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Le « Grand Jeu » global. Inversion des normes stratégiques. Réalités économiques et Incertitudes

Tachkent 2016, dans la foulée d’UFA 2015.

Le 23 juin à Tachkent où, durant la dernière cession annuelle de l’OCS, l’Inde et le Pakistan ont rejoint l’organisation. La photo montre Xi Jinping et Vladimir Poutine, les deux « parrains » actuels de l’organisation face au président mongol Tsakhiagiin Elbegdorjn à droite, également candidat à l’OCS. Derrière Xi Jinping on remarque, à sa droite Wang Hunning et à sa gauche Li Zhanshu, ses conseillers politiques qui l’ont suivi pendant tout le voyage en Europe, Pologne et Ouzbékistan. Derrière Li Zhanshu, à sa gauche, le ministre des AE Wang Yi.

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Hélène Nouaille signale que l’apogée de cette connivence anti-américaine dessinant une alternative à l’omnipotence de Washington eut lieu lors du double somment des BRICS et de l’OCS organisé par Vladimir Poutine du 8 au 10 juillet 2015, à Ufa, en Bachkirie à 1200 km à l’Est de Moscou. La suite de l’analyse reprend une partie de l’article signé de la rédaction de Question Chine mis en ligne le 17 octobre 2015 (Les malentendus de la relation Chine – Russie – Syrie), que nous croyons utile de reproduire pour la clarté de l’exposé.

L’épisode d’Ufa avait été perçu par nombre d’observateurs comme le dernier symbole en date de la contestation de l’hégémonie de Washington. Il rassemblait autour des présidents russe et chinois les chefs d’État de l’Afrique du Sud, de l’Inde et du Brésil accompagnés par ceux de 4 pays d’Asie Centrale et leurs homologues d’Afghanistan, d’Iran, d’Inde, de Mongolie, du Pakistan, venus en observateurs, mais dont certains, comme l’Inde, la Mongolie, le Pakistan et l’Iran, avaient déjà entamé les procédures d’entrée à l’OCS.

Ayant mis sous le boisseau les rivalités sino-russes en Asie Centrale, l’exercice de haute diplomatie suivait plusieurs années fertiles en tensions entre, d’une part les Occidentaux et les États-Unis et, de l’autre, la Chine et la Russie sur la question ukrainienne, la Syrie et l’Iran, à quoi s’ajoutent les raidissements militaires en mer de Chine du sud entre Pékin et Washington. Dans ce contexte, le sommet d’Ufa est apparu comme la matérialisation d’une stratégie parallèle concurrente des anciens schémas occidentaux d’organisation du monde.

Connivence anti-américaine des régimes autoritaires.

Le 25 juin, Vladimir Poutine a été reçu à Pékin avec faste par le président Xi Jinping. Le n°1 russe espère une augmentation des importations chinoises et plus d’investissements chinois en Russie. Les deux ont publié un communiqué accusant, sans les nommer, les Etats-Unis d’avoir « affaibli le système de sécurité global » par un « abus d’usage de la force et en s’arrogeant des avantages décisifs par le truchement de technologies militaires avancées ». La déclaration faisait allusion aux projets de déploiement de missiles anti-missiles de théâtre en Corée du sud. Lire Le THAAD du Pentagone est en Corée et le HQ-9 chinois dans les Paracel. Jeu de missiles et parfum de guerre froide. La photo est parue, le 27 juin, dans un article du Monde signé Brice Pedroletti.

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La tendance née au milieu des années 90 s’accélère et se lit dans la succession des veto posés conjointement à l’ONU depuis 8 ans par Moscou et Pékin contre les propositions occidentales (mais pas seulement) sur les situations politiques au Myanmar (janvier 2007) et au Zimbabwe (2008), qui furent suivis d’une rafale de 4 veto chinois et russes sur la question syrienne entre 2011 et 2014. Chaque fois le refus sino-russe s’opposait à une initiative américaine ou occidentale.

Au moment où Washington et les autres membres du P5+1 venaient de signer à Vienne un accord nucléaire avec l’Iran, principal soutien de Bachar el Assad au Moyen Orient, la connivence sino-russe sur la Syrie et la présence de Téhéran à Ufa confirmaient l’intention d’une stratégie alternative, d’autant que, par ailleurs, les conditions de l’accord avec Téhéran recoupent la position toujours défendue par Pékin et Moscou, par principe opposés aux sanctions.

Enfin, les riches ressources des pays de l’OCS (25% du pétrole mondial, 50% du gaz naturel, 35% du charbon et 50% de l’uranium), rappelées par Poutine lors du sommet de Tachkent à quoi s’ajoutent le poids démographique de 45% de la population du globe, donnent du poids à la manœuvre dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle trouble le jeu des Occidentaux et de Washington.

D’autant qu’à l’époque, le sommet avait été accompagné par les frappes des Sukhoi russes en Syrie et l’engagement au sol de l’armée iranienne contre Daesh dont John Kerry vient de reconnaître l’utilité (« helpful ») dans une interview donnée le 29 juin lors du festival des idées d’Aspen au Colorado.

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Enfin, observant les rivalités qui montent, la vérité oblige à dire qu’une majorité de pays de l’OCS sont en froid avec leurs sociétés civiles et leurs oppositions qu’ils accusent de se laisser manipuler par Washington par le truchement des trois puissant vecteurs.

1) le « National Democratic Institute for International Affairs (NDI) », lié à l’Internationale Socialiste, proche du Parti démocrate et financé par le Congrès sous couvert de l’organisation National Endowment for Democracy avec l’objectif dont on ne peut ignorer la sensibilité pour les régimes autoritaires, est de « promouvoir la démocratie », vu par les pouvoirs qui en sont les cibles, comme des « tentatives de subversions » ;

2) « L’International Republican Institute » (IRI), organisation homothétique de NDI, liée au Parti républicain financée par l’USAID, l’agence de développement américaine, œuvrant sous la surveillance directe de l’exécutif américain et de la sécurité nationale dont le but est identique à celui de NDI et dont l’histoire, révélée par le fuites de Wikileaks est entachée d’ingérences troubles contre des régimes étrangers entre autres, en 2002 contre Hugo Chavez au Venezuela, en 2004 contre le dictateur Haïtien Jean-Bertrand Aristide évincé par un coup d’État et, en 2006, contre Evo Morales en Bolivie.

3) Les émissions de « Voice of America » et des radios libres dédiées à chaque continent émettant dans la langue des pays cibles, la première financée par l’exécutif, les deuxièmes par le Congrès. Tous les pays de l’OCS et en premier la Russie et la Chine ressentent le poids déstabilisateur de ces émissions venues d’ailleurs, diffusées dans leur propre langue qui dénoncent les abus contre les droits et mettent souvent le régime en porte à faux.

Symétries politiques entre Moscou et Pékin.

Entre Pékin et Moscou, la communauté de vues s’enracine dans l’histoire et sa continuité. Tout comme Poutine critique la « déstalinisation », le Président chinois rejette becs et ongles la « démaoïsation », considérant que la rupture historique et la condamnation du passé furent les principaux ferments de la chute de l’URSS.

Par ces temps de difficultés socio-économiques en Chine, le Parti qui craint pour sa pérennité, présente plus que jamais Gorbatchev comme le fossoyeur responsable de l’éclatement de l’Empire soviétique et, à l’inverse, Poutine comme un héros capable de tenir tête aux États-Unis et de restaurer le prestige de la Russie. Tandis que le n°1 russe se réfère à Yalta en même temps qu’à Staline, Xi Jinping redonne vie au mythe maoïste.

Soucieux de construire un récit national héroïque sans tâches qui conforte leur pouvoir, tous deux sont farouchement opposés à la repentance, aux ruptures historiques et, in fine, aux menées américaines conduites à leurs approches pour, s’appuyant sur la vérité historique et le droit international, fomenter, au nom de la démocratie à l’occidentale, des changements de régime à leurs portes.

Chacun aura compris que Moscou et Pékin ne voient pas les menées stratégiques américaines sur les marches de la Chine et de la Russie comme les vecteurs d’un progrès démocratique, mais comme la poursuite du vieux projet américain de la guerre froide « roll back Russia, contain China ».

C’est cet arrière plan qu’il faut avoir en tête si, dans le contexte actuel, on veut comprendre la portée du voyage de Xi Jinping confronté chez lui aux vastes défis de l’ajustement financier et industriel. Reprenant, à partir de Belgrade et Varsovie, la route de la soie de l’Europe vers la Chine, en passant par Tachkent, le président chinois a retrouvé Vladimir Poutine à Pékin le 25 juin.

Anémie des échanges hors hydrocarbures et armements.

Mais si la relation sino-russe se renforce en opposition aux intrusions de l’Amérique, il n’en est pas moins vrai qu’elle est aussi enracinée dans la matérialité des échanges commerciaux et industriels dont le chef du Kremlin a du reconnaître qu’ils étaient en recul en 2015, avec une baisse de 34,4% des exportations chinoises vers la Russie et un recul de 19,1% des exportations russes vers la Chine.

Au total le commerce bilatéral a reculé à seulement 64,2 Mds de $ en diminution de 27,8% par rapport à 2014. (Chiffres douanes chinoises).

Ainsi mesuré, les échanges entre les deux ne représentent que 21% du commerce Chine - Japon (également en recul de 11% en 2015, tombé à 303 Mds de $) et moins de 11% du commerce avec les États-Unis compté à 599,3 Mds de $ (en hausse par rapport à 2014 où il était à 592 Mds de $).

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Ainsi à Pékin, les discours de Poutine ont-ils mis l’accent sur le volet économique de la relation, espérant l’augmentation des investissements chinois en Russie, ainsi que de nouveaux achats d’hydrocarbures et d’armements. « D’une manière ou d’une autre tout se résume à l’économie » a t-il résumé à la fin de son entretien avec le premier ministre Li Keqiang. En arrière plan il y avait le souci russe de compenser l’exclusion de la Russie du G8 et les sanctions imposées à Moscou par Washington et Bruxelles.

La stratégie de compensation est lancée depuis la signature en mai 2014 du contrat géant de fourniture de gaz s’étalant sur 30 ans pour le prix total de 360 Mds d’€, accéléré par Poutine pour prouver sa liberté de manœuvre par rapport à l’Ouest.

Il est vrai que les investissements chinois dans l’énergie ont été importants depuis 2013. A l’automne 2013 une filiale de CNPC avait pris 20% des parts (778 millions de $) d’une usine géante de liquéfaction de gaz dans l’Arctique mise en œuvre par Novatek. En décembre 2015, SINOPEC a déboursé 1,3 Mds de $ pour 10% des parts de SIBUR, le n°1 russe de l’énergie.

Pékin a également promis des prêts pour terminer la ligne TGV de 800 km entre Kazan et Moscou. Mais la baisse des prix du pétrole et les sanctions occidentales ont créé des difficultés financières et attisé la prudence des chinois à l’origine du retard des projets.

Pour restaurer la confiance et faciliter les échanges, plusieurs mesures ont été prises à la suite de la signature entre les 2 banques centrales d’un accord de compensation pour les transactions en roubles et en yuans, suivi de la création d’une structure de financement des exportations chinoises en Russie et vers l’Extrême Orient russe.

Rebond de l’armement et de l’agriculture.

En revanche les exportations d’armements russes en chute depuis 2006 [3], ont rebondi en 2015, probablement à la suite du besoin de devises de Moscou. Le principal contrat a été la vente des missiles sol-air S-400 au printemps pour le prix de 3 Mds de $.

Lire aussi : L’Eurasie au cœur des rivalités entre Washington, Pékin, Moscou et Téhéran

En novembre 2015, les deux signaient un contrat de 2 Mds de $ pour la livraison à Pékin de 24 chasseurs SU-35, à quoi s’ajoutèrent nombre de petits accord portant sur des technologies duales et des projets de cyber-sécurité de lutte contre les intrusions informatiques et le vol de données.

Autre secteur en reprise, l’agriculture russe dont les exportations vers la Chine ont augmenté de 14% au cours des 6 premiers mois de 2016 évaluées à 1,2 Mds de $ en juin. Faisant preuve d’optimisme, Li Keqiang et son homologue Medvedev, l’ancien Président redevenu premier ministre, ont promis de porter le commerce bilatéral à 200 Mds de $ en 2020. Il est vrai que la persistance de la misère commerciale induit des doutes sur la pérénnité du rapprochement stratégique entre Moscou et Pékin.

Les inconnues du « Grand Jeu »

Comment se recomposeront les relations stratégiques futures ? L’Europe est hors jeu. La Russie revient dans ce concert. La suite est suspendue à de nombreuses inconnues, dont la relation entre Pékin et Washington rivaux et partenaires à 600 milliards d’échanges commerciaux par an, mais pouvant devenir des ennemis, est une des variables. La photo date du sommet de l’APEC à Pékin en novembre 2014.

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A moyen terme, Moscou et Pékin qui partagent le même goût pour l’autoritarisme politique et le même adversaire américain continueront à coopérer en arguant, comme le fait la presse chinoise, des avantages mutuels du rapprochement.

Mais, comme le souligne June Dreyer du Foreign Policy Research Institute, Il n’est cependant pas certain que les bénéfices en soient équitablement répartis, ni durables.

Les fissures existent déjà et sont connues, provoquées par les tiraillements à propos des captations par la Chine de technologies aéronautiques qui handicapent les exportations russes ; les ventes de sous-marins russes au Vietnam et de chars de combat à l’Inde ; les réticences russes lors de la création de la Banque Asiatique pour les infrastructures (Moscou ne figurait pas parmi la vingtaine de pays ayant cautionné le lancement de la banque en octobre 2014) ; les largesses financières accordées par les banques chinoises à l’Ukraine qui augmentent la capacité de Kiev a résister aux pressions de Moscou.

A quoi s’ajoutent 1) Les vieilles craintes des Russes d’une invasion démographique chinoise en Extrême Orient et/ou celles que la Chine exploite leurs difficultés économiques pour les supplanter en Asie centrale ;

2) Les tensions naissantes pour le financement des pipes acheminant le gaz russe en Chine, les banques chinoises inquiètes du retour des dettes toxiques objets des mises en garde du FMI, hésitant à prêter aux entreprises russes en difficultés financières et gênées par les sanctions américaines ;

3) La compétition sino-russe qui s’annonce dans l’Arctique où Pékin a réussi à se faire accepter dans le cercle du « dialogue arctique », faisant planer une menace directe sur les intérêts russes.

4) Un désaccord de fond, souligné par Jean-Pierre Cabestan, mais assez peu commenté, sur la pertinence de l’élargissement de l’OCS. Pékin plutôt réticent et Moscou plus allant, notamment avec en tête l’idée de noyer l’irrésistible influence économique chinoise en Asie centrale dans un réseau plus large.

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A l’avenir rien ne dit que ces fêlures ou d’autres se transformeront en craquements. Nombre de facteurs pourraient favoriser le partenariat ou le faire capoter. L’Europe étant pour l’heure en catalepsie stratégique, tandis que le jeu de Vladimir Poutine de redevenir pleinement un acteur global est une variable connue, une bonne partie des incertitudes renvoient aux questionnements sur la trajectoire chinoise à quoi s’ajoutent les incertitudes sur la stratégie à venir des États-Unis.

Parmi elles citons, mais la liste est incertaine et non exhaustive : la modification des stratégies américaines et la fin des sanctions contre la Russie et une coopération de Moscou avec les États-Unis en Irak et en Syrie ; une crise financière en Chine pouvant conduire à l’échec de quelques projets des nouvelles routes de la soie ; le développement du terrorisme au Xinjiang et l’aggravation de la situation au Pakistan, à quoi s’ajouterait la crispation des relations entre l’Inde et le Pakistan ou, au contraire, un repliement américain ; une aggravation des tensions entre Pékin et Washington ; un durcissement de la crise politique européenne ; le développement des projets sino-iraniens endossés par Moscou, New-Delhi et Islamabad ; une plus grande implication de Moscou aux côtés de la Chine sur la question de Corée du nord et en mer de Chine du sud.

Note(s) :

[3La principale raison du recul des exportations d’armes fut l’agacement des ingénieurs chinois après les captations de la technologie aéronautique des Sukhoi à la fin des années 90. Lire : Succès et problèmes de l’aéronautique militaire chinoise


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