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›› Politique intérieure

5e plenum. La quête d’autosuffisance. A la gloire de Xi Jinping vers un 3e mandat

Après quatre jours de portes closes à la manière d’un conclave catholique au Vatican, le 5e plenum du Comité Central du 19e Congrès du parti communiste chinois, d’où n’a filtré aucune information, s’est achevé le 29 octobre par un communiqué officiel, jeté en pâture aux commentateurs qui répètent ce que l’appareil leur distille.

Le message « Gong Bao 公报 », clair et univoque, d’abord à l’intention du public chinois, ne laissait place ni au doute, ni à la controverse. L’horizon du Parti et de son 14e plan quinquennal (2021 – 2025) est limpide. (voir en annexe le contenu du rapport public).

D’abord l’autosuffisance de la croissance par le développement de la consommation intérieure et l’innovation technologique d’ici 2035 ; ensuite la stabilité du pouvoir de l’actuel n°1 largement au-delà des termes d’un deuxième mandat qui, en théorie, devait s’achever en 2022. En filigrane, répétée par les médias, se confirme en effet la perspective que Xi Jinping restera à la tête du Parti au moins jusqu’en 2027 et, pourquoi pas, au-delà.

Huit années après son accession à la tête de la machine politique du régime, le Président Xi Jinping laisse une nouvelle fois filtrer son intention de se donner le temps nécessaire pour accomplir « sa mission » de renaissance 复兴 – Fuxing de la Nation chinoise.

Il la décrit exemplaire, sans aspérités, puissante et capable de résister aux pressions de l’Occident, notamment des États-Unis, y compris en lui opposant, ses forces armées modernisées.

La messe du plan quinquennal est dite et son approbation par l’Assemblée Nationale à une vaste majorité à quelques rares exceptions en mars prochain ne sera qu’un formalité de plus, dont le but sera de nourrir l’affabulation d’une démocratie intra-parti.

Le 29 octobre, un article du New-York Times signé Chris Buckley et Steven Lee Myers avait beau jeu de relever l’amer contraste des situations entre la Chine sûre d’elle-même et de ses objectifs et l’Occident hésitant en proie aux doutes.

La Chine puissante et efficace, face à l’Occident affaibli et hésitant.

D’une part les « Ambitions de Xi, “le Timonier“ » – référence directe à Mao – et, d’autre part, « l’Occident qui trébuche », avec « les États-Unis, embourbés dans une féroce compétition électorale pour la présidentielle, et l’Europe, à nouveau sur le point de se cadenasser pour se protéger de l’insistante pandémie sévissant presque partout, sauf en Chine.

Au passage de nombreux témoignages venant de l’épicentre même de l’épidémie, ont déjà révélé les secrets chinois. Le plus pertinent est peut-être celui du Dr Philippe Klein, qui, à la tête d’une clinique privée à Wuhan est resté en poste pendant la vague meurtrière du premier trimestre et au-delà. Ce qui lui a valu d’être décoré par les autorités chinoises.

Dans un article du Populaire du Centre, daté du 13 octobre dernier, il affirme que « La Chine a stoppé le virus, (alors que) la France a raté son déconfinement ».

La stratégie de Pékin ? D’abord l’arrêt brutal de la propagation du virus par la fermeture hermétique de la province du Hubei (60 millions de personnes) assortie d’un contrôle serré des frontières ; ensuite la prudente progressivité du déconfinement marqué par l’utilisation massive des logiciels de traçage [1]

Ces derniers dont les informations sont rapidement centralisées et exploitées grâce à l’instantanéité des technologies numériques également utilisées pour le contrôle des populations par le « crédit social », permettent la réaction immédiate dès l’apparition de nouveaux cas.

Ainsi, récemment à Qingdao au Shandong et à Kashgar au Xinjiang le système de santé chinois a, en un temps record, massivement testé des millions de sujets après l’apparition de quelques dizaines de cas. La réactivité quasi militaire a permis d’isoler immédiatement des centaines de cas asymptomatiques.

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Alors que l’Occident trébuche et doute de lui, à Pékin, poursuit le New-York Times, Xi Jinping diffuse la puissante assurance que la Chine émerge de la pandémie à la fois renforcée et déterminée à ne pas se « soumettre ».

Telle est la musique portant une nouvelle fois Xi Jinping aux nues, diffusée par l’appareil et reprise sans la moindre fausse-note par les commentateurs chinois unanimes, en tête desquels Xinhua, l’agence officielle donne le ton.

« Le parti, le peuple et tous les groupes ethniques doivent s’unir étroitement autour du Comité central du Parti dont le camarade Xi Jinping est le cœur, pour travailler avec obstination et remporter de nouvelles victoires dans la construction globale d’un pays socialiste moderne. 全党全国各族人民要紧密团结在以习近平同志为核心的党中央周围, 同心同德, 顽强奋斗, 夺取全面建设社会主义现代化国家新胜利. »

Logiquement l’unanimité sans faille du Comité Central où les voix contraires sont sévèrement occultées, a passé sous silence les hésitations de l’appareil en janvier et février et fait l’apologie de la « victoire stratégique obtenue contre l’épidémie ».

Ainsi est publiquement affichée la cohésion de l’appareil derrière Xi Jinping, seul capable d’affronter les défis de la modernisation de la Chine et d’une situation internationale qualifiée de « complexe ».

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Efficacité du modèle autocrate. Quelles vulnérabilités chinoises ?

Par contraste avec la situation des démocraties de la planète aux États-Unis et en Europe, le Parti affirme la supériorité du système politique chinois dont Xi Jinping répète souvent qu’il s’inspire du Marxisme, mais dont l’observation montre que son modèle appliqué est en réalité la version durcie du « Léninisme ».

En arrière-plan surnage avec insistance, le mythe maoïste auquel le n°1 chinois par qui tout commence et tout finit, paraît de plus en plus se référer.

Si au cours d’un passé récent la tentation avait surgi au sein de l’appareil de remettre en cause le très brutal et très sanglant héritage maoïste, l’épisode est clos. Il est définitivement écarté par le « centralisme démocratique ».

L’heure est à la cohésion pour faire face à l’avenir et à ses principaux défis. Égrenés par la communication publique « 公报 », ils sont pour la plupart internes qui reste le souci n°1 de l’appareil.

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Pour autant, l’image parfaite diffusée par l’appareil passe sous silence quelques fragilités. A l’intérieur d’abord, le ralentissement de la croissance aggravé par la pandémie a fait surgir un niveau de chômage tel que la Chine n’en a pas connu depuis les années 90.

La montée du nombre de sans emplois s’ajoute à un fond de pauvreté inquiétant de 600 millions de personnes dont les revenus ne dépassent pas 1000 Yuans par mois (149 $ au 31 octobre). Lors de la dernière réunion de l’ANP, Li Keqiang le premier ministre en avait fait état publiquement le 28 mai, avant d’être corrigé par les alliés du Président.

Mais les faits sont têtus. Selon les appréciations croisées de Bloomberg, d’Asia Times et de la Société Générale, les chiffres officiels du chômage seraient sous évalués d’au moins 50%. En comptant les 200 millions de migrants, près de 10% de travailleurs chinois seraient à la recherche d’un emploi ou n’auraient pas de travail stable.

A l’extérieur, les stratégies agressives de Pékin ont créé une série de contrefeux dans nombre de pays occidentaux, en Inde, en Asie du Sud-est et même parfois en Afrique. Aux tensions latentes autour de l’équilibre réciproque des échanges et du respect de la loi du marché, se sont ajoutées les aigreurs créées à propos de la brutalité chinoise à Hong Kong et par la mise au pas des Ouïghour musulmans au Xinjiang.

« Impossible d’imaginer un seul pays d’importance sur la planète qui n’aurait pas quelques soucis à propos de la Chine et de son comportement » dit Bilahari Kausikan, ancien diplomate à Singapour devenu Président de l’Institut du Moyen Orient à l’Université Nationale de la Cité État.

Pour autant, l’image diffusée par l’appareil au cours du Plenum et la déclaration du 29 octobre reste celle de la fixité des stratégies de la Chine et de la pensée du n°1 en route pour un troisième mandat, avec en arrière-plan le soutien indéfectible du Parti rassemblé.

En fond de tableau, fil conducteur du Plenum, est apparue une inflexion contrastant avec les précédents discours de Xi Jinping se posant en champion de la mondialisation. La trajectoire affichée en réaction aux défiances occidentales et aux attaques américaines, est en effet aujourd’hui clairement celle de la quête de l’autosuffisance technologique et économique.

Sans fermer la porte aux investissements étrangers qu’il continue à encourager, le Parti s’est engagé dans une stratégie de long terme articulée à la consommation intérieure dont il espère faire le futur pilier de sa croissance.

Il reste que la crispation internationale et son collatéral de fermeture s’ajoutant au durcissement politique interne du régime créent une alchimie dangereuse, d’où a disparu la subtile souplesse qui présida aux stratégies de la Chine d’après Mao.

C’est précisément l’alliance pragmatique des réformes économiques et de la subtile agilité de la politique étrangère de Pékin parrainée par Deng Xiaoping qui avait tenu à distance le choc économique social et politique qui avait frappé l’URSS de plein fouet dans les années 80, provoquant la chute du régime soviétique.

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ANNEXE.
5e Plenum. Résumé du rapport.

L’idée maîtresse du rapport est sans conteste la quête d’autosuffisance dans un environnement où le Parti a bien noté que ses anciens partenaires occidentaux principaux contributeurs au développement technologique du pays sont aujourd’hui animés par des sentiments de défiance.

Les modalités pour surmonter les défis sur la route d’une plus grande indépendance de la Chine sont restées floues. Elles seront progressivement rendues publiques par chaque ministère concerné avant la synthèse officielle de l’adoption par l’ANP en mars 2021.

Croissance.

Le premier objectif reste la poursuite de la croissance avec la satisfaction qu’en dépit de l’épidémie, la Chine sera probablement la seule grande économie à pouvoir afficher un chiffre positif en 2020.

Pourtant la prudence est de mise. Alors que cette année on s’attend à un PNB de 14 920 Mds de $, soit +4% par rapport à 2019, au lieu de garantir le doublement quantitatif par rapport à 2009, le Parti fait l’impasse sur les chiffres et tourne plutôt son attention vers les progrès qualitatifs.

A plus long terme, en 2035, dit-il et il n’y a là rien de neuf, la Chine aura atteint le niveau d’une société socialiste de conforme modeste 小康社会.

Consommation intérieure.

En économie, première indication du rapport d’une quête d’autonomie, l’accent est mis sur la bascule vers l’importance accrue de la consommation intérieure, mis en avant par le slogan de la circulation duale, 双循环 avec cependant peu de détails sur les modalités de la bascule par rapport à notre article du 24 octobre dernier évoquant la décision du pouvoir de créer de vastes zones intégrées facilitant les échanges internes : La Chine, le Monde et les flux de capitaux. Quels risques de « découplage » ?

En arrière-plan persiste le souci de la banque centrale d’un juste équilibre entre la relance budgétaire et la rigueur d’une politique de l’offre.

Innovation.

Naturellement, le secteur des hautes technologies est l’autre point focal du souci d’indépendance stratégique.

Dans un contexte où la valeur ajoutée chinoise dans les chaînes de production reste faible – (la part chinoise d’un iPhone Apple est à peine de 9 $, sur un prix moyen à l’usine de 237 $ soit 3,8%) et alors que les États-Unis mènent une guerre brutale contre Huawei (lire nos articles Huawei sévèrement touché, mais pas coulé. La guerre sera longue et difficile et Huawei fragilisé.Nokia et Ericsson reprennent des couleurs. Bataille au couteau des nouveaux venus chinois du portable), le Parti ressent l’urgente nécessité de développer l’innovation proprement chinoise pour en faire dit le communiqué « le pilier du développement national et de l’indépendance stratégique ».

Là aussi, c’est à l’année 2035, fréquemment mise en avant, que le Parti fixe l’échéance pour mener à bien l’essentiel du « rêve chinois », dont l’accomplissement ultime est fixé à 2049 au centenaire de sa prise du pouvoir [2].

Modernisation des forces armées

Sans surprise, la mention des priorités accordées au progrès technologiques a aussi englobé le renforcement des capacités militaires de l’APL pour améliorer la posture stratégique de la Chine face aux États-Unis – dont le nom n’est cependant pas cité -.

A ce sujet, pour contrer les critiques que la Chine se lancerait dans une course aux armements, le discours stéréotypé de l’appareil répète que sa montée en puissance militaire correspond à sa croissance.

L’affirmation n’est pas exacte. Selon le CSIS de Washington, la hausse du budget de la défense est depuis 2014 – année à laquelle elle était encore supérieur à +12% - est toujours supérieure à celle du PNB, entre +7,2% en 2017 et 9,8% en 2015. En 2020, elle n’était certes que de +6,1%. Mais elle sera encore clairement supérieure à la croissance de l’économie.

Énergie, environnement.

Le paragraphe du document public consacré à l’énergie insiste sur le rapport entre l’environnement, la part des ressources fossiles et les émissions carbone, sans cependant donner de précisions chiffrées.

En dépit des signes très encourageants attestant de l’augmentation de la part des énergies propres dans le mix énergétique (chiffres de mars 2020 : Charbon 64%, renouvelables 28%, Nucléaire 5%, Gaz 3%), la politique énergétique reste toujours marquée par la pression de contraintes opposées.

Celle de la rémanence du charbon, et celle du souci de l’appareil de tenir ses promesses de réduire son empreinte carbone.

Par ailleurs, alors que le secteur recèle une importance stratégique de premier ordre, le rapport ne fait aucune allusion à la constitution d’éventuelles réserves en lien avec la préoccupation d’indépendance énergétique.

Réformes.

Le rapport est resté muet sur leur versant politique en précisant cependant qu’un effort serait consacré à l’ajustement du pays aux lois du marché.

Alors que nombre d’économistes pointent du doigt l’aggravation des contrastes de revenus, une avancée majeure est promise pour réformer les droits de propriété foncière et immobilière ; le développement des régions sera mieux coordonné entre les zones côtières de l’Est et l’intérieur (un souci que le parti exprime depuis au moins 20 ans par le slogan Xibu Da Kaifa – 西部大开发), tandis que le déséquilibre socio-économique villes-campagnes sera réduit dans le cadre d’un vaste plan d’urbanisation s’inscrivant lui-même dans le schéma de la « circulation duale ».

Vieillissement de la population.

Après l’abandon en 2015 de la politique de l’enfant unique, les réformes dont aucune modalité n’a été dévoilée, viseront aussi à réduire les effets du vieillissement et à mieux prendre en compte les besoins des anciens. Les défis sont considérables, mais le rapport n’a fait que les effleurer. Ils concernent les rapports de générations, les retraités et la santé.

Lire :
- Fin de la politique de l’enfant unique.
- Urbanisation, mutations sociales et défaillances du lien filial.
- Le trou sans fond des caisses de retraite. Les groupes publics sur la sellette.
- Systèmes de santé chinois : clés de décryptage.

Hong Kong, Macao, Taïwan.

Enfin, la dernière partie évoquait de manière tout aussi elliptique les RAS de Hong Kong et Macao, vue sous les seuls angles de la stabilité politique et du « développement ».

Quant à la situation à Taïwan, elle a été évoquée avec une remarquable fixité sans la moindre allusion à la volonté des Taïwanais qui, à chaque scrutin et au fil des sondages rejettent unanimement la soumission de l’Île à une Chine dirigée par l’autocratie du parti communiste chinois.

L’objectif inflexible reste la réunification. Si possible pacifique et, au besoin par la force.

Note(s) :

[1On notera qu’en France ces derniers dont l’usage est resté libre, furent largement rejetés par la société, perturbée par les commentaires répétant en boucle la « menace contre les libertés individuelles ».

Rares sont ceux qui relevèrent la dangereuse incohérence de refuser au nom de la liberté un moyen de lutte efficace contre les contagions, y compris en dépit des assurances de protection des données privées donnée par le pouvoir, alors que, dans le même temps, de vastes parts des données confidentielles des Français sont captées par les géants américains de l’Internet.

[2Certains font aussi le parallèle avec Mao. Il est vrai qu’à sa mort d’un infarctus en 1976 Mao avait 83 ans. L’âge qu’aura atteint Xi Jinping en 2035. Mais malade depuis le début des années 70, la voix de Mao ne comptait plus dans l’appareil.

En 2027, Xi Jinping aura 74 ans. Contrairement à ses deux prédécesseurs, Jiang Zemin et Hu Jintao, l’actuel n°1 s’est gardé de paver la route du pouvoir à un successeur.

 

 

L’appareil fait l’impasse du 3e plénum. Décryptage

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