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›› Editorial

A Moscou, Xi Jinping « parrain » anti-occidental de V. Poutine

Quand le 22 mars, Xi Jinping a quitté Moscou après de longues discussions avec Vladimir Poutine avec qui il a signé plus d’une douzaine d’accords de coopération dont le nouvel oléoduc « Power of Siberia  » 2 à 50 Mds de m3/an (voir notre article sur le Power of Siberia 1 : Chine – Russie. Contrats de gaz), il n’avait pas réussi à se poser en faiseur de paix en Ukraine [1].

Au demeurant, conscient de la difficulté de l’entreprise, son intention réelle n’était pas de mettre fin au conflit, mais seulement de poser la Chine qui appelle à un cessez-le-feu et à des négociations en porteur d’un message d’apaisement en contraste avec Washington, « fauteur de guerre. ».

La réalité est que la visite était une mise en scène de la proximité entre les deux hommes, enveloppée du cérémonial ostentatoire d’une visite d’État dans le faste du Kremlin. Pour Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’Université Baptiste de Hong Kong « la puissance de la relation bilatérale avec Moscou subjugue toutes les autres. »

Alors que la déclaration officielle conjointe publiée le 22 mars, dont la teneur place de facto la Russie sous l’aile idéologique du Parti Communiste chinois, faisait endosser par Moscou, le concept chinois « d’une nouvelle ère d’approfondissement du partenariat stratégique global », Xi n’a pas caché que son voyage avait pour but d’affaiblir l’influence américaine et occidentale.

Avant son départ, il a en effet déclaré, ciblant directement Washington que « Le monde était confronté à un enchevêtrement de défis de sécurité traditionnels et non conventionnels accompagnés par des démonstrations dommageables d’hégémonie, de domination et d’intimidation. »

François Godement, sinologue de l’Institut Montaigne confirme à la fois la proximité et la prévalence de Pékin sur Moscou : « C’est une évidence que la Chine soutient la Russie, et partage les thèses russes sur l’origine du conflit. Il ne s’agit pas d’un accord de circonstances, mais d’un front diplomatique commun, la Chine est désormais le parrain de la Russie.  ».

Il est également évident que l’affichage d’un resserrement amical de Xi Jinping avec Poutine trouble l’intention chinoise d’arbitrage entre Moscou et la sphère occidentale à l’œuvre en appui de Kiev.

En supposant qu’un rattrapage soit encore possible après les ostentations d’amitié ayant brouillé le capital de conciliation de Pékin, s’il voulait remettre sur les rails le projet de médiation lancé par Wang Yi au Kremlin le 24 février, le Président chinois devra sans faute engager le dialogue avec le Président Zelensky. Selon un officiel ukrainien, à la rédaction de cette note, des discussions seraient en cours pour organiser un échange téléphonique.

Sur le théâtre de la confrontation globale qui se dessine sous nos yeux chaque camp compte ses appuis. Dans ce contexte, Moscou et Pékin se réclament de l’appui du « Sud-profond ». Quand le Kremlin manipule en Afrique l’Organisation paramilitaire « Wagner », Pékin, n’est pas en reste (lire : L’Afrique, la Chine et l’Europe).

Alors que, depuis 2013, Xi Jinping a, par « les Nouvelles routes de la soie  » engagé la Chine dans un vaste riposte planétaire au « pivot » stratégique de l’Amérique vers le Pacifique occidental décidé par Obama en 2011, suggérant aussi, par sa récente médiation entre Téhéran et Ryad, que les grandes affaires du monde pouvaient désormais se régler hors des standards occidentaux, tout indique qu’investi à l’unanimité pour un troisième mandat présidentiel par l’ANP, le 10 mars dernier, Xi Jinping estime que le temps est venu d’abandonner la prudence stratégique prônée par Deng Xiaoping « - Cachez vos éclats, cultivez l’ombre 韬光养晦 » et d’affirmer à nouveau la puissance globale de l’Empire du milieu.

Avec en tête, l’affaiblissement de l’Amérique et le recul l’influence occidentale, Pékin et Moscou redoublent d’efforts pour valoriser les ressentiments anti-occidentaux du « sud profond », point clé de la stratégie de contournement de l’Amérique et de ses alliés.

Le « Sud profond » masse de manœuvre de la contestation de l’Occident.

Le 15 mars Xi Jinping assistait, en visio-conférence au dialogue de « haut niveau » entre le Parti Communiste chinois et les chefs d’État et de gouvernement et les présidents de partis politiques d’une vingtaine de pays, sur le thème de la modernisation planétaire portée par « l’Initiative chinoise de Développement Global - 全球发展倡议 ».

Si les mots ont un sens, l’événement, complément opportun des « Nouvelles Routes de la Soie », battait le rappel planétaire des déçus de l’Occident. Lire : Xi Jinping Attends the CPC in Dialogue with World Political Parties High-level Meeting and Delivers a Keynote Speech

La liste des pays ayant répondu à l’appel dessine une nébuleuse des ressentiments contre la trace de l’Amérique et de ses alliés, jugée à la fois intrusive et pesante dont l’influence perçue comme brutale est, selon eux, articulée à l’absence d’équité et aux deux poids deux mesures.

Le commentaire officiel de l’appareil était sans équivoque. Parlant de manière décalée de « réélection » à propos d’une désignation du Président chinois pour un nouveau mandat de 5 ans par acclamation des 2952 députés de la 14e ANP (le taux de participation au vote état de 99,2%), sans abstention ni voix contre, il soulignait la volonté des participants - voir la liste [2] de « travailler avec le Parti Communiste chinois pour jouer un rôle de premier plan, moteur dans le processus de modernisation.  »

Dans son discours d’ouverture, Xi Jinping a insisté sur l’apport historique du parti communiste chinois à la modernisation de la Chine et par osmose, sur la disponibilité de Pékin à « contribuer à la modernisation de l’humanité  » grâce à « l’Initiative de Développement Global  » 全球发展倡议 », devenue avec « la sécurité globale 全球 安全 倡议 » nouveaux slogans porteurs de la politique étrangère de Pékin.

Les point clés de l’intervention du Président chinois reprenait les thèmes récurrents de l’appareil, articulés à la fois à la prévalence sociale de réduction de la pauvreté et aux « caractéristiques chinoises » séparées de celles de l’Occident : « Centrer le développement sur les aspirations des personnes ; Défendre le principe d’indépendance et accepter que la “modernisation“ puisse emprunter des voies diverses ».

En même temps, ayant constaté que la mise aux normes politique en Chine des sociétés chinoises du numérique, portait le risque de tuer le sens des affaires des Chinois, il réaffirmait par une volte-face dogmatique, la nécessité de promouvoir l’esprit d’entreprise.

Enfin, il y ajoutait la crainte d’un freinage de la montée en puissance de la Chine suscitée par les effets des sanctions américaines dans le secteur des microprocesseurs, qui, déclenchées par Washington en octobre dernier, tentaient d’enrayer – en réalité avec un succès mitigé – le viol du droit de propriété intellectuelle par les entreprises chinoises du numérique.

Cette préoccupation centrale qui touche à l’extrême finesse des microprocesseurs fabriqués sous licence américaine par Taïwan Semiconductors Manufacturing Company (TSMC), était exprimée par Xi Jinping quand il a, en termes allusifs, évoqué la nécessité « d’empêcher les ruptures du processus de modernisation et d’innovation (lire : « Micro-puces » et droit de propriété. La violente riposte américaine contre la Chine et ses contrefeux) ; et l’exigence « de respecter les intérêts de tous en même temps que l’équitable répartition des acquis de la modernisation  ».

Conflit planétaire entre les démocraties libérales et les autocrates révisionnistes.

Face à la coagulation d’une mouvance anti-occidentale battant le rappel du « sud-profond  » se dessine aussi depuis l’Asie Pacifique un contrefeu global dont les effets viennent de s’exprimer par la visite surprise à Kiev et à Bucha du Premier ministre Japonais Fumio Kishida, le 21 mars.

Alors même que Xi Jinping visitait Moscou, Kishida venu dans la capitale ukrainienne par train après une étape à Varsovie transportait en Europe la méfiance antichinoise à l’œuvre dans le Pacifique occidental à l’origine de la création du dialogue de sécurité «  QUAD  ». Mouvance de moins en moins informelle de résistance à l’augmentation de la trace chinoise, elle regroupe l’Australie, le Japon, l’Inde et les États-Unis.

Le 21 mars, avant sa venue en Europe, Kishida a fait au passage un crochet en Inde chez Narendra Modi, au moment même où Tokyo qui vient d’augmenter son budget de la défense de plus de 26%, tourne la page du pacifisme de l’après-guerre. Dans la guerre contre « l’Occident décadent » déclenchée par Vladimir Poutine, la mouvance conservatrice du parti libéral démocrate, héritier du « renouveau  » porté par le très charismatique Premier Ministre Jun’Ichiro Koizumi (2001-2006), a clairement choisi son camp.

Le mois dernier, à la veille du premier anniversaire de l’invasion russe, le Japon avait promis 5,5 milliards de dollars d’aide humanitaire à l’Ukraine, quadruplant les contributions précédentes de Tokyo. « L’agression de la Russie contre l’Ukraine n’est pas seulement une affaire européenne, mais un défi aux règles et aux principes de toute la communauté internationale », avait alors déclaré Kishida.

Selon Reuters, lors de sa visite à New Delhi, il a également annoncé un nouveau plan d’investissement japonais de 75 Mds de dollars dans la zone Indo-Pacifique, largement dédié à l’approfondissement les liens avec les pays d’Asie du Sud et du Sud-Est destiné à contrer l’influence de la Chine.

Alors que les 12 propositions chinoises pour « le règlement politique de la crise ukrainienne  » (lire : « Plan de paix chinois. » Réalités et intentions cachées) approuvées par Vladimir Poutine, mais pas officiellement par Kiev qui n’a pas été contactée, souffrent à la fois d’une absence de propositions concrètes et d’un déséquilibre partisan en faveur de Moscou, il faut examiner le rôle et le poids des États-Unis accusés d’alimenter le conflit par leurs livraisons d’armes et de cautionner par leur appui le dangereux jusqu’au-boutisme guerrier du Président Zelinsky.

Le poids de l’influence américaine. Une stratégie à double face.

Échaudé par la récente percée diplomatique chinoise de médiation entre Téhéran et Ryad, la probabilité pour que Washington laisse se développer avec succès sur sa chasse gardée européenne un arbitrage de Pékin, son rival systémique planétaire, est extrêmement faible. Pour contrecarrer la manœuvre chinoise, la Maison Blanche dispose de deux cartes.

La première est de saborder l’entremise de Pékin en soutenant le radicalisme territorial du Président Ukrainien poussé à refuser toute négociation tant que ne seront pas au moins repris les territoires illégalement annexés du Donbass. La deuxième est de tenter des bons offices plus élaborés et plus tangibles que ceux des Chinois.

Alors que le département d’état exhortait Xi Jinping à persuader V. Poutine de retirer ses troupes d’Ukraine au lieu de « cautionner ses crimes de guerre », les deux options sont à l’œuvre en même temps.

Durant la visite de Xi Jinping à Moscou, la Maison Blanche annonçait en effet le renforcement de son aide directe à Kiev, l’accélération de la livraison des chars Abraham et du déploiement des missiles sol-air « Patriot  » sur lesquels les artilleurs Ukrainiens se familiarisent à Fort Still dans l’Oklahoma, au milieu de la mobilisation d’une cinquantaine de pays contribuant à l’effort de guerre ukrainien, y compris par la formation de pilotes de chasse et la livraison de chars de combat « Leopard. »

En même temps, le 24 mars, Antony Blinken, qui s’exprimait devant une Commission du Congrès à Washington, entérinant probablement qu’une reconquête de la Crimée serait impossible et qu’une longue guerre d’attrition pourrait être fatale à Kiev, évoquait la possibilité de négociations pour sortir du conflit par une « paix juste et durable » dont les termes territoriaux devraient être acceptables par Moscou et Kiev. Il prenait cependant soin de préciser que le moment de la décision incomberait à Kiev.

*

Enfin, s’il est une leçon que les pays occidentaux dans leur ensemble doivent tirer de l’affaiblissement de leur audience planétaire mise à mal dans les pays du « sud profond » par l’attelage révisionniste des autocrates chinois et russes, c’est bien qu’ils devraient d’urgence se mettre en ordre de marche coordonnée pour reconquérir l’audience des émergents et des pays en développement.

Compte-tenu non seulement des malentendus entretenus pas la propagande anti-occidentale des révisionnistes, mais aussi par les mémoires blessées des anciennes colonies, des prédations et des humiliations qui surnagent avec insistance au milieu d’une longue série d’héritages positifs allant de la santé à l’éducation en passant par la construction des États et de leurs infrastructures, la tâche est immense. Raison de plus pour s’y atteler sans tarder.

A Washington, Joe Biden a bien compris l’enjeu. A la mi-décembre, face à 49 chefs d’États et de gouvernements africains qu’il avait invités à la Maison Blanche, il s’est lancé dans un méritoire acte de contrition en revenant sur « le péché originel  » de l’esclavage. Lire le § « La rivalité sino-américaine se dilate en Afrique  » de notre article : « Piège de la dette. » La Zambie et le Sri Lanka, deux étapes des « Nouvelles routes de la soie » en cessation de paiement.

Il n’est pas certain que le repentir suffise à rallier le « sud profond  » africain où nombre d’élites sont réceptives aux arguments anti-occidentaux des opportunismes russes et chinois.

Note(s) :

[1Alors que ses exportations d’hydrocarbures sont sanctionnées par l’Occident, Vladimir Poutine a assuré à Xi Jinping que les conglomérats russes assureraient à la Chine les approvisionnements correspondant à sa demande croissante en énergie. Dans la foulée, Vladimir Poutine a rappelé le projet de gazoduc « Force de Sibérie 2 » long de 6700 km – dont le tiers sera en territoire russe - entre les gisements de Sibérie et le Xinjiang.

Alors que les déclarations officielles faisaient état d’une livraison annuelle de 50 mds de m3 annuels, aucun détail n’a été révélé sur le calendrier du projet, ni sur le prix du gaz. Sur ce sujet, objet récurrent des controverses sino-russes, Pékin bénéficie aujourd’hui de l’avantage d’être avec l’Inde un des seuls clients du gaz russe lui assurant un approvisionnement à prix cassés.

Après la mise en œuvre du gazoduc prévue en 2030, la Chine deviendra le 1er consommateur de gaz russe avant l’UE. Aujourd’hui, la Chine importe un tiers de son gaz par des gazoducs et les 2/3 étant du GNL. En 2021, les importations de gaz par gazoduc étaient de 53,2 milliards de m3, contre 109,5 milliards de mètres cubes de GNL.

La Chine comptait 24 terminaux GNL en activité en novembre 2022 et 15 usines de stockage de gaz d’une capacité totale de 17 milliards de m3. La planification envisage d’ajouter 34 nouveaux terminaux GNL d’ici 2035, portant la capacité totale à 224 millions de tonnes. La majorité de ses terminaux GNL se trouvent dans les villes du sud et de l’est.

Selon les douanes chinoises, le commerce sino-russe a augmenté de près d’un tiers en 2022, atteignant un record de $190 milliards avec un excédent commercial russe de 64 Mds de $. La majeure partie des exportations russes vers la Chine provenait du secteur de l’énergie. La Russie est aussi la deuxième source de pétrole de la Chine (en hausse de 8,2% à 86,24 milliards de tonnes par an) – loin derrière l’Arabie saoudite (87,48 millions de tonnes par an).

[2Liste des principaux participants à la vision conférence organisée par Xi Jinping, le 15 mars : Cyril Ramaphosa, Président du Congrès national africain et président sud-africain ; Salva Kiir Mayardit Président du Mouvement populaire de libération du Soudan et président de la République du Soudan du Sud ;

Daniel Ortega, secrétaire général du Front sandiniste de libération nationale et président du Nicaragua ; Nicolas Maduro, Président du Parti socialiste uni et président du Venezuela ; Aleksandar Vucic, Président du Parti progressiste serbe et président serbe ; (…)

Luvsannamsrai Oyun-Erdene, Président du Parti populaire mongol et Premier ministre ; Taur Matan Ruak, Président du Parti populaire de libération et Premier ministre du Timor-Leste ; James Marape, Dickon Amiss, chef du parti Pangu et premier ministre de Papouasie-Nouvelle-Guinée ;

Thomas Mitchell, chef du Congrès national démocratique et premier ministre de la Grenade ; Boris Gryzlov, président russe du Conseil suprême du parti Russie unie ; Yerlan Koshanov, président du Parti Amanat du Kazakhstan ; Chantal Yawa Djigbodi Tségan, trésorier de l’Union pour la Défense de la République du Togo et Présidente de l’Assemblée nationale.


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