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La France en Chine du XVIIe siècle à nos jours. Par Bernard Brizay

Confusions, erreurs de jugement et faiblesse des perspectives

Enfin, il faut signaler deux éclairages éloquents de Brizay qui montrent, pour le premier, l’ampleur des confusions et des erreurs de jugement en même temps que les querelles de chapelle et, pour le second, l’absence d’unité et de vision à long terme de notre politique.

Le premier est la « fausse bonne idée » du chemin de fer du Yunnan, emblématique cheval de bataille de Paul Doumer résident général au Vietnam. Le futur président de la République qui voyait en effet la Chine sous l’angle unique d’un territoire colonial à conquérir, imagina que la voie ferrée Hanoi – Kunming serait l’artère logistique d’un rattachement ultérieur fou et ambitieux de la province chinoise du Yunnan au Tonkin, devenus tous deux territoires français.

Il reste aujourd’hui une voie ferrée étroite dégageant un formidable attrait pittoresque et nostalgique, immortalisée par le style haletant et extraordinairement imagé de Lucien Bodard, dans « Le fils du consul » Grasset 1973. C’était un mirage écrit très justement Brizay. En fait, l’illusion était double. Celle du rattachement colonial d’abord qui commettait un contresens sur la nature même de la Chine et notre capacité à la dominer ; Celle de la logistique ensuite qui ambitionnait de concurrencer par ce petit chemin de fer à voie étroite, le majestueux fleuve bleu puissante artère jugulaire reliant le Yunnan et le Sichuan à Shanghai. Mais ceux qui voyaient clairement ces erreurs et les dénoncèrent comme Auguste François, n’étaient pas écoutés.

Le chemin de fer, merveille technique qui enjambe par d’audacieux enchevêtrements métalliques une longue série de gorges rocailleuses escarpées, nécessita, pendant six années, le travail de 15 000 coolies, des tonnes de matériel et beaucoup d’argent. Une fois réalisé, il suscita l’admiration sans bornes de ses promoteurs et de ceux qui, subjugués par la beauté du geste technique, furent séduits par la propagande officielle.

Mais au total, souligne Brizay avec une cruelle ironie, la voie ferrée ne devint pas l’artère logistique de contournement capable de faire pièce à la pénétration anglaise par le Yangzi. Pire encore, citant « Les Grandes Murailles » de Bodard, il ajoute que, pendant notre guerre d’Indochine, « la partie chinoise du chemin de fer (…) était régulièrement parcourue par des trains qui apportaient du matériel, de l’armement, des vivres au Vietminh et permit la victoire de Diên Biên Phu, contribuant ainsi à l’humiliation, a la déroute, à la catastrophe des Français ».

La destruction ordonnée par Jules Ferry de l’arsenal de Fuzhou, construit avec le concours essentiel de l’officier de marine français Prosper Gicquel constitue l’autre signe et non des moindres des incohérences françaises dans cette partie du monde. L’anéantissement en quelques heures, le 22 août 1883, par la flotte de l’amiral Courbet d’une œuvre française, solide, exemplaire et de longue haleine, fut un des dégâts collatéraux de la 2e guerre franco-chinoise entre 1883 et 1885.

Il survint au moment même où la France était en train de se tailler une réputation à sa mesure d’expert en industrie navale, dans une Chine qui, sous l’égide des ses plus brillants militaires et hommes politiques, avait sollicité le concours d’ingénieurs français pour se doter d’une marine de guerre moderne. Pour René Viénet cité par Brizay, la campagne militaire contre la Chine décidée par le gouvernement français sous la pression des Boulangistes qui s’étendit des côtes du Fujian à Taïwan « a ruiné pour plus d’un siècle les relations entre la France et la Chine, déjà mal en point depuis le sac du palais d’Eté par les troupes de Napoléon III assistées des troupes britanniques ».

Les raisons exactes de cette bévue restent à élucider. Brizay soulève une partie du voile qui découvre un enchevêtrement de situations, d’initiatives, de querelles entre groupes de pression, de rivalités de pouvoir, fond de tableau gaulois de la politique intérieure française où on distingue mal les intérêts à long terme du pays. A quoi s’ajoutent quelques fausses manœuvres diplomatiques à l’origine de graves malentendus quand des négociations de première importance avec la Chine furent, selon une manie bien parisienne, confiées à des plénipotentiaires sans expérience ni talent.

Avec une direction clairement établie, indépendant des lobbies, débarrassée des scories parasites de l’idéologie ou des égocentrismes démesurés, peut-être Paris aurait-il pu, comme les hommes politiques français le suggéraient d’ailleurs eux-mêmes, concilier habilement nos pénétrations au Vietnam et en Chine.

Photo : Prosper Gicquel (1835 - 1886) créateur de l’arsenal de Fuzhou, détruit par la France en 1884.

Un bilan mitigé.

De cette somme d’informations, de dates, de détails, de situations, de personnages flamboyants, honnêtes ou retors, agissant au milieu d’une suite de contradictions, d’ambitions et de rêves souvent déçus, il faut tenter une synthèse qui sera forcément partielle. Trois idées force surnagent : l’échec de la tentative élitiste des Jésuites, la distance avec la métropole qui semble sans cesse avoir agi comme un frein à notre engagement et, enfin, l’inexorable sentiment de déclin au fil des siècles de notre position et de notre influence en Chine qu’il est facile de mesurer aujourd’hui, tant elle saute aux yeux.

La trajectoire de la chute fut à peine freinée en 1964 par l’initiative du Général De Gaulle de reconnaître la Chine de Mao, au milieu d’une situation politique interne mal connue, bouleversée par les affres du Grand Bond en avant et sur le point de sombrer dans le chaos de la révolution culturelle noyée dans les slogans et les malentendus idéologiques. Ainsi l’effet psychologique, sentimental et politique de la reconnaissance gaullienne qui fit suite aux visites dans une Chine opaque et tourmentée d’Edgard Faure en 1957, de Mendes France (avec Roland Dumas) en 1958, de Mitterrand (1961), et à nouveau d’Edgard Faure en 1963, n’eut-il, au rebours de ce qu’en dit la propagande officielle en France et en Chine, qu’une existence assez courte.

La lune de miel dura en réalité à peine 15 années. Encore les premières années après la reconnaissance furent-elles marquées par les débordements de la révolution culturelle. Dès 1966 sur les murs de Pékin avaient fleuri des affiches où on traitait De Gaulle de « Chien ». La Chine rouge entrait dans une phase convulsive déclenchée par Mao pour reprendre le pouvoir dont le Parti l’avait en partie dépossédé après la catastrophe du Grand Bond.

La transe, longtemps un mystère pour les observateurs extérieurs, fut accompagnée d’agressions physiques contre nombre d’étrangers. Elle se résorba progressivement à partir de 1969. En 1972, la visite de Nixon ouvrait de nouvelles perspectives qui allaient à terme ôter à la France les privilèges de l’antériorité diplomatique. Avec la disparition de Mao en 1976 prit fin l’ère des soubresauts idéologiques. Mais les à-coups dans la relation franco-chinoise n’en cessèrent par pour autant.

En 1989, la relation fut gravement secouée par la répression de Tian An Men puis, en 1992, par la vente à Taïwan des Mirage 2000-5 et des Frégates Lafayette. Il faudra attendre 1994 pour qu’elle redevienne normale après qu’Edouard Balladur ait promis de ne plus vendre aucun armement à Taipei.

Suivit une période plus riche marquée par des échanges initiés par Jacques Chirac dans le domaine des arts et de l’architecture moderne quand les opéras de Pékin et de Shanghai, l’aéroport de Pudong, la gare ferroviaire de Shanghai, l’espace piétonnier de la rue de Nankin à Shanghai furent tous attribués à des architectes français. L’apogée de cette période plutôt faste fut le succès des années culturelles croisées 2004 – 2005, en dépit d’importants problèmes de financements et d’un engouement plutôt mitigé des Chinois.

La relation qui continuait cependant à baigner dans les acrimonies d’un très fort déficit commercial attribué à la mauvaise volonté de la Chine accusée de ne pas jouer le jeu du marché, subit une nouvelle secousse en 2008, lors du passage de la flamme olympique chinoise à Paris dont la course fut sévèrement perturbée par des trublions qui manifestèrent en faveur du Tibet. En dépit des bonnes paroles qui spéculent sur la proximité sentimentale des deux pays, en partie à l’origine des désillusions, d’autres déconvenues viendront alors que Pékin tourne de plus en plus ses regards vers Washington.


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