé les familles endeuillées à venir récupérer les cendres de leurs parents disparus aux 8 funérariums de Wuhan, les enquêteurs du journal remarquèrent qu’à chacun d’entre eux stationnaient de nombreux camions chargés de milliers d’urnes.

Dès lors il apparut que le chiffre officiel des victimes de l’épidémie pouvait être considérablement sous-évalués. Sur les réseaux, contournant la censure avant d’être effacés, certains messages firent état d’au moins 20 000 morts.

Contrecoup international.

La rumeur tourne à l’extérieur de la Chine et prend corps. Au Royaume Uni, en pleine controverse avec Pékin à propos de Huawei, le Daily Mail raconte que l’entourage de Boris Johnson fustige le régime pour la désinformation à laquelle il se laisse systématiquement aller. L’ambiance, est aux représailles dit le journal. Elle conduira - peut-être - à durcir le boycott de Huawei.

Iain Duncan Smith, ancien ministre du travail et ancien leader du parti conservateur qui fut le Directeur de campagne de Boris Johnson, réclame quant à lui, une sérieuse révision de la politique chinoise de Londres « Pendant trop longtemps, nous nous sommes inclinés devant la Chine dans l’espoir souvent déçu d’y développer nos affaires. Une fois sortis de cette terrible pandémie, il sera impératif de repenser la relation sur des bases plus équilibrées et plus honnêtes. »

Le 1er avril, un article de Bloomberg citant un anonyme de la CIA révélait que les renseignements américains avaient adressé un rapport secret à la Maison Blanche sur le camouflage par le parti communiste chinois du nombre réel de victimes.

En fond de tableau, c’est le thème du mensonge qui dominait les commentaires officiels de la Maison Blanche.

Le Vice-Président Mike Pence habitué des charges répétées contre la Chine, revenait sur le camouflage initial de Pékin, déclenchant les critiques des parlementaires républicains. Le plus virulent était le sénateur Ben Sasse du Nebraska « le Parti communiste chinois a menti, il ment encore et continuera à mentir pour protéger son régime ».

Dans le même temps, Deborah Birx, immunologiste du Département d’État, conseil de la Maison Blanche sur sa réponse à l’épidémie, déclarait le 30 mars, que les rapports publics chinois avaient influencé les hypothèses ailleurs dans le monde, spéculant sur une moindre dangerosité du virus.

Le mal est fait en Chine et hors de Chine. Il serait étonnant qu’il ne laisse pas de traces, dans un appareil d’autant plus sous tension que la crainte du virus rode toujours.

Récemment craignant un redémarrage de l’épidémie, le parti a fait fermer de nombreux sites dont, pressé de faire redémarrer l’économie, il avait autorisé la réouverture. La plupart sont des sites touristiques, des parcs de loisirs, des théâtres, des cinémas et des piscines couvertes, non seulement dans le Hebei, mais également à Shanghai, dans le Henan, dans l’Anhui, le Jiangsu et même à Chengdu.

Une blessure.

Le 31 mars, Caixin donnait la parole à Fang Fang, romancière devenue blogueuse à succès, qui confinée à Wuhan, a tenu un journal sur l’épidémie. Entre deux rappels à l’ordre du parti qui la sermonnait pour ses descriptions réalistes mais politiquement incorrectes, elle parlait des affres des hôpitaux surchargés, des malades entassés dans les couloirs et des cadavres dans des sacs chargés sur des charrettes.

« Ma fureur fut de voir le retard (de la réaction du parti) de près de 20 jours dans les premiers stades de l’épidémie à l’origine d’une situation aussi grave et aussi chaotique : une catastrophe provoquée par l’homme. » (…)

« Bien sûr, la chose la plus touchante fut l’intrépidité du personnel médical, ainsi que l’endurance des habitants de Wuhan et, en même temps, leur profonde affection pour les gens ordinaires comme le Dr Li Wenliang, décédé le 7 février. »

Et ce bilan incisif et précis allant très loin au-delà des chiffres. « Le traumatisme subi par les gens à Wuhan est énorme. N’en doutez pas. Beaucoup qui cherchaient un soulagement et un traitement médical, ont ressenti le désarroi de demander de l’aide et de n’en recevoir aucune. Ceux qui sont morts sont partis, mais leurs proches sont toujours là, et tous ont vécu des moments de grand désespoir. » (…)

Enfin, une conclusion, mise en garde à peine voilée : « Le fait que les 9 millions de citoyens de Wuhan aient été piégés pendant plus de 60 jours a produit une blessure interne. Il y eut de la dépression, de l’anxiété et de l’agitation. Une fois le confinement levé, on pourrait voir surgir des sentiments plus compliqués. »

*

L’alerte n’a pas échappé à la direction politique. Début avril, Xi Jinping, au lieu de se rendre au Japon comme prévu, est allé vérifier l’allégeance de ses appuis aux sources de son pouvoir, au Zhejiang. La visite faisait suite à un remaniement politique resserrant à des postes cruciaux ses alliés de Hangzhou et du Shaanxi.

La manœuvre complète un maillage territorial commencé en 2012. Désormais, le réseau de la garde rapprochée est en place à Chongqing avec Chen Min’er, à Pékin, avec Cai Qi, à Shanghai, avec Gong Zheng et Li Qiang, au Hubei avec Ying Yong et à Canton avec Li Xi.

Les défis ne sont pas minces : passer le cap politique de la crise épidémique, alors que l’image de Xi Jinping est écornée et relancer l’économie alors que la pandémie paralyse les marchés traditionnels de la Chine aux États-Unis et en Europe (40% des exports) et une partie de ceux de l’Asie (49%) où l’épidémie n’a pas dit son dernier mot.

A moyen terme, Xi entend s’assurer qu’en 2022, lors du 20e Congrès, l’appareil lui accorde de rester à la tête de la Chine pour un 3e mandat, jusqu’en 2027. Compte tenu, de l’accident de parcours de la pandémie ayant brouillé la perfection politique idéale du « rêve chinois », les augures sont moins favorables qu’en 2017, lors du 19e Congrès.

Alors que la contestation parfois violente de la gouvernance brutale et rigide du n°1 monte dans l’opinion et chez quelques hautes figures intellectuelles, les appuis politiques de Xi Jinping en dehors de ses bases territoriales du Shaanxi et du Zhejiang, y compris chez ses anciens directs de la 2e génération des héritiers révolutionnaires, ne sont pas assurées. Sans compter que le népotisme territorial du n°1 laisse sur le carreau une très longue suite de mécontents.


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