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›› Editorial

La Chine agressive et conquérante. Puissance, fragilités et contrefeux. Réflexion sur les risques de guerre

Priorité aux intérêts chinois. Vigilance intérieure et fidélité aux « Nouvelles routes de la Soie ».

Dans un contexte où il serait erroné de croire qu’en Chine, parmi les intellectuels, l’hubris de puissance anti-occidental fait l’unanimité, le premier souci du régime est de réparer les blessures socio–économiques de la pandémie (chômage, baisse des investissements étrangers, faillites d’entreprise) et d’éviter qu’elles se dilatent en crise politique.

En visite dans la province du Shaanxi chère à son cœur nationaliste, Xi Jinping a exhorté à restaurer la productivité de la machine industrielle et à poursuivre la lutte contre la pauvreté qu’il avait promis d’éradiquer complètement cette année.

Selon les statistiques, la reprise est en cours avec cependant toujours une information tronquée sur la réalité des dégâts provoqués par la crise. Lire : Reprise économique et risques sociaux.

A dix jours de la réunion annuelle de l’ANP reculée au 22 mai, le parti se met en ordre de marche pour, à l’intérieur, tenir à distance les contrecoups socio-économiques de la pandémie dans un contexte général où, déjà, s’amorçait un mouvement de retrait des investissements étrangers. Lire : Assainissement des finances, effets de la guerre commerciale et impact du crédit social des entreprises.

A l’extérieur, le Parti restera les yeux fixés sur le grand projet emblématique des nouvelles routes de la soie (2/3 de l’économie mondiale) où il devra cependant protéger les projets des vents adverses.

En Afrique où la pandémie a augmenté la vulnérabilité financière et aggravé la dépendance à la dette chinoise ; en Asie du sud-est où hormis le Myanmar, le Laos et le Cambodge, la méfiance à l’égard de la puissance chinoise créera des obstacles. En Europe, où en dépit des succès chinois en Italie, en Grèce et dans les PECO, la défiance envers les investissements chinois que désormais Bruxelles passe au crible, constituera un frein aux ambitions de Pékin.

En Amérique du sud, la trace chinoise s’est élargie dans les Caraïbes, au Costa Rica, au Panama au Pérou, au Brésil en Equateur, en Argentine, en Bolivie et en Colombie.

Pour autant, marquée par un a priori idéologique anti-américain, et prenant ouvertement leurs distances avec la démocratie et la responsabilité sociale des entreprises, les grands projets d’infrastructure chinois, ponts, routes, voies ferrées, porteurs d’une quête d’influence stratégique, expriment aussi un appétit croissant pour les ressources de pétrole et gaz, au Brésil, en Argentine, au Venezuela, au Pérou, en Colombie, en Equateur, et en Bolivie.

Plus encore, l’engagement chinois dans nombre de pays sans références démocratiques sérieuses crée des vulnérabilités liées à l’instabilité, à l’absence de transparence et à la corruption des systèmes politiques. Lire : Venezuela : de la « Realpolitik » aux rapports de forces. Les « caractéristiques chinoises » à l’épreuve.

Globalement, même si pendant la pandémie, Pékin a conclu des accords avec la Turquie, le Myanmar et le Nigeria – les 2 derniers liés à la quête d’énergie -, le premier, aux portes de l’Europe dans un pays membre de l’Otan dont les relations avec l’UE et Washington se sont récemment aigries [5], les projets des nouvelles routes de la soie seront à court et moyen terme confrontés aux défis liés aux ruptures de la connectivité provoquées par la pandémie. (Selon un rapport de l’Economist Intelligence Unit, Covid-19 fera dérailler Belt and Road en 2020.) L’ampleur des défis resteront cependant à mesurer.

Les premières difficultés sont sensibles en Afrique toujours à propos des risques posés par la dette [6], cependant variable selon les pays (cités plus haut), et, récemment, contre l’empreinte charbon et anti-écologique des centrales thermiques chinoises. Lire : COP 21 : entre illusions et scepticismes. Réalités et limites des contributions chinoises.

Ailleurs apparaissent les premiers retards pour le TGV Jakarta – Bandung (150 km à 6 Mds de $), le corridor pakistanais, ainsi que les projets au Sri Lanka et au Bangladesh.

*

Alors que l’Occident s’interroge sur sa cohésion et l’efficacité de son système politique, l’image que la Chine diffuse d’elle-même est devenue inquiétante.

Agressive, ultranationaliste, articulée aux empiètements financiers et commerciaux sur les plates-bandes occidentales en Afrique, au Moyen Orient, en Amérique du sud et même en Europe, faisant souvent étalage de sa force militaire, la Chine de Xi Jinping qui ne cesse de se référer aux humiliations infligées par les Occidentaux au XIXe siècle, a tourné le dos à l’injonction de discrétion, héritage de Deng Xiaoping qui conseillait de « cacher ses éclats et de cultiver l’ombre 韬光养晦 ».

Ce n’est pas la première fois que, dans l’époque récente, la Chine brandi sa fureur nationaliste. Mais récemment, elle ne l’avait agitée avec cette force que contre le Japon. Cette fois, sa cible est clairement l’Occident tout entier.

La rivalité sino-américaine remise en perspective.

En réalité, s’il est vrai qu’aujourd’hui attisée par les accusations américaines, le nationalisme anti-occidental s’exprime avec une rage particulière rarement observée depuis les années 70, l’esprit de compétition avec l’Occident nourri du souvenir des humiliations, souvent dilaté en hostilité, est l’arrière-plan permanent de la pensée stratégique chinoise depuis 1949.

Il hante les réflexions du Parti depuis le « Grand bond en avant » de la fin des années 50 qui formait le projet de rattraper l’Angleterre en 15 ans, jusqu’au néo-conservatisme des « Caractéristiques Chinoises » du 19e Congrès en octobre 2017. Dernière construction idéologique du parti unique, les « caractéristiques », ouvertement anti-démocratiques et opposées à l’Occident dont le parti redoute l’influence politique, sont une construction idéologique, antidote chinois aux influences des États-Unis et de l’Occident.

Trempée dans la puissante alchimie de la longue pensée philosophique chinoise confucéenne, donnant la prévalence au collectif identifié à l’intérêt national, devenu par osmose l’intérêt du parti, aujourd’hui dopée par les résultats économiques, la pensée exprime une alternative globale à la domination de l’Amérique.

En 1999, - qui fut aussi par coïncidence l’année de la destruction par un missile de croisière américain de l’ambassade de Chine à Belgrade - deux officiers de l’armée de l’air, Qiao Liang et Wang Xiangsui signèrent un ouvrage intitulé « La guerre hors limites 超限战 - » publié en Français chez Payot et Rivages en 2003 -.

Les dangers de l’obsession de souveraineté et les risques d’un conflit militaire.

La réflexion, objet de quelques grands malentendus dus à la mauvaise interprétation du titre, ne spéculait pas sur un affrontement militaire brutal et direct, mais théorisait la nature multiple des conflits modernes pouvant prendre la forme d’une guerre économique, d’intrusions informatiques, d’opérations d’espionnage, de manœuvres de désinformation ou même de prises de participations financières dans les sociétés occidentales.

Autant d’opérations obliques, souterraines, sur les arrières ou de conquête des esprits, que la Chine déploie depuis des lustres, en se conformant à l’enseignement de Sun Zi pour qui le meilleur général est celui qui remporte la victoire sans combattre.

Sur ce thème des stratégies obliques évitant l’affrontement direct, l’interview récent du Général à la retraite Qiao Liang, l’un des auteurs de la « la Guerre hors limites » qui précisément prônait une stratégie asymétrique où l’affrontement armé ne tient pas le haut du pavé, mérite attention.

Répondant à des journalistes du magazine chinois Bauhinia édité à Hong Kong, alors même que le CICIR évoquait clairement le risque de conflit direct, analysant longuement les faiblesses de l’Amérique, certes championne des hautes technologies mais gravement désindustrialisée, Qiao Liang met en garde contre le risque de se laisser aller à relever le défi d’une guerre militaire ouverte contre l’Amérique. « 我们不应该跟着美国的节奏跳舞 – Nous n’avons pas à danser au rythme des Américains ».

Le message est ambigu, mais résonne tout de même comme une invitation adressée au Parti à ne pas se détourner de son objectif de renaissance nationale « fuxing 复兴 » [7] par l’obsession de souveraineté dont la question taïwanaise est le symbole emblématique. « La renaissance de la Chine, dit-il, de doit pas être stoppée par un conflit militaire 中国的复兴虽未必会被此一战打断 ».

Pour Qiao Liang, le moment d’un affrontement militaire n’est pas venu. Et les risques liés à un engagement armé direct trop importants. « La renaissance nationale ne se résume pas à la question de Taïwan. Elle n’en est même pas le point essentiel 台湾问题并非我复兴大业的全部内容,甚至连主要内容都谈不上 ».

« Le point clé de la grande cause de renaissance nationale est le bonheur des 1,4 milliards de Chinois. 复兴大业的主要内涵是十四亿人的幸福生活 » (…) « Tout le reste doit céder le pas à cet objectif, y compris la solution de la question de Taïwan 一切都必须给这一大业让路,包括台湾问题的解决. »

*

L’interview, dont la première partie est une longue description des fragilités de la puissance américaine, ne manque pas de critiquer le « Taïwan Act » (lire : Chine – Taïwan – Etats-Unis, sérieux orages en vue.) et ses provocations, tout en s’interrogeant sur la détermination des Américains à se porter au secours de l’Île en cas de conflit.

En même temps, Qiao qui n’est pas un pacifiste, mais considère que le risque d’une déclaration d’indépendance par Taïwan est faible, prend ses distances par rapport aux empressements prônant une solution militaire urgente qui, dit-il, pourrait priver la génération actuelle de la fierté du retour de puissance stratégique globale de la Chine.

Si on compare son discours doutant de l’usage de la force et prônant la patience, à la solennité de la mise en scène militariste de Xi Jinping à l’attention des Taïwanais, le 2 janvier 2019 (lire : Les défis de l’obsession réunificatrice.) à l’occasion du 40e anniversaire de la proposition « Un pays 2 systèmes » par Deng Xiaoping, on ne peut que constater une divergence.

Note(s) :

[5Présence de 1000 compagnies et de 3 banques chinoises, dont ICBC et Bank of China - et prise de contrôle du terminal de Kumport à 50 km à l’ouest d’Istanbul par COSCO pour un total de 2,8 Mds d’investissements prévus au total.

[6Selon la Banque Mondiale, les pays les plus touchés sont l’Éthiopie, le Mozambique, le Tchad, la RCA, le Cameroun, le Sud Soudan, le Zimbabwe, et l’Angola. L’excès d’endettement à la Chine créant une dépendance politique attise les oppositions internes, facteurs d’instabilité.

[7Le concept de renaissance qui croise celui du rêve chinois traverse l’histoire de la pensée chinoise depuis Confucius. Son ressort est à la fois moral, culturel, social et économique. Aujourd’hui, le nationalisme y ajoute la puissance et la capacité d’influence globale, contre celle de l’Occident.


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