›› Lectures et opinions

En octobre 1980, l’ambassadeur Claude Martin à l’époque ministre conseiller à l’ambassade de France à Pékin est en compagnie de Wang Guang Mei, ancienne présidente de l’Université Qinghua. Veuve de Liu Shaoqi assassiné par Mao, elle fut elle-même humiliée par la folie estudiantine durant la révolution culturelle, déclenchée par Mao en 1966 pour recouvrer le pouvoir dont il avait été écarté après la catastrophe du « Grand bond en avant ».
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René Viénet qui fut l’un des rares chercheurs deux fois exclu (par ses collègues) du CNRS pour « excès de lucidité » sur les réalités meurtrières du maoïsme (voir en annexe René Viénet par lui-même), a bien voulu rédiger pour Question Chine dans son style truculent, iconoclaste et non moins lucide, une vaste mise en perspective des mémoires de son camarade d’études chinoises et ami, l’Ambassadeur Claude Martin, « La diplomatie n’est pas un dîner de gala » aux Editions de l’Aube (ISBN 9782815927628, 946 pages. 29,90€).
Jetant une lumière crue sur les difficiles relations franco-chinoises depuis le milieu du XIXe siècle, il revient sur le rôle catastrophique aujourd’hui oublié de tous, joué par un diplomate français dans l’attribution de la concession allemande du ShanDong au Japon par le traité de Versailles.
A propos de Taïwan qui fut dans les années 70, longtemps après la reconnaissance de la Chine par Paris et après le départ de Charles De Gaulle, la cible d’une aberrante politique de transfert par la France de technologies nucléaires militaires étouffée dans l’œuf par Washington dont Claude Martin ne dit mot, René Viénet explique comment, dès 1981 toujours sous les pressions américaines - qui espérait que la France ouvre le chemin d’une reprise américaine des ventes d’armes après la promesse solennelle de Jimmy Carter d’y mettre fin - François Mitterrand saisira l’occasion du drame de TianAnMen pour céder à l’appel de mirifiques contrats qui mettront la diplomatie française, tourneboulée par le ministre Roland Dumas, pendant plusieurs années en position impossible en Chine.
Loin d’être exhaustif, le texte de René Viénet qui ajoute ses propres souvenirs à ceux de Claude Martin, s’enrichit d’un aperçu personnel du Monde Chinois et du Quai entrevus à travers son expérience industrielle de représentant à Taïwan de Cogema (de 1980 à 1998) et de délégué de la banque Paribas (1980-2000). /Question Chine.
Les errements de l’aveuglement et de l’ignorance.

John Chang, fils illégitime de Chiang ChingKuo, à qui le Quai avait refusé un visa d’étudiant en France et qui devint plus tard ministre des Affaires étrangères de Taïwan. Ici pendant une campagne électorale avec en arrière plan les photos de son père et de son grand-père.
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Quiconque a travaillé en Asie pendant une trentaine d’années, y a généré quelques milliards de chiffre d’affaires pour l’industrie française, ne peut qu’avoir sédimenté une immense frustration et fureur à l’égard de la diplomatie française, souvent incompétente, fréquemment hostile, enflée au-delà du raisonnable, horriblement coûteuse pour le contribuable et ridicule dans son quotidien.
Faut-il parler de la diplomatie... ou d’un grand nombre de diplomates ? Le récent livre de Claude Martin sauve en partie la réputation de son corps de fonctionnaires, tout en accablant cruellement nombre de ses collègues et de ses ministres successifs. Cette charge est bienvenue si l’on en juge par son succès avec trois retirages dans les premières semaines de sa mise en librairie. Un succès exceptionnel.
Cela nous change du tristement célèbre ambassadeur Etienne Manac’h qui publia - sans crainte des lazzis - ses pesants et dérisoires Mémoires d’Extrême Asie, justement épinglés par Simon Leys.
Chacun se souvient de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, s’obstinant sur la Web TV d’une radio à convaincre, à propos des Ouigours du XinJiang, que les « Yoghourts sont musulmans ».
Ou encore de Claude Cheysson, le premier des ministres des Affaires étrangères de François Mitterrand, expliquant à des journalistes asiatiques médusés que la Chine et la Thaïlande ont une sensible frontière commune (la distance entre leurs frontières est comparable à celle entre la France et la Slovénie).
Plus préoccupant est de comprendre la part que la diplomatie peut revendiquer dans le déficit abyssal exponentiel (aux dépens de la France) qui caractérise les relations bilatérales économiques franco-chinoises ?
Et pour cela, on peut remonter à la reprise des relations diplomatiques en 1964, lorsque la France fut, non pas le premier, mais le trente-neuvième pays au monde (et le sixième en Europe occidentale) à reconnaître la République populaire de Chine, en renonçant aux relations diplomatiques avec la République de Chine réfugiée à Formose, l’île qui avait été de 1895 à 1945 une colonie japonaise.
Quatre ans après, les étudiants chinois de Paris manifestaient contre de Gaulle en le traitant - sur ordres des zélotes madame-maoïstes de l’ambassade - de « tête-de-chien » ; et six années plus tard Mao ZeDong, recevant à sa table le ministre André Bettencourt (qui levait son verre « au rôle de la France en Asie »), lui asséna : « Dien Bien Phu a été une victoire chinoise avec des mortiers chinois servi par des soldats chinois. Depuis ce jour, la France n’a plus aucun rôle à jouer en Asie ».
Jean-Pierre Raffarin surfe allègrement sur ce déficit exponentiel, car il est désigné sans décesser par le Quai d’Orsay comme le grand spécialiste français des affaires chinoises, mandaté chaque fois que le protocole exige un bonimenteur.
On ne se demande plus pourquoi. L’ancien premier ministre français avait commencé très fort à son premier retour de Chine, en 1976, pendant la sanglante « révo. cul. » qui allait s’achever avec la mort du Grand-Timonier, en expliquant avec componction à la télévision française que l’avenir du monde se déclinerait fatalement selon deux pensées, celle du président Mao et celle du président Giscard d’Estaing.
L’une de ces deux pensées s’est révélée plus performante que l’autre à l’export. L’extrait est l’un des plus regardés sur le site web de l’INA.
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Mais les relations bilatérales franco-chinoises ne relèvent pas seulement du tragique économique ou du comique politique, elles peuvent être quelquefois poisseuses, comme avec le ministre des Affaires étrangères de Georges Pompidou, Maurice Schumann, renvoyant en Chine à un sort peu enviable un jeune diplomate qui avait demandé l’asile politique lors d’une escale en transit à Orly.
Elles peuvent être aussi totalement incohérentes. John Chang 蔣孝嚴, fils (par la main gauche, il ne reprendra le patronyme paternel qu’après la mort de sa veuve) du futur président de Taiwan, Chiang ChingKuo, avait demandé un visa pour étudier en France. Il lui fut refusé. Cela n’empêchera pas cet étudiant de devenir un jour ministre des affaires étrangères de Taiwan.
Mais - dans le même temps - avec l’accord du Quai d’Orsay -, la France fournissait à Taipei un élément essentiel de l’arme nucléaire : un ensemble de cellules chaudes et la technologie du plutonium métal qu’on y produit.
Le Français qui - durant quelques années sur place -, de 1973 à 1975, assura avec succès ce transfert de technologies pour le compte de Saint-Gobain Nucléaire au sein de l’Institut de recherches militaires Chung Shan, termina sa mission le 29 juin 1975 par un déjeuner à Hong Kong, à l’invitation d’un vice-consul (récemment élevé à la dignité d’ambassadeur de France) qui le racontera peut-être dans ses propres mémoires.
Assez rapidement, cet atelier qui avait fait l’objet d’un article du Canard Enchainé au cours de la première semaine de septembre 1973, précisément pendant le voyage de Georges Pompidou en Chine titrant « Pompidou fait Ami-Ami avec Mao et la bombe avec Tchiang », fut démantelé et mis sous cellophane, à la demande de Washington - les États-Unis ayant, un an après le voyage de Richard Nixon à Pékin, décidé qu’il ne fallait pas que Taiwan se dote de l’arme atomique.
Son dépoussiérage (les poussières résiduelles de plutonium sont un danger considérable) vient d’être achevé, quarante années plus tard, par une entreprise française.