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›› Editorial

Le Journal de Fang Fang. Documentaire et brûlot politique

Une radiographie des relations entre le pouvoir et le peuple.

Les billets de Fang Fang jettent une lumière crue sur les tensions entre le régime et le peuple qui dénonce les mensonges et les mises en scène. Lorsque Sun Chunlan (photo) membre du Bureau Politique et seule femme faisant partie de l’exécutif est arrivée à Wuhan, le 5 mars, elle fut accueillie par des protestations dénonçant les mensonges et les mises en scène “假的 ”.


*

Plus largement, l’épisode des 60 billets de commentaires quotidiens par Fang Fang durant la crise épidémique de Wuhan, leur publication dans un livre en Occident à partir d’avril 2020 et l’avalanche des commentaires chinois et étrangers sont une saisissante radiographie des relations du pouvoir chinois avec son peuple.

En même temps, la séquence souligne deux réalités. La première est la persistance de l’ancestrale méfiance du peuple à l’égard du pouvoir central dont le meilleur exemple fut peut-être la réaction de la population de Wuhan lors de la visite de Sun Chunlan 孙春兰, 70 ans, n°12 et seule femme du Bureau Politique.

Envoyée en pleine crise virale dans la capitale du Hubei où elle a représenté Pékin jusqu’à la fin de la crise, le 27 avril, elle y fut accueillie le 5 mars par les cris de la population aux fenêtres qui l’accusaient elle et le système de mentir et de travestir la réalité. « 都是假的 –tout est faux ».

Au-dessus des invectives lancées dans l’émotion d’une catastrophe provoquée par l’inertie initiale de l’appareil planent toujours, fond de tableau du déficit de confiance qui, en ces temps de grande crise globale n’épargne que peu de pays, les interrogations lancées par Fang Fang comme un pavé dans la mare, deux jours après l’arrivée à) Wuhan de Sun Chulan.

Répétons les, car en dépit de la propagande, elles constituent l’insistant symptôme de l’érosion de la confiance, principale hantise du pouvoir : « Qui a perdu du temps ? Qui a décidé de cacher la vérité au peuple ? Qui a menti pour sauver la face ? Qui a sacrifié la vie de la population aux considérations politiques ? Combien sont-ils à être responsables du désastre  ?

Pour autant, et il s’agit de la deuxième réalité révélée par les réactions chinoises à la publication en Occident du journal de Fang Fang, l’arrière-plan nationaliste de méfiance à l’égard de l’Occident et de solidarité patriotique réagit avec véhémence quand la Chine est critiquée de l’extérieur.

Au passage il faut reconnaître que l’obsession vénale des éditeurs qui n’hésitèrent pas à exagérer de manière caricaturale la censure dont Fang Fang fut seulement épisodiquement victime, donne une image peu flatteuse de l’objectivité occidentale venant pourtant de cercles qui se targuent de jugements impartiaux.

Enfin, s’il est vrai que, souvent, l’exaltation cocardière est orchestrée par la propagande, on aurait tort de croire qu’elle n’est jamais spontanée. Fang Fang, résolument appuyée à une conception réformiste de la politique, dénonça souvent l’ultragauche et le radicalisme conservateur, principaux obstacles aux progrès de la Chine vers la modernité politique.

De ce point de vue, son jugement rejoint celui de Madame Zi Zhongyun, 90 ans, politiquement intouchable, historienne et sociologue, ancienne spécialiste des études américaines à l’Académie des Sciences Sociales, le plus puissant centre de recherche du pays, qui récemment stigmatisait l’agressivité internationale de Pékin.

«  J’affirme sans aucun doute, que tant que les activités et la pensée renvoyant à la révolte xénophobe des Boxers recevront la caution officielle du pouvoir en l’assimilant à du patriotisme, et aussi longtemps que, génération après génération, nos compatriotes chinois seront éduqués dans cette mentalité, de “Loup guerrier“, il sera impossible pour la Chine de prendre sa place parmi les nations civilisées modernes du monde.  »

*

Si on prend la peine de mettre en perspective les actuelles crispations nationalistes de la mandature de Xi Jinping qui s’accompagnent d’une sévère mise au pas de la société chinoise on voit émerger une constante qui, depuis le XIXe siècle, calibre les relations de la Chine avec l’Occident.

Le fond de tableau balance entre les tenants du compromis y compris avec les valeurs essentielles de la démocratie et ceux partisans de la méfiance pouvant se dilater en agressivité hostile, au nom de la défense de valeurs culturelles rivales. Le monde moderne introduit cependant une différence de taille.

Aujourd’hui le débat surgit au moment où la démocratie qui, au milieu du XIXe siècle inspirait une partie des élites chinoises de premier plan comme Kang Youwei et Liang Qichao [5] a perdu sa force d’attraction. Le système politique hérité des Grecs et des Lumières qui fonde la marche des pays occidentaux est même devenu la cible de la politique étrangère chinoise.

Appuyée aux succès du développement accéléré depuis 40 ans, l’actuelle équipe au pouvoir propose depuis 2012 le modèle concurrent des « caractéristiques chinoises ». Un des intérêts du Blog de Fang Fang est qu’il rappelle quelques réalités du monde moderne puissamment interconnecté que la propagande et la censure ne peuvent occulter.

En un mot comme en mille, ses billets dessinent une évolution générale où le droit des individus et la confiance qu’ils accordent aux élites jouent un rôle déterminant.

A écouter : l’émission de France Culture : « La dissidence à l’age des virus.

Note(s) :

[5La pensée complexe de Kang Youwei a inspiré Mao qui, lui-même, luttant contre Tchang Kai-chek, prônait la « démocratie » avant de devenir un démiurge tyrannique.

S’inspirant du Bouddhisme et du Taoïsme qui influencèrent sa conception sociale proche du communisme et d’une vision eugénique de l’humanité, Kang n’était pas exactement « démocratique  » au sens où nous l’entendons aujourd’hui.

Mais, prônant avec Liang Qichao un modèle politique qui pouvait s’apparenter à une démocratie constitutionnelle mâtinée de démocratie directe et de philosophie chinoise, il incarnait une contestation du pouvoir central.


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