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Mer de Chine du sud : Pékin propose des exercices militaires à l’ASEAN. Décryptage

Le 16 octobre, à Pékin, lors d’une réunion informelle de l’ASEAN, le ministre de la défense chinois, le général Chang Wenquan (au centre) a proposé à ses homologues l’organisation de manœuvres navales conjointes.

Le 16 octobre à Pékin, à l’occasion d’un sommet informel organisé avec ses homologues de l’ASEAN, le ministre de la défense chinois Chang Wenquan a soudain pris ses distances avec la rhétorique agressive, fond de tableau des échanges verbaux qui, depuis au moins la dernière réunion de l’ARF (forum de sécurité de l’ASEAN), au début août à Kuala Lumpur, accompagnent sur un mode de plus en plus belliqueux les tensions en mer de Chine du sud entre Pékin, Manille, Hanoi, Washington, Canberra et Tokyo.

Au moment où, en riposte à l’extension artificielle des îlots par laquelle Pékin s’autorise à contrôler et restreindre le survol et la navigation dans des espaces de plus en plus larges autour et au-dessus des Paracels et des Spratlys, la marine américaine menace d’envoyer des vaisseaux de guerre dans les nouvelles eaux territoriales revendiquées par la Chine, Chang Wenquan propose à ses partenaires de l’Asie du Sud-est d’organiser avec eux des manœuvres navales conjointes. Même s’il ne présage pas un recul de l’affirmation chinoise de souveraineté sur la presque totalité de la mer de Chine du sud, l’initiative marque un glissement significatif du discours du Politburo par rapport à ses récentes mises en garde martiales.

La presse chinoise y voit un geste de bonne volonté de Pékin, tandis que la plupart des observateurs extérieurs considèrent la manœuvre comme une tentative pour éloigner les critiques de plus en plus vives dont la Chine est l’objet de la part des riverains du Pacifique occidental. Surtout, alors que les positions arc-boutées de Washington et Pékin semblaient conduire à un face-à-face militaire dangereux avec l’US Navy dans les parages des îlots et de leurs nouvelles eaux territoriales, le régime chinois constate depuis un an le renforcement de la connivence militaire du Japon et de l’Inde avec Manille et Hanoi, créant un cristallisation hostile à laquelle il ne pouvait pas rester sans réaction.

Après avoir rappelé la succession d’incidents et d’affirmations belliqueuses adossées, chez les uns, à la liberté de navigation et, à Pékin, à la revendication de souveraineté sur toute la mer de Chine, jugée irraisonnée par 4 pays de l’ASEAN, les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde, cette note fait le point des rapprochements de sécurité des Philippines et du Vietnam avec le Japon et l’Inde. Constatant que, Washington comme Pékin, ont progressivement haussé la question de la mer de Chine du sud au cœur de leurs intérêts stratégiques, elle décrit la montée des crispations depuis 2008 et analyse le sens et la portée de la nouvelle proposition de Pékin.

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La longue route de la discorde.

Les tensions ne sont pas nouvelles. Elles sont enracinées dans la revendication territoriale déjà ancienne des ¾ de la mer de Chine du sud, matérialisée par la ligne en 11 traits, rendue publique en décembre 1947, par la Chine de Tchang Kai-chek et réduite à 9 par une négociation directe entre Pékin et Hanoi sous l’égide Zhou Enlai. A l’origine, les limites ainsi définies n’alimentaient pas autant de crispations nationalistes de souveraineté, certains chercheurs chinois ayant même affirmé que les « 9 traits » matérialisaient « l’extension maximum » des revendications, pouvant dans certains cas être négociées, au moins pour un partage des ressources. Un projet qui, avec le Code de conduite, fut au centre de toutes les tentatives de médiation entre la Chine et l’ASEAN.

Le fait qu’il ait été abandonné signale le recul des solutions diplomatiques, au profit des politiques de confrontations. Il est exact que la présence militaire américaine, alourdie par la bascule stratégique décidée par la Maison Blanche en janvier 2012, constitue un irritant de moins en moins supportable pour Pékin. Il reste que la stratégie offensive adoptée par la Chine qui, en dernière analyse, semble confiner à tester la détermination de Washington mis au défi dans un espace où le Politburo juge sa présence illégitime, a pour conséquence très directe de conforter à la fois la présence de l’US Navy et les alliances militaires américaines avec Tokyo, Séoul et Manille, à quoi s’ajoute le rapprochement avec Hanoi, autre agacement de taille pour Pékin.

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Depuis 2008 qui marqua aussi le début d’un rejet de plus en plus vigoureux de la présence militaire américaine en Asie de l’Est, le régime chinois a invité son opinion publique dans la controverse, créant un arrière plan nationaliste plus vindicatif. Il a aussi nettement durci sa position, liant progressivement les différends en mer de Chine du sud à ses intérêts vitaux de sécurité.

En même temps, les voix des chercheurs chinois modérés qui, comme Zhao Mingzhao ou Wang Jisi (1) appelaient à la mesure, ont été submergées par celles, de plus en plus nombreuses, d’analystes glosant sur la vacuité hypocrite du slogan sur la « montée en puissance pacifique de la Chine », alors même que le pays était engagé dans une intense compétition avec les États-Unis.

Autrement dit, dans la communauté des chercheurs et des militaires, une mouvance très nationaliste, prête à en découdre avec Washington tourne le dos aux conseils de prudence stratégique de Deng Xiaoping. Il n’est pas impossible que la nouvelle tendance ait un rapport avec le fait que, pour la première fois depuis 1989, la tête du régime aujourd’hui contrôlée par les « princes rouges » n’a pas été adoubée par le vieux patriarche, comme ce fut le cas jusqu’à Hu Jintao.

Les indices et les étapes de ce durcissement doctrinal et anti-américain sont nombreux. En août 2010, dans le Quotidien de l’armée, le général Luo Yan, vice-président de l’Académie des Sciences militaires, dénonçait « l’extension des intérêts stratégiques américains jusqu’aux portes de la Chine, en Mer Jaune et en Mer de Chine du Sud » et mettait en garde : « Nous ne sommes les ennemis d’aucun pays, mais nous ne craignons pas ceux qui nous provoquent et ignorent nos intérêts vitaux ».

Deux mois plus tard, au sommet de l’ARF, organisé à Hanoi en octobre 2010, aux propositions de Hillary Clinton alors secrétaire d’État aux Affaires étrangères qui, constatant la montée des tensions en mer de Chine du Sud, avait rappelé les principes de la politique de Washington dans la région (liberté de navigation, liberté de commerce, respect du droit de la mer, résolution pacifique et négociée des différends, préparation d’un « Code de conduite » par l’ASEAN et toutes les parties prenantes), le Ministre des Affaires étrangères chinois Yang Jiechi avait vertement répondu que la mer de Chine du sud n’était pas l’affaire des États-Unis et exhorté les parties prenantes des querelles (Hanoi, Manille, Kuala Lumpur et Brunei, qu’il avait traité de « petits pays »), à ne pas s’aligner sur Washington.

En mai 2011, le Global Times, tabloïd populaire, surgeon du Quotidien du Peuple, affirmait que la Chine devait « oser défendre ses principes et ne pas craindre d’affronter plusieurs pays simultanément ». Le mois suivant, le Quotidien du Peuple lui-même laissait pour la première fois percer l’idée que la Mer de Chine pourrait être défendue comme un intérêt de sécurité nationale, tout comme Taïwan, le Tibet et le Xinjiang : « Nous devons tracer une série de lignes en Mer de Chine du Sud pour faire comprendre aux Etats-Unis ce qu’ils peuvent faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire ».

En décembre 2011, l’Amiral Yang Yi, de l’Université de la défense nationale, affirmait qu’il n’était plus possible de s’en tenir au « profil bas » (sous entendu la discrétion stratégique « prôné par Deng Xiaoping » par la formule 韬光 养晦 - tao guang, yang hui), lorsque la sécurité et les intérêts nationaux étaient menacés. « Des contre attaques de courte durée devraient être lancées, à la fois efficaces et sans ambiguïté. » Cinq mois plus tard, dans le Global Times, le général Luo Yan, cité plus haut, expliquait à propos de la controverse territoriale avec Manille que, « la situation dépassait les limites de la tolérance chinoise », et préconisait de « donner une leçon aux Philippines ».

En juin 2012, lors du dialogue de Shangrila à Singapour, en réponse au discours de Léon Panetta, alors secrétaire d’État à la défense qui présentait le repositionnement américain en Asie (baptisé « Pivot ») que la Chine dénonce comme une réflexe de guerre froide pour freiner la montée en puissance de la Chine, le Général Ren Haiquan, vice-président de l’Université de la Défense Nationale, prenait un ton menaçant pour expliquer que la Chine se préparait au pire et que la riposte aux attaques contre les intérêts chinois serait « terrible ».

Au cours des années suivantes, les tensions s’aggravèrent encore avec Manille et Hanoi, tandis qu’en avril 2013, un Livre Blanc chinois sur la défense accusait les États-Unis qui avaient entamé leur bascule stratégique vers l’Asie, « d’aggraver les tensions en Asie Pacifique en augmentant leur présence militaire et en renforçant leurs alliances ». La suite peut être décryptée comme une succession d’alarmes, d’accusations et de crises principalement dirigées contre les États-Unis qui se cabrèrent. Les enchaînements néfastes ont conduit, à l’automne 2015, à un échange de déclarations arc-boutées ponctuées de menaces militaires entre Washington et Pékin, laissant craindre l’imminence d’un accident militaire.

Note

(1) En juin 2011, Wang Jisi, doyen et directeur du Département d’études internationales de l’Université de Pékin, spécialiste des Etats-Unis, mettait en garde contre les conséquences des affirmations de puissance. Le 12 juillet 2012, Zhao Mingzhao, expert au Centre de recherches sur le Monde contemporain, lié au Département de politique étrangère du Comité Central, lui avait emboîté le pas dans le New-York Times, critiquant le mauvais usage de la force.


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