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›› Editorial

Asie du Nord-Est. Pékin à la manœuvre. Faux semblants et réalités

Ils ne s’étaient pas rencontrés depuis 15 mois. L’arrière-plan de leurs relations est traversé de puissantes tensions enracinées dans la très longue histoire, la culture et – symptômes de braises jamais éteintes – les lancinantes blessures de la guerre que Pékin et Séoul rappellent sans cesse à Tokyo.

Organisé par Pékin au cœur de la Chine à Chengdu, capitale du Sichuan où se trouvent les racines de Deng Xiaoping, alors que le monde chrétien célébrait Noël, la réunion des trois pays de l’Asie du Nord-est était donc un exercice contraint et un affichage.

Celui d’abord – comme souvent dans l’histoire récente quand les relations sino-américaines sont au plus mal – d’un rapprochement chinois avec Tokyo auquel Shinzo Abe s’est volontiers prêté.

Certes Washington et Tokyo sont toujours liés par le traité de sécurité signé en 1951 ; La Chine et les États-Unis sont engagés dans une rivalité stratégique où Tokyo se range toujours aux vues de la Maison Blanche et du Pentagone en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan.

Il reste que, moins d’une semaine avant la réunion de Chengdu, le 18 décembre, le ministre de la défense chinois Wei Fenghe accueillait son homologue japonais Taro Kono à Pékin.

Non pas que cette première depuis 10 ans ait signifié la fin des contentieux, des rancœurs et des méfiances. Sur la table, soulevées par le Japonais « les inquiétudes de Tokyo » à propos de la mer de Chine de l’Est et de l’îlot Senkaku (lire : Chine - Japon : Une pente dangereuse.) et « des activités en hausse de la marine chinoise ».

Illustration du discours japonais : Le 26 décembre, deux jours après la rencontre de Chengdu, une semaine après la visite de Taro Kono à Pékin et 2 semaines avant les élections présidentielles où Tsai Ing-wen la présidente indépendantiste espère obtenir un nouveau mandat, le Shandong, 2e porte-avions construit par la Chine, franchissait le détroit de Taïwan pour la 2e fois en moins de deux mois.

Pour autant, le ton des entretiens était clairement à l’apaisement.

La bienveillance réciproque s’est appuyée à deux événements également inédits depuis 10 ans : la participation, le 10 octobre, de la frégate lance-missiles chinoise Taiyuan à une revue navale japonaise, elle-même réplique de la présence à Qingdao du destroyer Suzutsuki [1] à l’occasion du 70e anniversaire de la marine, en avril 2019 (lire : 70e anniversaire de la marine à Qingdao. L’Inde et le Japon en vedette. L’US Navy absente. Incident avec une frégate française.)

« Nos relations sont à nouveau sur la bonne voie. Pékin est prêt à travailler avec Tokyo pour approfondir le consensus politique conclu par nos dirigeants et construire des relations militaires solides et durables » a déclaré Wei Fenghe.

Après quoi Taro Kono a glosé sur la « nouvelle phase des relations de défense, condition de la paix et de la stabilité régionales ».

Pékin modérateur des contentieux sino-coréens.

Dans l’histoire récente, des « nouvelles phases » de la relation sino-japonaise, il y en eut de nombreuses. Rappelons le voyage de Hu Jintao au Japon début mai 2008. Lire : Chine - Japon. Un remarquable exercice de tolérance diplomatique.

A cette époque, le discours du président chinois à Tokyo, tranchant avec ceux des ses prédécesseurs, avait évoqué les souffrances de la guerre. Mais parlant des victimes, il avait réuni dans une même mémoire celles des Japonais et des Chinois. Le passage est assez rare pour être cité 11 ans plus tard :

« Cette histoire malheureuse n’a pas seulement causé des souffrances extraordinaires au peuple chinois, elle a aussi gravement blessé le peuple japonais » (...) « S’il est vrai qu’il est important de commémorer l’histoire, nous ne devons pas en nourrir des rancœurs ».

Prudent F. Danjou avait mis en garde contre la puissance des nationalismes : « Il restera à confirmer que cette nouvelle direction sera tenue fermement en dépit des nationalismes - expression récurrente de la xénophobie et de la peur de l’autre - qui, en Chine et au Japon, continueront à tirer les relations vers les abîmes stériles et mortifères des sombres réminiscences de l’histoire. »

*

Aujourd’hui, il faut encore se rendre à l’évidence. La volonté d’apaisement n’est pas partagée entre tous les protagonistes de cette trilatérale de l’Asie du Nord-est que Pékin rêve de transformer en front anti-américain.

Alors que Pékin et Tokyo affichent un apaisement et que la Direction chinoise a cherché à favoriser une embellie des relations entre Tokyo et Séoul [2], le sommet entre Shinzo Abe et Moon Jae-in fut un échec.

D’emblée, note le Wall Street Journal, le Premier Ministre japonais, jetant un froid, a accusé Séoul d’être à l’origine du mauvais état des relations entre les deux alliés de l’Amérique.

Depuis leur dernière rencontre en septembre 2018, de nouveaux contentieux se sont ajoutés aux anciens. Un mois après le sommet, la Cour suprême coréenne condamnait Mitsubishi à payer 1 million de $ à 11 anciens employés coréens du groupe ou à leurs héritiers, victimes du travail forcé durant la période 1910 – 1945.

L’acrimonie de Shinzo Abe qui reprochait à Moon Jae-in de ne pas tenir ses promesses venait pourtant après plusieurs gestes de conciliation du Coréen. Le 22 novembre, contrairement à ses déclarations précédentes ripostant à l’embargo japonais sur les exportations de haute technologie, le Président sud-coréen annonçait que Séoul ne se retirerait pas de l’accord militaire d’échange d’informations avec Tokyo.

Un arrière-plan stratégique précaire.

En fond de tableau de ces querelles jamais éteintes de l’histoire, le spectre de la question nord-coréenne, l’insistante présence de l’allié russe - constant soutien de la Chine dans ses relations avec la Corée du Nord – et, en surplomb, le poids stratégique de Washington, arbitre de toute solution négociée avec Pyongyang et maître de l’alliance militaire avec Tokyo et Séoul, irritant de première grandeur pour Pékin.

Au-delà de la convergence de principe des trois pour exiger de Kim Jong-un un désarmement nucléaire, les profondes divergences subsistent sur la méthode.

A Shinzo Abe, Xi Jinping a suggéré la proposition de Moscou et Pékin, inacceptable pour la Maison Blanche et Tokyo, de réduire les sanctions imposées à la Corée du Nord. De même, la déclaration commune des trois, condamnant la récente série de tests missiles, n’était accompagnée d’aucune exigence adressée à Pyongyang.

Alors que le représentant de Pyongyang à l’ONU déclarait que la dénucléarisation n’était plus à l’ordre du jour, Kim Jong ayant adressé un ultimatum à Washington sommé d’assouplir son approche de la question, la prudence de la déclaration était clairement un signe de discorde.

D’un côté Pékin et Moscou partisans d’un compromis articulé à une approche moins rigide des sanctions ; de l’autre Washington et surtout Tokyo, hostiles à tout accommodement avec la Corée du Nord tant que la dénucléarisation ne sera pas effective.

Enfin, si à propos de la relation Chine – Japon, clé de la cohésion stratégique de l’Asie du Nord-est, il fallait attribuer une palme du « réalisme pessimiste », elle reviendrait à l’article du 26 décembre signé de Katsuji Nakazawa dans le Nikkei Asian Review.

Faisant allusion à l’histoire tourmentée et sanglante de la fin des Han, 220 après J.C, quand le Wei (Chine du Fleuve Jaune et du Shandong), le Wu (Chine du Jiangzi, du Zhejiang et de la région de Canton) et le Shu (l’actuel Sichuan, où précisément se tenait la trilatérale) rivalisaient de stratagèmes et d’influence, Nakazawa, désabusé écrivait : « Dans la rivalité des “Trois Royaumes “, le pas de danse du Japon avec la Chine est temporaire ».

Note(s) :

[1Portant le nom d’un destroyer de la 2e guerre mondiale ayant participé à l’attaque contre les alliés à Okinawa en avril 1945, le Suzutsuki arborait 3 pavillons. L’emblème national à la proue, le Chinois à la passerelle et à la poupe le « Soleil Levant » redevenu la marque de la marine des forces d’auto-défense dont l’image est liée à la brutale expansion du Japon en Asie depuis sa victoire contre la Chine en 1895.

[2Pékin qui ambitionne de favoriser un marché unique de l’Asie du Nord-est – débouché alternatif de ses exportations -, y voyant peut-être aussi la condition de son influence politique, contrepoint à celle de Washington, œuvre pour un accord trilatéral de libre échange. Depuis Pékin, le 19 décembre, Chu Shulong, professeur de relations internationales à Beida rappelait que les querelles commerciales entre Séoul et Tokyo nuisaient également à la Chine.

Cité par le Financial Times « Les trois pays sont dans la même chaîne industrielle, avec le Japon au sommet et la Corée du Sud au milieu. La Chine s’appuie fortement sur les puces à semi-conducteurs traitées par la Corée du Sud. ».

A la fois geste de bonne volonté et mesure de relance interne, le 16 décembre, le gouvernement chinois annonçait qu’en 2020, il abaisserait ses droits de douane sur plus de 800 produits, y compris les semi-conducteurs.


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