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›› Editorial

Crise de confiance, crise démographique et retours de flamme politiques. La brutalité de l’exécutif en question

Lorsque le 20 janvier 2017, le Président Xi Jinping accompagné de son épouse Peng Liyuan arrivait à Davos, il était entouré d’un charisme enthousiaste de succès économiques, de maîtrise politique interne et d’affirmation de puissance globale articulée au « rêve chinois ».

La croissance avait certes commencé à freiner à 6,9%, ralentie par ses limites structurelles, mais elle était deux fois supérieure à celle de la moyenne mondiale à 3,4%, quand celle des États-Unis était à 2,26% et celle de l’UE à 2,82%.

Surtout le réacteur de son commerce global fonctionnait à sa pleine efficacité avec pour le seul mois de janvier 2017 un excédent commercial de 44 Mds de $. Pour la totalité de 2017, le surplus avait atteint 430 Mds de $.

C’est dans ce contexte que Xi Jinping, ignorant les contradictions de son discours, comme s’il s’adressait au Congrès du Parti où personne ne le conteste, avait fait l’apologie de la mondialisation, alors que le marché intérieur chinois est lui-même toujours en partie fermé aux investisseurs étrangers et marqué par le non-respect de la loi du libre marché transgressée par de puissantes subventions aux entreprises publiques.

Six ans plus tard, le président Xi Jinping aux prises avec une longue suite de contrecoups internes, la défiance de la plupart des pays développés et de certains émergents comme l’Inde, s’est fait représenter à Davos par son ami d’enfance, le Vice-premier ministre Liu He, 70 ans [1] dont les premières qualités hormis son expertise économique, sont la prudence, la modestie et le pragmatisme.

Reconnaissant que la menace de l’épidémie de covid-19 restait « insistante », il a d’abord, expliquant que les retours à la normale étaient étonnamment rapides, cherché à rassurer l’auditoire des investisseurs potentiels clairement sur la réserve depuis les inquiétants coups de barre idéologiques de l’exécutif. Puis, tournant le dos au ton triomphal, il a promis que les efforts de redressement porteront leurs fruits. « Si nous travaillons assez dur, nous sommes convaincus que la croissance reviendra très probablement à sa tendance normale et que l’économie chinoise connaîtra une amélioration significative en 2023  ».

Il est peu probable que le discours parvienne à lui seul à inverser la défiance des investisseurs et à désamorcer la contestation politique interne née de la perte d’audience de Xi Jinping au sein du comité central.

Le forum de Davos a lieu alors que l’économie chinoise affaiblie par ses dysfonctionnements structurels et les conséquences de la faute politique de l’obsession « zéro-covid » accuse le coup (voir la rubrique économie), et qu’est rendue public le recul démographique du pays, longue conséquence d’une série de brutalités politiques du Parti.

Déni de réalité et brutalité politique, longues racines de la crise démographique.

Voilà plus de quinze années que, comme nombre d’observateurs, QC anticipe le recul démographique, clairement inscrit dans les statistiques (lire : Le vieillissement de la population se fera sentir à partir de 2020-2030) dont le premier corollaire est l’accélération du vieillissement et l’augmentation des charges sociales dédiées aux personnes âgées pesant sur l’équilibre des finances publiques.

En 2019, François Danjou, évoquait « l’épée de Damoclès du vieillissement  » dans une analyse sur les « Cygnes Noirs 黑天鹅 » symboles d’une crise systémique, anticipée par Xi Jinping lui-même (lire : Inquiétudes au sommet) ; deux ans plus tard, Jean-Paul Yacine, mettait le doigt sur la tendance à l’occultation par l’appareil de la réalité pourtant évidente de la crise démographique à venir.

Le 29 avril 2021, idéologiquement calibré à l’occultation des évidences, le Bureau National des Statistiques démentait une analyse du Financial Times, pourtant basée sur ses propres informations, affirmant que la crise démographique se profilait, plus grave et plus rapidement que prévu. Lire : Premières alertes de la crise démographique annoncée.

Les racines rémanentes de la contraction démographique à long terme et impossibles à inverser, plongent dans l’ADN de brutalité révolutionnaire du régime et sa tendance à la manipulation des foules. Mais, la complexité de la société et ses connexions multiples y compris avec l’étranger rendent plus difficile la stratégie des grands coups de barre à l’emporte-pièce.

La société moderne réagit mal aux coups de barre politiques.

En 2021, la suppression de la politique de l’enfant unique et l’appel à faire trois enfants ont suscité des réactions mitigées. Alors qu’en arrière-plan se propageait dans une partie de la jeunesse une lassitude rejetant l’esprit de compétition qui met la société sous tension, les incitations de l’appareil à « refaire » des enfants sont tombées à plat, confrontées à l’augmentation du coût de la vie, des logements et à la perte de confiance dans l’avenir. Lire : Le très faible enthousiasme pour la « politique des trois enfants ».

La stratégie du contrepied abrupt ignorant les conséquences à long terme, date de la fin des années soixante-dix.

En 1979, craignant les effets appauvrissants de la surpopulation, le parti avait, trois années après la mort de Mao qui prônait l’inverse, instauré sans se soucier des effets indésirables et sans tenir compte de l’avis de ses propres démographes, mis en œuvre avec une féroce âpreté, sa politique dite de « planification des naissances 计划生育政策 », aussi présentée comme un « planning familial  » moderne 家庭计划. Lire : Quand le planning familial devient fou.

En 2005, le professeur Wang Feng de l’Université de Fudan à Shanghai, considérait que ce brutal coup de barre démographique déjà à l’œuvre depuis un quart de siècle, qu’il ne cessait de critiquer, était « la plus vaste et plus extrême expérience de contrôle des populations jamais tentée par un État, dans le domaine de la reproduction des humains  ».

En 2019, le film de Wang Xiaoshuai « So long my son » dont le titre chinois « – 地久天长 dijiutianchang - le Ciel et la Terre sont éternels » est tiré du « Livre de la voie et de la vertu  » Taoïste, était une longue fresque nostalgique des traumatismes imposés aux familles par le cruel cynisme de l’appareil et de ses apparatchiks. Lire : « So Long My Son » de Wang Xiaoshuai.

Le scénario montre une pratique des apparatchiks du régime harcelant les familles en tous points semblable à celle observée depuis 2020 contre les citoyens des grandes villes chinoises réticents à se laisser enfermer dans les zones géantes et inconfortables de confinements sans sanitaires suffisant et éclairées jour et nuit à la lumière blanche.

Note(s) :

[1刘鹤, Liu He, 70 ans. Économiste réputé du régime, auteur de nombreux articles remarqués, ancien de Beida et diplômé d’administration publique de Harvard, membre du Comité Central depuis 2012, Liu est devenu au 19e Congrès (2017) le n°10 du régime. Vice-président de la Commission Nationale de Réforme et développement et n°2 du Centre de recherche du Conseil d’État, il a participé à l’élaboration de plusieurs plans quinquennaux depuis 1991. Il a également contribué à la rédaction du rapport « China 2030 » cosigné en 2012 par Robert Zoellik et Li Keqiang.

Évoquant les obstacles aux réformes, le rapport faisait allusion aux « groupes, qui profitent de rentes de situations découlant de leurs relations privilégiées avec les décideurs politiques ». Ces derniers, ajoutait le rapport, « protègeront résolument leurs intérêts grâce à leur pouvoir, leurs ressources et leurs connexions. ». Ils sont depuis 2013 les premières cibles de la violente lutte anti-corruption menée par Xi Jinping. Ayant, fréquenté comme lui l’école Ba Yi et l’Ecole n°25 de Pékin de 1960 à 1969, Liu He est un de ses amis d’enfance.

En mars 2018, Liu He a été nommé vice-Premier ministre et deux mois plus tard, en charge des négocions commerciales avec Washington, aboutissant en octobre 2019, à un accord commercial préliminaire, rendu caduque par l’aggravation des tensions commerciales sino-américaines et la guerre technologique du secteur des microprocesseurs.

Aujourd’hui à la tête du comité de stabilité financière et de développement, il a été l’un des principaux responsables de la répression contre le groupe Ant de Jack Ma. Lire l’article de Louis Montalte de janvier 2021 : Jack Ma s’est évanoui. LA FOURMILIÈRE A PERDU SA REINE.


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