›› Taiwan

Quelques jours avant la fin des fêtes du nouvel an lunaire, Tsai Ing-wen a procédé à des rotations à la tête de plusieurs administrations clé de l’Île. De gauche à droite, Chen Ming-tong (陳明通), président du Comité pour les relations avec le Continent est nommé chef du NSB (National Security Bureau - 國家安全局), faisant de lui le premier civil à la tête du renseignement de l’Île. Il remplace le General Chiu Kuo-cheng (邱國正), au centre, nouveau ministre de la défense.
A droite by Chiu Tai-san (邱太三), ancien député du DPP et ancien ministre de la justice, remplace Chen Ming-tong. Ses propos sur la possibilité de reprendre le dialogue avec Pékin, en contournant l’exigence du Parti Communiste de reconnaître d’abord le « consensus de 1992 » paraît une illusion. Alors que Washington semble hésiter à rester sur les traces très pro-Taïwan de D. Trump, ce qui pourrait bien être une illusion taïwanaise renvoie aux contradictions mêmes de la plateforme de rupture du parti au pouvoir (Photo Taïwan News).
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Le 19 février dernier, la Présidente Tsai Ing-wen aurait, disent les commentaires, envoyé un signal d’apaisement à Pékin en nommant l’ancien ministre de la justice Chiu Tai-san 邱太三, 64 ans, à la tête du Comité pour les relations avec le Continent 大陆委员会.
Connu pour son attitude moins radicale que ses collègues du parti indépendantiste, Chiu pourrait, dit-on à Taipei, proposer un éventail de mesures visant à tourner le dos à l’esprit de confrontation avec Pékin, fond de tableau de l’attitude du Minjindang 民進黨 qui, depuis 2016, réagit à l’ostracisme dans lequel est tenu Taipei depuis que Tsai refuse de reconnaître le « consensus de 1992 ».
En arrière-plan, flotte l’hypothèse que la décision anticiperait une remise en cause par l’administration Biden de la politique de D. Trump franchement favorable à l’Île. L’ancien président, plus apprécié à Taïwan qu’ailleurs, avait en effet autorisé des visites d’hommes politiques d’un niveau tel que Pékin considérait qu’elles touchaient aux limites mêmes des « Trois Communiqués - 三个联合公报 » (1972, 1979, 1982).
Lire : « Quand Pékin harcèle Taïwan, Washington lui ouvre les bras. » et le dernier § de l’article Les nouvelles eaux mal balisées de la question de Taïwan intitulé « Les Trois communiqués ».
Pour autant, il faut craindre que l’espoir d’apaisement nourri par l’équipe indépendantiste au pouvoir soit une illusion.
Chiu, ancien n°2 de la Commission des Affaires continentales, ancien vice-maire indépendantiste de Kaohsiung et de Taoyuan espère dit-on, que Pékin accepterait de renoncer à la condition de la reconnaissance par Taipei du « Consensus de 1992 » pour renouer le dialogue dans le Détroit. Au passage, il soulignait l’évidence que l’inflexibilité chinoise sur ce sujet laissait « peu de marge de manœuvre à l’Île ».
En même temps, Chiu imagine que « les deux parties » pourraient trouver un terrain d’entente pour sortir de l’impasse. Sa stratégie qui se réclame de « pragmatisme », est en réalité exactement l’inverse.
Elle ignore que le Parti communiste chinois qui a placé la Chine et sa population sur une trajectoire férocement nationaliste où l’affirmation de souveraineté sur l’Île tient une place essentielle, n’acceptera jamais d’ouvrir un dialogue, sans le préalable de la reconnaissance « d’une seule Chine » contenu dans le « consensus de 1992 ».
Pire encore, la probabilité est encore plus faible en cette année du centenaire de la création du Parti communiste chinois dont l’histoire percute celle de Tchang Kai-chek, défait par Mao et réfugié dans l’Île après une série de débâcles sur le Continent.
L’inflexible nationalisme du Parti communiste.

Ayant placé le projet de réunification avec l’Île au sommet de enjeux stratégiques du « rêve chinois », l’appareil communiste, inquiet des tendances de rupture à l’œuvre à Taïwan, aujourd’hui dirigée jusqu’en 2024 par un pouvoir indépendantiste, conditionne la reprise du dialogue dans le Détroit à la « reconnaissance d’une seule Chine » contenue dans le « consensus de 1992 ».
La photo, publiée par « The conversation », montre une manifestation de soutien à Tsai Ing-wen, le 11 janvier 2020, lors de sa réélection, dont les participants portent une banderole réclamant l’indépendance de l’Île « 台灣獨立 ».
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Après 1949, la suite de l’histoire est celle, moins de 40 ans plus tard, de la bifurcation démocratique de Taïwan à l’instigation du propre fils du généralissime, poursuivie par Lee Tung-hui, récemment décédé.
Lire : Le « père de la démocratie taïwanaise » est mort dont Tsai Ing-wen élue en 2016, fut la protégée et le dernier avatar de la fracture politique dans le Détroit. Lire aussi : Chiang Ching-kuo, le fils du Generalissimo.
Dans ce contexte où, pour l’appareil chinois, la marche démocratique de l’Île porte le risque d’une inacceptable fracture, le soi-disant réalisme de Chiu, confine à l’illusion. Il dessine les limites séparatistes de l’actuel pouvoir à Taipei. Son projet de « parler d’abord des échanges culturels et des questions sociales, pour éviter d’aborder les “question sensibles“ » renverse les termes imposés par Pékin.
Pour le Parti, la « question sensible » de la reconnaissance du « consensus de 1992 », est précisément la condition préalable d’un dialogue quel qu’il soit. Quand bien même il ne porterait que sur des questions « non politiques » qu’elles soient culturelles, sociales ou économiques.
Les contradictions de l’Amérique.

Il fut une période où, tous deux Vice-Présidents, Joe Biden et Xi Jinping, se rencontraient et échangeaient, dans le cadre des réminiscences américaines de la stratégie de rapprochement avec Pékin, inaugurée par Kissinger en 1972. Plus tard, en 2015 (photo, State Department du 25 septembre 2015), Joe Biden, toujours Vice-Président, accompagné par John Kerry s’était rendu à Pékin où il avait été reçu par le Président chinois. Mais l’ambiance, placée sous la pression des vastes projets chinois des nouvelles routes de la soie, était déjà à la défiance.
Cinq ans plus tard, le ton des relations bilatérales s’est encore durci. Après le 19e Congrès de l’automne 2017 et l’affirmation des « caractéristiques chinoises » opposées aux valeurs démocratiques, suivies en 2020, des tensions commerciales sino-américaines dilatées en rivalité stratégique globale, aggravée par la pandémie, la relation sino-américaine est tombée à un niveau d’hostilité jamais vu depuis 40 ans.
La situation inédite est au cœur du dilemme de la politique chinoise de Joe Biden qui doit tenter l’impossible défi de ménager ses amis taïwanais tout en dialoguant de manière constructive avec une Chine devenue très nationaliste et intraitable dans le Détroit. »
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L’administration Biden, décidée à maintenir une politique chinoise sans concessions [1], mais tout de même inquiète des tensions surgies dans le Détroit après les remous provoqués par les incertitudes infligées à l’esprit des « Trois communiqués », nourrit les mêmes illusions.
Kurt Campbell, 63 ans, ancien diplomate vétéran des affaires asiatiques, récemment nommé au Conseil National de sécurité coordinateur pour l’Indo-Pacifique (lire à ce sujet : Chine – États-Unis, décryptage d’une schizophrénie) imagine lui aussi qu’un « dialogue » serait possible entre un pouvoir indépendantiste dans l’Île et le Parti Communiste chinois.
Le 16 décembre 2020, lors d’un séminaire organisé par le « Center for Strategic and International Studies (CSIS) de Washington, l’ancien responsable de la politique asiatique de Barack Obama déclarait notamment « qu’un dialogue apaisé et pragmatique entre Pékin et Taipei était dans les intérêts stratégiques bien compris de tous ».
Il ajoutait, cependant, indépassable grand écart de la stratégie de Washington depuis 1979, « si l’Amérique reste impliquée dans la préservation de la paix et la stabilité dans le Détroit, et qu’elle est “pro-Taïwan“, elle n’en est pas pourtant “anti-Chine“ ». (…) Il ajoutait, mais il n’est pas certain que le souverainisme exacerbé de l’actuelle équipe à Pékin, puisse entendre ce discours, : « Il est complètement logique de dialoguer de manière constructive à la fois avec la Chine et avec nos amis taïwanais. »
A Taïwan, des sceptiques donnent aussi de la voix. Ainsi, Wang Kung-yi, président de la Société d’études stratégiques taïwanaises, qui, dans ses réflexions oppose par ailleurs « l’imprévisible tourmente Trump » articulée aux résultats du court terme, à la nécessité d’une stratégie du long terme, met en garde contre les illusions.
Pour lui, la nomination d’un nouveau Président à la tête du Comité des Affaires continentales, ne changera rien au fond des choses. « La reprise du dialogue dans le Détroit ne sera pas possible tant que ne sera pas résolue la question du “Consensus de 92“ ». A Taïwan, la remarque est politiquement sensible puisqu’elle renvoie à l’épine dorsale séparatiste du parti au pouvoir.
Note(s) :
[1] Signe que la trace laissée par D. Trump n’est pas complètement effacée, pour l’inauguration de Joe Biden, le 20 janvier, la Maison Blanche avait, pour la première fois depuis 40 ans, directement invité Madame Hsiao Bi-khim, 蕭美琴, Xiao Meiqin, 50 ans, représentant de Taïwan à Washington.
A cette occasion, cette ancienne vice-présidente de l’Internationale Libérale, honorée par une invitation officielle alors que tous ses prédécesseurs n’avaient assisté aux inaugurations présidentielles que par le truchement d’une invitation personnelle d’un membre du Congrès, avait agité le flambeau de la démocratie, dont Tsai Ing-wen a fait le principal argument de ralliement de ses appuis dans sa relation compliquée avec Pékin.
« La démocratie et la liberté sont nos objectifs communs. J’ai hâte de travailler avec la prochaine administration pour faire progresser nos valeurs et nos intérêts mutuels. »
Autant dire que, pour Pékin, l’œil fixé sur la réunification, qui est « le préalable » et non pas « le terme » des négociations dans le Détroit, l’affirmation « d’une seule Chine » est d’autant plus essentielle que l’esprit démocratique porte le risque de conduire, on l’a vu avec Lee Tenghui, à un nationalisme insulaire anti-chinois.