›› Editorial
La Ligue de la jeunesse dans le collimateur.

Début septembre le SCMP de Hong Kong rendait compte de la perte d’influence de Qin Yizhi, n°1 des jeunesses communistes, ancienne base de pouvoir de Hu Jintao et Li Keqiang. Affecté à un poste subalterne au gouvernement, Qin lui-même et plusieurs autres personnalités éminentes de la ligue n’ont pas été invités au 19e Congrès.
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Au sein du mouvement de la jeunesse, les attaques du Président ont des conséquences ravageuses : « la Ligue n’est plus un guide pour les jeunes ; elle est en réalité à leur remorque ; comment dans ce cas peut-elle remplir son rôle de cohésion » (…) « Ne parlant ni son langage et ne partageant pas ses intérêts, elle a raté sa relation avec la jeunesse » (…) « Ses discours, bureaucratiques et stéréotypés, ponctués de slogans vides de sens, ignorent la science, les arts, la littérature et les questions sociales ».
Considérant cette brutale charge politique, les intellectuels chinois reconnaissent la nécessité de toiletter le mouvement, tout en notant les arrières pensées politiques de Xi Jinping. Pour Wu Qiang, ancien professeur de sciences politiques à Qinghua, les critiques du président reflètent sa volonté de débarrasser la Ligue des « scories » bureaucratiques pour la mettre en mesure de mieux mobiliser les « masses », dans un schéma, dit-il, proches des campagnes maoïstes. Mais il ajoute qu’en se débarrassant des têtes pensantes du mouvement de la Jeunesse, Xi ouvre la voie à la promotion rapide de ses propres soutiens politiques.
La charge contre les jeunesses communistes, base politique de Li Keqiang, ajoutée au fait que le Président s’est progressivement approprié les responsabilités de la réforme financière incombant au premier ministre a suffi à alimenter les rumeurs d’une possible mutation du n°2 du Parti vers la présidence de l’Assemblée nationale. Il reste que la rumeur de la relève du premier ministre qui constituerait un craquement sans précédent dans l’histoire récente de la Chine depuis la destitution de Hu Yaobang et Zhao Ziyang il y a 30 ans, était elle-même démentie par d’autres échos tout aussi argumentés.
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Jessika Blake, ancienne de la section recherches du Département d’État, américain, diplômée d’études asiatiques à Stanford note avec raison dans un récent article de China Leadership Monitor que ces analyses et observations souvent articulées à des informations ayant fuité par Hong Kong ou par le canal des Huaqiao ne donnent qu’une vue imprécise sur ce que sera le pouvoir chinois et ses grandes orientations politiques et stratégiques après le Congrès.
Citant les erreurs d’appréciation du passé à propos du libéralisme de Hu Jintao ou de Xi Jinping, rappelant l’opacité du système, la faiblesse des analyses articulées aux luttes de personnes plutôt qu’aux idées, ainsi que la multitude des variables en jeu pouvant au dernier moment modifier les rapports de forces, elle suggère de plutôt s’intéresser aux invariants du régime.
Les invariants du régime.

siège historique du parti communiste à Shanghai au 374 Huangpi Nan Lu. Créé en 1921 par des intellectuels et des militants du 4 mai 1919, arrivé au pouvoir en 1949, le parti fonctionne toujours sur le mode marxiste-léniniste du parti unique.
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Au nombre de trois, les constantes politiques découlent du truisme qu’à la tête de la Chine, le Parti ne souhaite partager son pouvoir avec personne. Ce qui suppose non seulement de conserver intacte, mais encore d’améliorer sa capacité à diriger le pays sans secousses graves ; de tenir à distance toute option politique pouvant menacer son magistère ; et, enfin, de prévenir une contagion du mécontentement de l’opinion susceptible de fédérer une opposition nationale surgie de la base.
S’il est vrai que ces prédicats n’ont pas changé depuis l’ouverture internationale du régime et ses réformes économiques à la fin des années 80, leurs conditions ont en revanche sérieusement évolué. Certaines évolutions comme les progrès socio-économiques internes et l’augmentation de la puissance de la Chine vecteur de son audience internationale, tous deux largement plébiscités par l’opinion, favorisent le pouvoir du parti et son audience.
A cet égard, un sondage du Pew Research Center datant d’il y a un an montrait que 70% des Chinois étaient satisfaits du rôle international de la Chine et que 60% se félicitaient de son importance croissante dans l’économie de la planète. En même temps, tout à fait en phase avec « les caractéristiques chinoises », 70% considéraient que le pays devait se protéger des influences étrangères.
En revanche, plus de 55%, jugeant que le pouvoir devrait plus se focaliser sur les problèmes internes du pays, craignaient que les querelles avec les voisins ne dégénèrent en conflit.
Les nouvelles conditions du pouvoir.

Au printemps 2017, des actionnaires de la classe moyenne votèrent contre l’ingérence du parti dans la société immobilière publique Tianjin Reality. Détenant 36% des parts, ils bloquèrent la décision d’établir un comité du parti au sein de la société. L’incident prenait le contrepied de la volonté de Xi Jinping de renforcer le pouvoir du parti au sein des groupes publics.
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A l’intérieur encore, l’explosion de la classe moyenne dont les préoccupations sont relayées par Internet crée une demande accrue pour un meilleur accomplissement individuel, encore plus de libertés à l’écart du parti et de plus grandes exigences sur les questions de sécurité alimentaire et de pollution.
Plus encore, ayant conscience des écarts de conditions et de revenus en hausse, l’opinion accepte de moins en moins les vastes corruptions qui rongent des pans entiers de la bureaucratie et des milieux d’affaires. Au printemps 2011, à Pékin et dans les 12 plus grandes villes de Chine, les exigences publiques nouvelles de responsabilité et de transparence inexistantes dans le système du parti unique ont produit la « révolution de jasmin » attisée par la réactivité et l’ubiquité d’internet.
Sur les nouvelles exigences de la classe moyenne et le contrôle du pays, lire nos articles de 2011 et 2016 qui montrent l’évolution de la classe moyenne.
Les extraordinaires défis de la classe moyenne.
L’éveil de la classe moyenne. 225 millions de Chinois, objets des attentions du régime.