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›› Chronique

La France et l’électro-nucléaire à Taiwan

Comment perdre quelques milliards d’euros ?

Le chairman de TPC de l’époque, le Dr Chang ChungChien débarqua donc à Paris en 1995 pour presser la Cogema d’accepter un acompte d’un milliard d’US $ dans le cadre d’un contrat pour l’enlèvement dès que possible de 3000 tonnes de combustibles usés.

Son argumentaire est alors simple : il est le dernier patron de Taipower à pouvoir prendre sans souci ce genre de décision, étant un ancien vice-ministre de l’économie et membre du comité central du KMT, disposant de relatifs pleins pouvoirs. Ses successeurs, explique-t-il, auront les coudées moins franches et l’opposition antinucléaire va croître et sera imprévisible. Pronostic qui s’est hélas vite confirmé.

Dans la foulée les deux vice-ministres de l’énergie atomique Wang ManChao et Liu KuangChi viennent confirmer que leur gouvernement appuyait pleinement l’offre de TaiPower.

Le premier baquet d’eau froide sera versé par l’administrateur général du CEA, Philippe Rouvillois, un énarque qui a déjà déçu à la tête de la SNCF (il n’est pas à sa place, pas plus à la SNCF qu’au CEA, mais c’est un ami de Jacques Chirac). Il déclare au vice-ministre Wang ManChao qu’il est hors de question que les combustibles usés de TaiPower soient accueillis en France pour y être recyclés.

Pour faire bonne mesure, il déclare à son interlocuteur, le vice-ministre taïwanais, lors d’un petit-déjeuner au siège du CEA, qu’il est hostile au recyclage des combustibles usés, et que s’il ne tenait qu’à lui l’usine de La Hague serait démantelée.

Il faudra plusieurs mois pour que Jean Syrota, légitimement furieux, obtienne que l’AG du CEA mange son chapeau et rédige une lettre en sens contraire, souhaitant la bienvenue aux combustibles usés de Taipower.

Mais, en interne, au sein de Cogema, malgré les instructions de Jean Syrota, entre quelques erreurs de jugement (et pertes de temps) de la branche retraitement et les peaux de bananes en rafales de la Direction commerciale, le projet de contrat attendu par Taipower traîne, se décrédibilise de manière absurde. Il s’étiole également pour une autre raison :

Viénet, menacé (par la direction commerciale) de devenir - après dix-huit années d’une exemplaire et remarquable efficacité - le binôme à Taipei d’un nouveau représentant qu’il juge inepte et dangereux, Philippe de l’Epine (un ancien porte-coton de L-F. Durret), préfère rendre son chapeau, prendre son chèque, et se lancer dans d’autres aventures intellectuelles et industrielles (création à Taipei d’une maison d’édition, puis d’une entreprise pharmaceutique).

C’est le moment où il écrit dans un courrier - resté fameux et que les cadres de Cogema font circuler avec gourmandise - que l’on a mal jugé Louis-Francois Durret, le Directeur adjoint commercial de la Cogema — en créditant à tort les Turcs d’avoir inventé le chiotte-à-la-turque : c’est Louis-François Durret qui en est le véritable et premier ingénieur, les Turcs n’ayant que rajouté un trou au milieu de la faïence.

D’autres avaient expliqué, avant l’aphorisme de Viénet, que Durret n’était qu’un trou du cul sans fesses, pour bien marquer que cette direction commerciale si elle ne dirigeait rien, avait malgré tout un pouvoir de nuisance, sa seule compensation existentielle.

Ce trait d’humour, qui reste amusant plus de vingt années après les premiers éclats de rire, est destiné à une respiration dans le cours de ce long article pour passer, après les indispensables rappels historiques, aux perspectives, en particulier à court et moyen terme.

Un contexte moins évident qu’il y a vingt années.

Le gouvernement formé après la réélection de (Mme) Tsai YingWen s’appuie sur une majorité absolue à l’assemblée législative. Il dispose donc de pouvoirs sans restriction (de ce côté). Faut-il rappeler qu’il est anti-nucléaire et méfiant à l’égard de la Chine (c’est un euphémisme).

Pékin n’a pas apprécié cette victoire inattendue du DPP, car survenant après sa déroute aux précédentes élections locales qui avait fait rêver Pékin (ce succès électoral de Tsai YingWen doit donc beaucoup aux évènements de HongKong, mais ce n’est pas le sujet de cet article). Il s’ensuit une tension évidente.

Nous sommes donc bien loin de l’époque (vers 1985-95) où les Taïwanais (avec profit pour tous) investissaient massivement en Chine et en fertilisait l’industrie et les exportations, où l’on se félicitait de l’épanouissement des liens comme l’internet, les relations postales, aériennes, les étudiants accueillis de part et d’autre, deux millions de Taïwanais établis en Chine et plus de trois millions de touristes chinois accueillis à Taïwan (soit dix mille par jour dans un sens, et autant dans l’autre).

Le triomphe électoral du DPP lors de la présidentielle et des législatives de janvier 2020 va sur ordre de Pékin réduire ce chiffre de touristes, mais ce n’est qu’une bouderie passagère — avant que le virus Covid-19 ne le réduise à zéro et donne à réfléchir fondamentalement sur les modalités de nouveaux échanges commerciaux et humains entre les deux rives du Détroit.

C’est donc dans de l’eau froide, très froide désormais, que tout projet doit être mitonné : comme le savent les cuisinières, la meilleure façon pour que le bouillon soit réussi c’est de mettre à cuire la viande dans l’eau froide, mais avec un bouquet-garni. La gastronomie appelée à la rescousse peut inciter à quelques prudents espoirs, mais à la condition que la cuisinière sache y faire.

Les premières étapes du démantèlement de ChinShan ont été engagées, par TPC et un contrat passé avec GNS pour un rôle de conseil, et la fourniture d’emballages pour certains éléments radioactifs ; mais pas encore les châteaux de transport double-usage (qui sont l’une des spécialités de cette entreprise allemande, en concurrence le moment venu avec trois autres possibles fournisseurs, dont Transnucléaire, ancienne filiale devenue une division d’Orano, l’ex-Areva conduit à une incroyable faillite par Anne Lauvergeon).

Ces châteaux double-usage vont devenir rapidement un enjeu engageant l’avenir car TPC (et sa tutelle, le gouvernement) vont devoir rapidement choisir entre trois options, relativement au démantèlement de ChinShan I et 2 :

Quel sort pour les combustibles usés ?

On revient à la case n°1, ou plutôt à la case n° 2, du feuilleton.

Lorsqu’il fut évident et confirmé à Taipower qu’Anne Lauvergeon n’avait aucune envie (pour des raisons qu’un autre article élucidera) de recycler un premier lot de 3 000 tonnes des combustibles irradiés de ChinShan et KuoSheng (renonçant à une recette à court terme de trois milliards d’€ environ, au double dans les années suivantes), il faudra procéder dans les piscines des quatre réacteurs du Nord de l’île à de coûteux travaux de densification des grappes de combustibles, au moyen de reracking (une nouvelle conception des paniers), de modification de la chimie de l’eau des piscines, et d’un renforcement des structures.

La saturation deviendra maximale, au point de renoncer à l’une des règles de base de la sureté nucléaire, la « réserve de cœur », c’est à dire la disponibilité dans chaque piscine d’un espace permettant, à tout instant, en cas d’urgence, de décharger en piscine le cœur du réacteur.

Et TPC va devoir, malencontreusement, lancer un appel d’offres pour un entreposage intérimaire à sec sur site.

A contre-rôle, Areva - leader mondial du recyclage - se porte alors candidat à la fourniture d’une technologie, d’une philosophie devrait on écrire, alternative que la France ne connaît pas, si ce n’est pour avoir récemment acquis une entreprise américaine pour répondre aux besoins spécifiques du marché américain. Ayant remis une offre, absurdement gonflée, Anne Lauvergeon (il est temps d’étiqueter les erreurs et des échecs aussi coupables, en bracelet à la cheville de leurs concepteurs) sera éliminée, au profit de NAC.

Pour autant, la première tranche des sarcophages édifiés à quelques dizaines de mètres des réacteurs ne seront jamais remplis, c‘est à dire que les piscines ne seront jamais vidées même très partiellement de leurs combustibles usés :

A Taïwan, les élus locaux ont un pouvoir considérable, dont celui d’autoriser ou non certaines opérations industrielles, y compris et en particulier sous le prétexte de conformité avec de plus ou moins futiles détails réglementaires.

Le magistrat élu du Taipei County (devenu depuis la municipalité de New Taipei City), Eric Chu LiLun, quoique KMT et pro-nucléaire, pour bien manifester son opposition à l’entreposage à sec sur site, refuse même que ces sarcophages soient testés sans combustible, simplement avec des résistances électriques pour simuler les dégagements de chaleur.

Conçus pour un interim d’un demi-siècle, un siècle tout au plus, ces sarcophages nécessitent à la fin de cet entreposage relativement bref des installations de reprise des combustibles vers une solution pérenne (ou un recyclage).

Dans les deux options, il faudra in fine re-transvaser les combustibles usés dans des casks (en français « châteaux de transport ») ce qui suppose un bâtiment spécial et des installations adéquates.

Pourquoi alors ne pas favoriser d’emblée une solution de dual-use casks, de châteaux double-usage, entreposage et transport ? C’est la solution optimale que les électriciens suisses, et d’autres, ont retenue.

Tourneboulés par les lauvergeonneries françaises, les cadres de Taipower et de l’Atomic Energy Council du gouvernement taïwanais, n’y songent pas et vont le regretter très vite.

Une fois la calamiteuse patronne d’Areva vidée - après onze longues années d’incroyablement coûteuses lauvergeonneries - pour rester poli, policé et polisson plutôt que policier — son successeur (quoique très réticent à l’égard de Taïwan) accepte une proposition de Taipower de prendre en charge 180 tonnes de combustibles usés, en urgence.

Pour les électriciens taïwanaises il s’agît surtout d’évacuer très vite le minimum de combustibles usés qui permettrait aux réacteurs du Nord de l’île d’aller jusqu’à leur fin de vie nominale. Et, accessoirement, de démontrer que le recyclage reste une voie possible, ouverte pour l’avenir. L’opération est donc qualifiée de « pilote ».

Pour être rapidement et discrètement conclu, TPC lance l’appel d’offres (très théorique, il n’y a qu’un seul prestataire possible) à la veille du long congé du nouvel an chinois, en espérant passer inaperçu. Quelques députés DPP, anti-nucléaires, ne s’y trompent pas et dénoncent illico la manœuvre, mettant en demeure le ministre des affaires économiques de l’annuler. Ce qu’il s’empresse de faire.

Si ces 180 tonnes avaient été entreposées dans des châteaux double-usage dans le cadre d’une procédure technique banale (donc prêts à quitter l’île à tout moment) et l’appontement de ChinShan mis aux normes pour l’accostage d’un navire de l’armement franco-britannique qui assure la routine de ce genre de transport entre l’Europe et le Japon, malgré la surfacturation imposée par Areva, ce pilote aurait peut-être pu être lancé et aboutir, toléré par l’opposition anti-nucléaire.

Mais Taipower paye cher l’impréparation (et quelquefois l’incohérence) des fonctionnaires concernés de Taipei qui n’ont pas l’information ni la formation pour conduire et gérer le bilatéral franco-taïwanais — certes incohérent, opaque, et nauséabond, depuis les ventes d’armes françaises.

Ces ventes avaient été encouragées par Washington, mais abandonnées du coté français aux pires magouilleurs de ce métier sensible. Ils vont shunter (quand ils ne les oblitèrent pas) les fonctionnaires français officieux en poste à Taipei, laissés sans réelles instructions du Quai d’Orsay, qui est sournoisement manipulé par Roland Dumas (Déjà cité ci-avant, se reporter au compte-rendu des mémoires de l’ambassadeur Claude Martin dans Question Chine).


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Par Pieter Stern Le 25/02/2020 à 17h55

La France et l’électro-nucléaire à Taiwan

Un de vos meilleurs articles et ça n’est pas peu dire. Encore un exemple édifiant du brio de la France à l’étranger !

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