›› Politique intérieure

Des trois financiers ayant réuni leurs forces et leurs réseaux à Hong Kong pour sortir le Territoire de l’impasse, celui ayant de loin le plus d’influence et de capacité d’action est Li Shan. Leur initiative les place est à la fois en rupture avec les jeunes radicaux rebelles de la mouvance démocratique dont la pensée a évolué vers le séparatisme et avec Pékin dont l’esprit normatif heurte leur attachement aux libertés du Territoire. Il reste que leur entreprise qui tente de naviguer entre le soutien à la démocratie et l’alourdissement de la main politique de Pékin est acrobatique. S’ils maintiennent leur idée de prolonger « Un pays deux systèmes » jusqu’en 2097, proposition qui leur ralliera d’importants soutiens dans la R.A.S, ils n’éviteront pas des tensions avec Xi Jinping.
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En mars 2020, après la grave déconvenue pour la mouvance pro-Pékin des élections de districts du 24 novembre 2019, où 344 sièges sur 452 étaient allés aux démocrates, est discrètement né à Hong Kong un parti politique que nombre de commentateurs classent dans la liste des soutiens au Parti communiste chinois.
Baptisé, « Parti Bauhinia 紫荊花 黨 Zijinghua dang » du nom des fleurs à larges pétales mauves de la famille des orchidées, symbole du territoire, la nouvelle formation est en effet dirigée par trois personnalités des affaires étroitement liées à la Chine.
Li Shan 李山, 57 ans le Président, né au Sichuan, membre de la Conférence consultative du peuple chinois, est un banquier d’affaires influent dont la puissante surface financière est à cheval sur Hong Kong et la Chine [1]. A la tête du Conseil d’administration du Crédit Suisse à Hong Kong et de BOC International Asia and Securities Co., filiale de la Banque de Chine, il dirige Chinastone Capital Management 涛石股权投资管理股份有限公司, fond d’investissement privé domicilié à Shanghai.
Il est aussi lié à une nébuleuse d’organismes financiers impliqués dans les Nouvelles routes de la soie, dont Asia Pacific Silk Road Investment Co. ; à Hong Kong, Li est aussi Président respecté de la « Hong Kong – China Finance association ».
Chen Jianwen, 陳健文, l’aîné, également originaire du continent, est le président de « 卓悅控股 Zhuoyue – “Bonjour Holdings Limited “ - » une société de cosmétiques listée à Hong Kong et de Haifu International Ltd - 海富國際金融控股集團有限公司 - par laquelle il a investi en Chine dans l’immobilier, dans les ressources primaires et dans le secteur industriel productif.
Wong Chau-chi 黃秋智, 55 ans, PDG de la société multimedia China Mobile Multimedia Broadcasting (CMMB), comme les deux premiers né et ayant grandi en Chine, formé à Harvard, ancien de Goldman Sachs, de Citibank et de BNP – Paribas, est à la tête du fond d’investissement privé « Chi Capital. »
L’information a été rendue publique un mois après le départ du Legco de 15 parlementaires de l’opposition en réaction à la disqualification de quatre de leurs collègues accusés d’avoir manqué de loyauté patriotique envers la Chine (voir l’analyse détaillée de l’incident : A Hong Kong, impasse de la mouvance radicale et déclin des démocrates.).
Avec l’intention de combler un vide politique, la plateforme du Parti exprimée en 9 points [2] qui suggère de créer une chambre haute instituant un système bicaméral, promet à la fois le développement de la démocratie et de soutenir la loi sur la sécurité nationale tout en garantissant la pérennité de l’arrangement « Un pays deux systèmes ». Sur le fond, le nouveau parti tente l’acrobatie de réconcilier la R.A.S avec Pékin dont les relations sont gravement endommagées.
La trajectoire de la défiance.

Le 18 octobre dernier, trois mois après le début des manifestations à HK, Anson Chan 陳方安生, 80 ans, qui dirigea l’administration du Territoire de 1997 à 2001, et fut membre du Legco jusqu’en 2008, a été invitée à Stanford à donner un conférence sur la situation. Membre de la mouvance démocrate, elle a noté que la nouvelle identité des jeunes hongkongais était « moins loyale à Pékin que ne l’avait espéré le parti communiste chinois » (…) Après avoir noté que ce dernier avait « singulièrement échoué à gagner les cœurs et les esprits » des hongkongais, elle n’a pas ménagé les critiques de ses successeurs : « Il y a quelques années, Pékin a commencé à la fois à perdre confiance dans le jugement et la compétence de l’administration de Hong Kong et à craindre que le sentiment croissant de l’identité des gens en tant que ’Hongkongais’ plutôt que citoyens chinois puisse constituer une menace pour le long terme et l’intégration réussie de Hong Kong dans la mère patrie. »
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La fracture n’est pas née d’hier. Depuis 1997, année de la rétrocession, elle se nourrit à la fois des ambiguïtés « d’Un pays deux systèmes » et des réminiscences douloureuses de l’histoire du Territoire. Symbole des humiliations infligées à la Chine au XIXe siècle, la question de Hong Kong produit dans la politique intérieure chinoise une alchimie nationaliste exacerbée, fond de tableau du raidissement de Pékin depuis 2019.
Le divorce enraciné dans une profond défiance, s’est aggravé à mesure que les libertés de rassemblement et d’expression favorisèrent la naissance d’un sentiment « localiste », manière édulcorée de qualifier la volonté de rupture avec Pékin qui anime aujourd’hui les jeunes rebelles dont certains sont réfugiés à l’étranger, quand d’autres sont condamnés par la justice du Territoire.
17 mois après les premières manifestations à Hong Kong contre la loi sur l’extradition, et après que les violentes émeutes de la fin mai 2020 aient contribué à accélérer l’adoption le 30 juin par l’ANP de la loi sur la sécurité nationale (lire : L’arrangement « Un pays deux systèmes » a vécu.), le 11 novembre dernier, un décret, également adopté par l’ANP, autorisait l’expulsion directe et sans jugement par l’exécutif de Hong Kong de 4 parlementaires du Conseil Législatif accusés de « déloyauté » envers Pékin. Lire : A Hong Kong, impasse de la mouvance radicale et déclin des démocrates.
Quel que soit l’angle de vue, force est de constater que la main de Pékin s’alourdit. Nombre d’observateurs occidentaux considèrent que la Chine a violé le très acrobatique schéma « Un pays deux systèmes » conclu par Deng Xiaoping et Margaret Thatcher, rendu public aux NU le 12 juin 1985.
A Hong Kong, où s’étaient réfugiée une longue collection de dissidents et de Chinois de la société civile ayant fui les effervescences idéologiques maoïstes, puis les répressions politiques de l’après Tian An Men, le raidissement politique de la Chine depuis 2012, dont « Les caractéristiques chinoises » rejettent ouvertement les principes de libertés d’expression et de justice indépendante ont fait surgir un sentiment de méfiance.
Le moins qu’on puisse dire est qu’en dépit de l’ouverture socio-économique initiée par Deng Xiaoping en 1978 et relancée en 1992, 22 ans après la rétrocession de 1997, le Parti Communiste chinois n’a pas séduit les Hongkongais. Pire, la liberté de penser et d’expression autorisée par l’arrangement des « Deux systèmes » a favorisé la naissance d’un sentiment répulsif ayant nourri la très explosive pulsion « localiste » de rupture avec le Continent.
Dès lors, compte tenu de la charge symbolique du territoire, concentré des humiliations infligées par les Occidentaux au Vieil Empire au XIXe siècle, la perspective que la rétrocession finisse par dérailler, a nourri à Pékin, une hantise politique d’autant plus farouche que le parti cultive une inflexible raideur nationaliste anti-occidentale. Lire : Hong Kong, rappels historiques et essai de perspective.
Pour autant, dans la R.A.S le compte n’y est pas. En Chine, l’opinion chauffée à blanc désapprouve les révoltes des jeunes rebelles. Elle oublie cependant que les premières manifestions monstres de juin 2019 avaient rassemblé de larges fractions de la société hongkongaise inquiètes des empiètements chinois.
Le moins qu’on puisse dire est qu’à Hong Kong, la pesanteur politique chinoise crée une angoisse. Elle n’a cessé de monter au fil des précédents épisodes où le désir d’autonomie et d’émancipation politique se sont heurtés à la raideur du centralisme du Parti, lui-même inquiet que le territoire lui échappe.
Note(s) :
[1] Le pédigrée de Li Shan est en tous points remarquable. Faisant partie des Haigui 海归, homonyme de Haigui (海龟 – tortue de mer), qui désigne ces Chinois partis étudier à l’étranger et revenus exprimer leurs talents en Chine, l’homme a une puissance d’influence considérable.
Formé aux États-Unis à la libre entreprise dans un milieu politiquement ouvert, il n’est pas certain qu’il soit complètement à l’aise avec le centralisme politique radical exprimé par Xi Jinping.
Après un diplôme de gestion obtenu à Qinghua en 1986, Li a, en 1994, décroché un doctorat d’économie au MIT. Depuis, il a été successivement cadre au Crédit Suisse à Boston, puis chez Goldman Sachs à New-York, avant de prendre la direction des bureaux du groupe à Hong Kong, puis à Londres.
De 1998 à 1999, il a été n°2 de la Banque Chinoise de développement à Pékin, puis de 1999 à 2001, Directeur des investissements en Chine à la filiale de Lehman Brothers à Hong Kong. De 2001 à 2005, il est à la tête de China Intl Holdings Ltd. (Singapour).
Entre 2010 et 2019, on le retrouve successivement ou en même temps, directeur associé à CMMB vision Holding à Hong Kong (médias), professeur d’économie à Jiaotong Shanghai, Directeur de Chinastone Capital Management 涛石 (Tao Shi), PDG du fonds d’investissement San Shan 三山 à Hong Kong et Directeur associé au Crédit suisse.
[2] A l’examen la plateforme du nouveau Parti est une suite de bonnes intentions articulées à une contradiction de fond. Celle entre le nationalisme centralisateur du Parti et l’exigence de liberté qui, chez les plus radicaux des rebelles, confine à la remise en cause de la rétrocession en 2047.
1. Soutenir « un pays, deux systèmes » et garantir un niveau élevé d’autonomie politique ;
2. Améliorer les relations entre le gouvernement central chinois et le gouvernement de la RAS de Hong Kong ;
3. Promouvoir et consolider un sentiment d’identité commune ;
4. Promouvoir le développement de la démocratie à Hong Kong ;
5. Maintenir un Hong Kong libre et démocratique et rejeter toute forme de violence ;
6. Soutenir la législation de l’article 23 de la loi sur la sécurité nationale et la loi fondamentale, et proposer des changements au système de poursuites judiciaires et de jugement ;
7. Promouvoir le gouvernement de la RAS pour maintenir une société stable, prospère et progressiste ;
8. Soutenir le directeur général et le gouvernement SAR dans la gouvernance ;
9. Promouvoir le système bicaméral (*).
(*) La proposition a été formulée par Li Shan lui-même dans une intervention à Qinghua à Pékin. Lui-même membre de la Commission de la Conférence Consultative politique du Peuple Chinois, suggère qu’à côté du Legco dont les membres resteraient élus par un scrutin populaire direct, soit créé une « chambre haute » nommée par le Gouverneur assisté d’une « commission consultative » dont la composition reste à définir. Il n’a pas non plus précisé quels seraient les pouvoir respectifs des deux chambres.