›› Editorial
Contre les autocrates et les réactionnaires.

Rappelant le décès du Dr Li Wenliang, disparu le 7 février à l’âge de 34 ans, que la police avait sermonné alors qu’il échangeait avec ses collègues sur le coronavirus dont les bureaucrates cachaient la virulence, Fang Fang dénonça les mensonges, la perte de temps et la mise en danger de la population pour des raisons politiques.
*
La « pensée unique autocrate » et « l’extrême gauche » Fang Fang y fut confrontée au moins à deux reprises pendant le confinement de Wuhan. Elle y répondit vertement. Le 7 mars d’abord quand les dirigeants de Wuhan demandèrent aux habitants de la ville de leur exprimer leur gratitude « 感恩 ».
Fang Fang qui trouva l’idée bizarre, exprima la colère des citoyens de la ville. « Si l’épidémie est en voie d’être sous contrôle » dit-elle, « c’est le gouvernement qui devrait être reconnaissant et non pas l’inverse. »
« Il devrait rendre grâce d’abord aux milliers de victimes, à tous ceux qui ont perdu des êtres chers et n’ont même pas encore pu leur faire de funérailles ; il devrait remercier tous les médecins et le personnel de santé qui se sont dépensés sans compter, et tous les bénévoles qui les ont aidés. »
« S’il vous plaît, Messieurs les gouvernants, abandonnez votre arrogance et remerciez humblement vos maîtres, les millions de personnes à Wuhan. - 政府, 请你们收起傲慢, 谦卑地向你们的主人----以百万而计的武汉人民感恩. »
Et cette lancinante suite de questions qui aujourd’hui n’ont toujours pas de réponses : « Qui a perdu du temps ? 是谁误了时间 ? Qui a décidé de cacher la vérité au peuple ? 是谁决定不将疫情真相告知民众 ? Qui a menti pour sauver la face ? 是谁为了面子上的光鲜, 欺上瞒下 ? Qui a sacrifié la vie de la population aux considérations politiques ? 是谁把人民的生死置于政治正确之后 ? Combien sont-ils à être responsables du désastre ? 是多少个人, 多少双手, 导致了这场灾难.
Dix jours plus tard, le 18 mars Fang Fang eut à faire face à l’extrême gauche quand une lettre publique anonyme fabriquée par le pouvoir, présentée comme celle d’un « Lycéen à sa tante Fang Fang » dénonçait à mots couverts la traitrise de la blogueuse de Wuhan.
La stratégie de riposte choisie par le régime fut la mise en scène d’une réaction populaire factice. Elle répondait à la nécessité d’une situation où la popularité de Fang Fang était telle que les autorités hésitèrent à la censurer [2] comme elles le firent pour d’autres lanceurs d’alerte tels Chen Qiushi ou Fang Bin, purement et simplement éliminés du paysage.
Dans sa lettre, le lycéen anonyme « faussement naïf » dit Brigitte Duzan, reprochait à sa tante de décourager la population et de se ranger du côté des Occidentaux ennemis de la Chine en pleine bataille avec l’Amérique.
Réactive, Fang Fang publia le jour même une riposte dont la teneur renvoyait à sa propre expérience d’une pensée enfermée dans l’idéologie férocement figée et univoque de la révolution culturelle qui réfutait la pensée indépendante et le libre arbitre. Lire : Fang Fang : « Réponse à la Lettre d’un lycéen à sa tante Fang Fang ».
Dénoncer le mensonge. Éloigner le spectre de la révolution culturelle.

Ayant été elle-même une militante de la révolution culturelle qui, dit-elle, commença quand elle avait 11 ans pour s’achever alors qu’elle en avait 20, Fang Fang analyse avec pertinence les méfaits de l’endoctrinement et de la pensée unique que dans ses billets, elle oppose à ses détracteurs.
*
Son billet relevait d’abord que « la ficelle » d’un texte spontané signé par un jeune de 16 ans était trop grosse pour être crédible. « Évidemment la lettre n’a pas été écrite par un lycéen de 16 ans. Elle a tout l’air d’être l’œuvre d’un homme de 50 ans qui se tire dans le pied 更像一个五十来岁的抠脚大汉的作品. Mais je vais tout de même lui répondre. ».
La suite montra la grande habilité de Fang Fang dont la culture littéraire et politique exhuma ses propres étonnements de militante face à une pensée contraire, alors qu’elle-même durant la révolution culturelle était soumise au matraquage de la propagande à viseur unique.
Pour sa réplique, elle choisit en effet la référence de la pensée iconoclaste de Bai Hua 白桦. Très connu en Chine, l’homme qui alla courageusement à contre-courant du Maoïsme, ne pouvait pas laisser indifférent l’appareil qui se targue de réformisme.
« Poète, romancier, dramaturge et essayiste, condamné comme “droitier “ en 1958, Bai Hua a été réduit au silence pendant près de vingt ans, avec un bref intermède au début des années 1960. Reprenant la parole après la mort de Mao, il a participé aux débuts de “la littérature des cicatrices“ » [3].
Fang Fang raconte qu’en 1967, au lancement de la révolution culturelle, alors qu’elle-même n’avait que 12 ans, un poème de Bai Hua intitulé « Distribuer les tracts en bravant les lances - 迎着铁矛散发的传单 » qui commençait par « Moi aussi j’ai eu une jeunesse comme vous - 我也有过你们这样的青春 », lui avait fait une forte impression.
La suite de la réponse met en garde contre la pensée unique et l’intoxication ; elle fait l’apologie des questionnements et de l’exigence de penser contre soi-même, seules sources possibles, dit-elle en substance, de la connaissance et par conséquent de l‘action juste.
Au moment même où l’appareil se crispe sérieusement - c’est encore une autre habilité de Fang Fang - la fin du billet célèbre l’ouverture politique du pays qui lui permit de réussir l’examen du Gaokao et d’entrer à l’Université de Wuhan, « la plus belle de Chine ». 中国最美丽的武汉大学.
A côté de la richesse documentaire qui est peut-être aussi la chronique de la naissance d’une authentique dissidente ayant rallié le soutien massif du peuple, l’autre intérêt de la publication du journal est le contraste avec lequel il a été reçu en Chine et en Occident.
Après les traductions en anglais et en allemand publiées en avril, la ferveur occidentale a globalement salué Fang Fang pour avoir mis à jour les problèmes systémiques d’un régime autocrate ayant caché à sa population la virulence de la maladie.
Note(s) :
[2] Ce qui, en plus de sa popularité extrême, rendait la censure pure et simple plus délicate, c’est que Fang Fang écrivait depuis l’estrade publique de sa position, en réalité fonctionnarisée, de présidente de l’association des écrivains du Hubei.
Ajoutons que si le tableau décrit par elle de la situation à Wuhan en février - mars, était, par moments, apocalyptique, ponctué par des récits de familles déchirées, d’enfants soudain orphelins et de malades angoissés errant dans la ville, alors que les cadavres s’accumulaient aux portes de l’hôpital central, Fang Fang dont il faut cependant souligner le courage, a pris soin de remercier les soignants pour leur dévouement tout en laissant planer l’ambiguïté sur le niveau où elle situait les responsabilités réelles du ratage de la gestion sanitaire.
Par contrecoup la faute officielle retomba sur les pouvoirs locaux pris entre les feux croisés de la vindicte populaire et ceux de Pékin qui en fit des boucs émissaires. Lire : Covid-19 : La démocratie, l’efficacité politique et l’attente des peuples.
[3] Le mouvement 伤痕文学 (Shangwen wenxue), dit « des cicatrices » apparu à la fin des année 70, après la mort de Mao, fut un exutoire libératoire. Après la censure maoïste il exprima avec un cruel et brutal réalisme les traumatismes des campagnes maoïstes, commencées par le cynisme machiavélique des « cent fleurs » suivi par la féroce répression contre les intellectuels, le grand bond en avant et la révolution culturelle.