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›› Editorial

Le Journal de Fang Fang. Documentaire et brûlot politique

Raidissement nationaliste.

En Chine les réactions à la nouvelle des traductions ne furent pas uniformément homogènes. Sur le net, il y eut certes une forte vague hostile allant jusqu’à qualifier Fang Fang de « traîtresse  » et « d’opportuniste profiteuse au détriment de l’intérêt du pays ».

Mais les réseaux sociaux s’enflammèrent aussi au secours de la « blogueuse ». Fang Fang elle-même riposta vigoureusement aux attaques qu’elle qualifia « d’ultragauches 极左 » et de « réactionnaires 老革命 », un afflux appréciable de soutiens vint à sa rescousse. Fin mai, le nombre des messages échangés avec l’hashtag « journal de Fang Fang » dépassait les 360 millions.

Wang Wenting, doctorante rattachée à l’EHSS propose un décryptage soigneusement fouillé de l’impact politique du livre en Chine, y compris en analysant le contrecoup des réactions occidentales sur l’opinion chinoise.

L’auteur souligne d’emblée la portée de l’événement inédit ayant par une « puissance de feu maximale sur quatre plateformes numérique  » [4] subjugué la censure débordée par l’engouement de la population.

Avec rigueur, elle analyse les réactions chinoises à partir de trois mots-clés leitmotiv des réactions chinoises « extrême-gauchiste  », « nationaliste » et « patriotique  ». Les premières s’attaquèrent aux sous-titres et au commentaires des éditeurs. Aux États-Unis, Harper Collins (Rupert Murdoch) célèbre « la critique des problèmes politiques systémiques de l’autoritarisme chinois. ».

En Allemagne, plus agressif, Hoffmann und Campe qualifiait le journal de « témoignage unique de l’origine de cette catastrophe qui s’est propagée rapidement à travers le monde » et dénonce un « système perfide d’intimidation de dissimulation par un parti apparemment omnipotent mais confronté à la résistance déterminée des gens ordinaires  ».

Immédiatement, les réseaux sociaux âprement contrôlés par l’appareil qui s’offusquèrent de la présentation biaisée des faits, furent assez généralement hostiles.

Déjà rangée dans la catégorie des « traitres », Fang Fang est blâmée pour transformer les faits, étaler de manière impudique la misère, manquer d’objectivité, pour n’insister que sur les côtés sombres de la réalité et pour créer des controverses au pire moment. Portant la polémique sur le terrain politique, un colonel à la retraite de 69 ans, l’accuse de « défier  » le parti.

Le 25 mars, alors que Fang Fang avait mis fin à sa chronique, Zhang Hongliang 张宏良, 65 ans, universitaire à Pékin tenta une attaque décisive en appelant à dénoncer la classe politique ayant favorisé l’émergence du phénomène Fang Fang. Il manqua sa cible et ses appels eurent peu d’échos sur Weibo.

En revanche, alors que Fang Fang ripostait pied à pied contre les gauchistes 极 左 et les réactionnaires 老革命, le 27 mars ses appuis se manifestèrent par la publication sur les réseaux sociaux d’une chronique intitulée le « relais du journal de Fang Fang - 方方日记接力- », avec témoignages individuels de terrain confortant ses billets.

Mais il reste que la tonalité des présentations éditoriales révulsa la fierté chinoise en Chine et à l’étranger. A Wuhan les « jeunes bénévoles de Wuhan  » dénoncèrent les humiliations malintentionnées des éditeurs occidentaux.

Le 12 avril Zhang Yiwu professeur à Beida prenait directement à parti Fang Fang sur Weibo « Pourquoi l’éditeur allemand écrit-il – Das verbotene Tagebuch - Journal interdit, alors que c’est faux ? (…) Pourquoi laissez-vous publier un tel titre sur la couverture de votre livre ?  ».

Hu Xijin 胡锡进, 60 ans, ancien de Tiananmen, éditeur du Global Times 环球时报, surgeon du Quotidien du Peuple avait d’abord défendu la nécessité de « laisser s’exprimer le récit de la misère et de la souffrance qui ne devait pas être étouffé par le grandiose récit patriotique ».

Mais le 8 avril, il changea d’avis à la lecture des présentations éditoriales. « La publication précipitée aux États-Unis et dans les autres pays occidentaux sera exploitée contre la Chine  ». Fang Fang qui promettait de reverser ses revenus à des œuvres de charité fut contrainte de réagir en obligeant les éditeurs à modifier leurs textes de promotion.

A la mi-avril, un article du New-York Times qui s’était emparé de la polémique surgie en Chine sur le thème de la « liberté d’expression bafouée par le nationalisme », redonna une énergie à la controverse et aux insultes dont Fang Fang devint de plus en plus la cible. Sur Weibo un internaute se plaignit d’être accusé de « gauchiste » par Fang Fang et de nationaliste réactionnaire par le New-York Times.

En riposte, le camp des appuis à Fang Fang resta mobilisé. Parmi eux des « anciens  » mirent en garde contre le retour des affres de la révolution culturelle, tandis que les plus jeunes louaient la liberté d’expression. Le relais du journal de Fang Fang devint un forum à grand succès opposant les militants des deux camps.

Polémique française.

Le 22 avril, la controverse atteignit enfin la France quand l’éditeur annonça la sortie du journal pour septembre 2020, faisant lui aussi une promotion accrocheuse évoquant la contre vérité « d’un témoignage censuré en Chine  », qu’il fit néanmoins figurer dans le dossier de presse.

Enfin, début mai, la polémique se prit les pieds dans l’affaire de « la blogueuse française du confinement  » Leïla Slimani, lauréate du prix Goncourt qui, depuis la mi-mars tenait dans Le Monde un journal du confinement. Rédigée à partir de sa confortable maison de campagne en Normandie, la prose à l’eau de rose à prétention romantique tapait largement à côté de la plaque.

Alors que les lecteurs le critiquaient vertement, le blog de la franco-marocaine fut brutalement fermé le 3 avril. Aussitôt la mouvance nationaliste chinoise dont le carburant est la critique acerbe de l’Occident qu’elle accuse de partialité quand il dénigre la Chine, donna de la voix pour assimiler l’arrêt du Blog de Leila Slimani à une censure brutale - 封杀 fengsha -, sur le thème « les Français qui donnent des leçons de liberté d’expression ne se gênent pas pour fermer la bouche des critiques ».

Le 3 mai, un site internet individuel hébergé par le forum Diba 帝吧 ignorant que l’arrêt de la publication des feuillets de Leila Slimani n’avait rien à voir avec une censure politique, mettait en ligne un billet dont, en substance, la conclusion invitait les adeptes chinois de la liberté à aller voir la démocratie chez ceux qui donnent des leçons.

Note(s) :

[4Weibo (480 000 « followers » d’emblée ) ; WeChat 微信公众号 à travers le compte d’un self-media tenu par une amie romancière de Fang Fang installée aux Etats-Unis ; Jinri Toutiao 今日头条 ; Blog du magazine Caixin créé par Hu Shuli et connu pour ses reportages d’investigation audacieux et son positionnement politique libéral ; (lire : Hu Shuli, le Brexit, la démocratie et la Chine et Trois personnalités en vue, dont on parle beaucoup en Chine.


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