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Organisée comme chaque année à Singapour depuis 2002 par l’Institut International des Etudes Stratégiques (IISS) de Londres, la 13e session du Shangri-La Dialogue, réplique pour l’Asie Pacifique de la Conférence annuelle de sécurité de Munich, s’est tenue du 30 mai au 1er juin. Avec plus de 500 participants, le dernier séminaire a été le plus suivi de toute l’histoire du dialogue.
A la Corée du Nord près, il a accueilli des chercheurs, experts militaires et journalistes en même temps que les officiels des systèmes de défense de tous les pays asiatiques, de ceux des pays riverains du Pacifique (Australie, Canada, Chili, France, Nouvelle-Zélande, Russie, Royaume Uni, Etats-Unis), ainsi que des représentants de l’Allemagne et de la Suède.
Alors que la région est depuis plusieurs mois soumise à de fortes tensions ponctuées de sérieuses échauffourées en mer de Chine du Sud entre Pékin, Hanoi et Manille sur fond de crispations de Pékin avec Washington et Tokyo, les sessions ont donné lieu à une assez vive réaction du Général Wang Guangzhong, adjoint à l’Etat-Major général de l’APL, ancien membre pendant six années du département de la propagande et des stratégies politiques de la Commission Militaire Centrale.
Connu des spécialistes de l’APL comme un brillant débatteur et un praticien averti des stratégies globales d’influence destinées à promouvoir sur le long terme les intérêts de la Chine, Wang Guangzhong s’est, lors de son intervention, écarté de son texte préparé à l’avance pour fustiger vertement les remarques du discours d’ouverture du séminaire du Premier Ministre Japonais Shinzo Abe et celles du Secrétaire d’État à la défense américain Chuck Hagel.
Les deux - le premier sans la nommer, mais le deuxième plus explicitement – avaient publiquement accusé la Chine de déstabiliser la région par ses provocations et ses « grignotages » maritimes autour des îlots. Jugeant les interventions de Mr Abe et Hagel « inacceptables et inimaginables », Wang a rétorqué qu’elles lui donnaient le sentiment d’avoir été coordonnées pour agresser Pékin, alors qu’en réalité c’était la Chine qui était fréquemment obligée de se défendre contre les provocations des autres.
Répondant aux inévitables questions sur la ligne de base en 9 traits transformant la Mer de Chine du sud en une mer intérieure chinoise, Wang a commencé par répliquer que les Etats-Unis n’avaient pas ratifié la convention sur le droit de la mer dont ils se réclament pour prêcher la bonne parole.
Puis, il a rappelé les arguments historiques qui renvoient la souveraineté chinoise sur les îlots à la dynastie Han (206 av. JC à 220 ap. JC). Enfin, il a fait valoir l’antériorité de la ligne en 9 traits (1948) sur la convention de Montego Bay (1994) qui, selon lui, ne pouvait avoir d’effet rétroactif.
Mais, signe qui ne trompe pas sur les intentions de la Chine de ménager les Etats-Unis, dont il a pourtant publiquement qualifié le discours « d’hégémonique et menaçant », Wang, provoquant l’hilarité des représentants des 27 pays présents, a trouvé nécessaire d’ajouter qu’à tout prendre il préférait encore les remarques sans détour de Chuck Hagel à celles de Shinzo Abe qui avait critiqué la Chine sans la nommer. « Mieux vaut être direct ».
Autre indice d’arrières pensées plus ouvertes à l’égard de Washington, une partie du discours de Wang a été consacré à la coopération de l’APL avec le Pentagone, en dépit du fait que Chuck Hagel ait rappelé haut et fort la détermination de l’Amérique à ne pas déserter la zone.
Peut-être plus qu’avec Manille coupable d’avoir à la fois traîné Pékin au tribunal international sur le droit de la mer et perpétué ses accords de défense avec le Pentagone, la Chine pense t-elle qu’il existe une marge de négociation avec Hanoi comme l’indique la rencontre en marge du dialogue entre le général Wang et le ministre vietnamien de la défense.
Enfin même avec le Japon dont les positions exprimées lors du séminaire semblent irréconciliables avec celles de Pékin, des espaces de négociation existent, générés par la connivence des intérêts d’affaires et la crainte de la Chine que Tokyo surpasse son influence dans l’ASEAN. Mais étouffés par la rigidité des postures des appareils de défense, ces intervalles de dialogue n’ont pas été évoqués lors du séminaire.
C’est ailleurs qu’ils se construisent, dans le cadre de l’APEC ou à l’occasion des visites en Chine d’émissaires japonais de haut rang. Mais sur le fond, la rivalité stratégique entre le Japon et la Chine, attisée par les réminiscences de l’histoire et la connivence entre Tokyo et Washington n’est pas prête de s’éteindre. Elle continue à être un des principaux ferments de la présence américaine en Asie Pacifique.
Photo Le général Wang Guangzhong, adjoint à l’Etat-major général, reste placide à côté de la chaleureuse poignée de main entre Chuck Hagel l’Américain et Shinzo Abe le Japonais.