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›› Politique intérieure

Réflexions sur les origines de la corruption et ses remèdes

L’idéal du despotisme éclairé et les valeurs asiatiques.

La réforme de la justice engagée en 2014 et 2015 pour plus d’équité et de meilleurs droits accordés à la défense se déroule parallèlement à une sévère reprise en main des défenseurs des droits. Autant qu’on puisse en juger, son but n’est pas de rendre la justice indépendante, mais d’éradiquer les dysfonctionnements, la corruption, l’arbitraire et les abus qui nourrissent le ressentiment populaire contre le régime (lire notre article Une réforme judiciaire aux caractéristiques chinoises)

La philosophie politique de Lee Kwan Yu que les délégations du Parti ne cessent d’étudier par de nombreuses visites dans la Cité État au rythme de plusieurs centaines par an, est fondée sur un pouvoir centralisé fort, choisi par cooptation, doté d’appareils policier et juridique très dissuasifs, assortis d’un cursus éducatif influencé par la règle confucéenne d’obéissance spontanée aux anciens.

Mais s’il est vrai que l’arrière plan confucéen de ce schéma politique est un gage d’harmonie sociale rassurant pour le pouvoir, son effet pervers est qu’il ne favorise pas les remises en question ni l’innovation, pourtant un des chevaux de bataille du Parti et un des ingrédients essentiels de la modernisation.

Enfin, signe des temps et des préoccupations changeantes du pouvoir, alors que dans les années 90 les stages à Singapour traitaient de l’administration publique, de la gestion économique et de l’économie politique, ces dernières années, l’intérêt s’est déplacé vers les affaires sociales, la protection de l’environnement, la lutte contre la corruption et la gestion des crises [4].

*

L’autre constante est que la civilisation chinoise continue d’accorder une importance primordiale à la confiance basée non pas sur la sèche prévalence du Droit, mais sur la qualité des relations humaines développées par les réseaux (Guanxi) dont la densité traverse forcément la séparation entre les affaires et la politique.

Constituant mécaniquement un terreau favorable à la corruption, cette réalité forme le principal obstacle au projet de redressement éthique du Parti qui réfute la séparation des pouvoirs, tout en réaffirmant sa détermination à rester sans partage à la tête de la Chine, grâce au modèle singapourien.

La Chine, principal défi aux thèses de Fukuyama.

Dans un échange avec la société Strategic Forcasting Inc. (STRATFOR), dirigée par le néo-conservateur Georges Friedman, Francis Fukuyama a récemment exploré la constante culturelle chinoise qui accorde plus d’importance aux relations de confiance tissées par une longue connaissance réciproque entre individus qu’à la prévalence du Droit.

Pour l’auteur de « la Fin de l’histoire et le Dernier homme », inspiré des thèses de Kojève, le retour sur la spécificité chinoise est d’autant plus méritoire que le frein culturel chinois contredit sa théorie d’un futur de la planète calibré par le modèle politique de démocratie à l’occidentale.

D’emblée, le politologue américain ne partage pas la condescendance habituelle des Occidentaux à l’égard du système politique chinois. Fukuyama constate en effet que le régime chinois « mis en œuvre par des responsables politiques de qualité peut s’avérer plus efficace qu’un système démocratique soumis à la règle du Droit et aux joutes électorales démocratiques entre plusieurs partis ». Pouvant faire l’impasse sur des campagnes de lobbying visant à séduire l’opinion et protégé de l’influence des groupes d’intérêts, il permet des choix difficiles de long terme.

Dans un contexte où la confiance entre les protagonistes d’un accord compense la faiblesse du droit, qu’il s’agisse des affaires ou du contrat politique national, le seul risque d’accident politique interne résiderait dans le non respect des termes du contrat par le pouvoir qui mettrait en danger les avantages de la classe moyenne. A la fois très nationaliste, attachée à ses avantages et peu désireuse de redistribuer ses richesses à la vaste proportion de pauvres et de migrants qui tentent de s’intégrer dans le puissant processus d’urbanisation en cours, la classe moyenne n’est, pour l’heure, pas prête à s’insurger contre le régime.

Dès lors la survivance d’un système qui privilégie l’aspect moral de la confiance au sein des réseaux, mais forcément battue en brèche par l’extension des affaires hors du cercle des proches dignes de foi, ne peut-être assurée que par une règle implacable imposée par le sommet. En Chine, la transition en cours n’est donc pas celle de l’arriération chinoise vers la modernité juridique et politique occidentale, mais celle du vieux modèle moral et familial confucéen vers celui plus brutal des Légistes [5] seul capable d’imposer la morale sociale hors du cercle des « guanxi » où la confiance va de soi.

Le glissement des plaques tectoniques du système philosophique et politique chinois d’une norme confucéenne articulée autour de l’harmonie bénévolente au sein d’un cercle de morale idéale où règnerait en théorie la bonne foi, vers la haute mer d’une société moderne sévèrement contrite par la règle des Légistes dont se réclame Xi Jinping ne va pas sans effets pervers et dommages collatéraux. Ceux-ci se lisent dans la longue suite des mises en accusation pour corruption qui s’allonge impitoyablement depuis 2012 et provoque une paralysie de l’administration. En dépit de ses conséquences néfastes, tout indique qu’elle ne s’arrêtera pas en chemin.

Pour Eric Deschavanne, professeur de philosophie, membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV, « La Chine est le principal défi auquel se trouve confrontée la thèse de la fin de l’Histoire de Fukuyama ». (…)

Il ajoute, « la civilisation chinoise est ancienne et solide, et l’on peut légitimement se demander si celle-ci est soluble dans la civilisation libérale moderne. Au regard d’un Chinois, la domination philosophique, économique et politique de l’Occident peut apparaître comme une parenthèse destinée à être refermée lorsque la Chine aura recouvré les moyens économiques de sa renaissance.

(…) « Le pari de Fukuyama s’appuie à l’inverse sur l’argument selon lequel on ne peut séparer durablement libéralisme économique et libéralisme politique. La croissance économique génère la naissance d’une classe moyenne qui aspire nécessairement aux standards de vie qui sont ceux de l’Occident démocratique. A-t-il raison ? Réponse dans le demi-siècle à venir ».

Note(s) :

[4Agnès Andrésy « Xi Jinping, la Chine rouge nouvelle génération », l’Harmattan 2013.

[5Le légisme (école des lois : 法治) désigne un courant philosophique chinois né au VIIIe siècle av-JC prônant un pouvoir fort reposant sur des institutions étatiques centralisées et des lois répressives. Suivant les époques et les auteurs leur nombre varie ; néanmoins, même si la sensibilité légiste est diffuse, on peut reconnaître quatre grandes figures : Shang Yang, Shen Buhai, Shen Dao et Han Fei. Voir Jean Levi, La doctrine du légisme en Chine, à l’origine des théories du pouvoir fort


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