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Mer de Chine du sud : Pékin propose des exercices militaires à l’ASEAN. Décryptage

« Rectifier » la relation entre Pékin et l’ASEAN.

Les tensions sino-américaines en mer de chine du sud se sont aggravées en dépit des échanges diplomatiques. Ici John Kerry le 16 mai 2015 à Pékin avec le général Fan Changlong, Vice-président de la CMC, membre du Bureau Politique, ancien commandant de la région militaire de Jinan.

Rendue publique le 16 octobre, à l’occasion d’une rencontre informelle entre le ministre chinois de la défense et ses homologues de l’ASEAN, la manœuvre entraîne l’Asie du Sud-est sur le terrain des exercices militaires où, jusqu’à présent, le Pentagone tient le haut du pavé. L’objectif officiel proposé par Chang Wanchuan a, outre la gestion des différends, la prévention et le contrôle des risques d’accidents militaires, un arrière plan paternaliste et moralisateur : « replacer les relations de la Chine avec ses voisins sur une trajectoire “correcte“ ».

En fond de tableau : la position chinoise selon laquelle les différends territoriaux dans la région doivent être réglés par la Chine et ses voisins directs, sans interférence extérieure. Les thèmes des exercices qui devraient commencer en 2016, sont calqués sur ceux en général proposés par le Pentagone : réactions aux rencontres fortuites en mer, recherche et sauvetage, réactions aux catastrophes naturelles.

Mais le ministère de la défense a donné peu de détails sur l’organisation des exercices auxquels il est probable que la plupart des pays, y compris le Vietnam, répondront favorablement. Avec cependant une incertitude pour Manille, lié à Washington par un « accord de défense renforcé » (Enhanced Defense Cooperation Agreement – EDCA -) signé en 2014, qui prévoit, entre autres, le redéploiement d’équipements aériens et navals américains aux Philippines. Sur la forme, certains experts notent qu’un dialogue, et plus encore des exercices militaires conjoints entre Pékin et l’ASEAN considérée comme un tout, constitueraient un glissement de la stratégie chinoise, jusqu’à présent uniquement disposée à des dialogues bilatéraux sur la question des différends en mer de Chine du sud.

Une manœuvre tactique qui laisse de côté la question de la souveraineté…

Au total, l’initiative chinoise qui ne résoudra aucune des questions de fond relatives à la souveraineté, apparaît comme une réaction à l’influence militaire de Washington que Pékin ne cesse de critiquer. Plus largement le glissement tactique de la position chinoise s’inscrit toujours dans la compétition que se livrent, dans le Pacifique Occidental, la première puissance navale et son premier rival continental. La portée de cet objectif stratégique de première grandeur où la Chine défie la puissance américaine à ses approches, explique aussi que les concessions de Pékin, quand elles existent, ne soient que des accommodements tactiques ne remettant jamais en question le projet d’appropriation de toute la mer de Chine.

…sur fond de nationalisme populaire.

Qu’il s’agisse du « code de conduite », voie d’apaisement à laquelle le nouveau Politburo qui ne veut pas se lier les mains a cependant tourné le dos, de l’exploitation conjointe des ressources dont on a peu parlé récemment, ou des mesures de confiance militaires récemment proposées par Chang Wanquan dont l’efficacité reste à mesurer, aucune des stratégies de conciliation disponibles, maintes fois répétées, au point que les acteurs semblent en être lassés, n’apporte de solution à la question centrale dominée par perspective hautement déstabilisante et agressive de la domination totale de la mer de Chine du sud par Pékin et sa marine. A cet égard on ne peut pas ignorer le fait que l’actuelle rigidité de la Chine est aussi le résultat d’une stratégie de politique intérieure aux très forts accents nationalistes ayant à la longue pris en otage le pragmatisme, pourtant l’un des meilleurs atouts de l’arsenal diplomatique de Pékin.

Force est de constater qu’en ces temps de face-à-face exacerbé avec l’Amérique, la souplesse n’est plus à l’ordre du jour. Le temps est en effet révolu où, en juillet 2010, on pouvait lire dans le Global Times, sous la signature de Da Wei chercheur reconnu de l’Institut d’études pour les relations internationales, contemporaines dépendant du ministère des Affaires étrangères : « En traitant des questions territoriales - souvent assimilées à des intérêts vitaux - 核心利益 – hexin liyi -, il n’est pas rare que des pays adoptent des positions de compromis. Parfois même des grandes puissances acceptent de renoncer à des territoires contestés. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles sacrifient leurs intérêts vitaux ».

A la même époque, Zhu Feng, professeur de relations internationales à l’Université de Pékin, mettait le doigt sur le piège que le Parti avait lui-même créé en attisant à l’intérieur le national-populisme : « Ce n’est pas la politique du Parti de désigner la Mer de Chine comme faisant partie des « intérêts vitaux » de la Chine, mais le problème est qu’un démenti public serait considéré comme une reculade des dirigeants, qui enflammerait les sentiments nationalistes du peuple ».

…et de crispation américaine aggravée par l’angoisse du déclin.

La réflexion autour du « piège nationaliste » vaut aussi pour les États-Unis, puisque, s’il est vrai que les différends sino-américains se nourrissent de raisons objectives articulées autour d’une série de griefs commerciaux et stratégiques bien connus, en mer de Chine du sud, la capacité de mise en perspective de Washington semble brouillée par l’angoisse des élites américaines, tous partis confondus, confrontées au spectre du déclin de l’Amérique. Il est clair que cette angoisse s’aggrave face au surgissement d’un rival planétaire qui refuse de plus en plus ouvertement de se couler dans le moule de Washington et prétend écarter sa puissance navale de la zone.

L’enchaînement des événements révèle qu’aux États-Unis comme en Chine, le pragmatisme a peu à peu laissé la place à des crispations militaro-nationalistes récemment dénoncées par l’amiral Blair lui-même ancien commandant en chef américain dans le Pacifique au début des années 2000. Tout en affirmant que les Chinois prendraient un risque considérable en engageant le combat avec l’US Navy, l’Amiral Blair n’en juge pas moins irrationnelles les actuelles ripostes américaines consistant à systématiquement survoler les îlots des Spratly ou à croiser dans les espaces maritimes adjacents à mesure que Pékin modifie la structure des archipels pour définir les zones contigües et leurs abords aériens comme des espaces de souveraineté nationale.

De l’examen des dernières évolutions où la Maison Blanche a systématiquement répondu au défi chinois par des démonstrations de force, y compris en faisant survoler en novembre 2013 la nouvelle zone d’identification aérienne chinoise au-dessus des Senkaku par des bombardiers stratégiques B-52, potentiellement nucléaires, il ressort que, pour l’instant, la classe politique américaine s’est en général laissée enfermer dans un jeu stérile de provocations – ripostes.

Rares sont en tous cas les élites qui paraissent disposées à écouter les conseils de sagesse, tels que ceux proposés par la Brookings en août 2014. Ils étaient énoncés par Jeffrey Bader, ancien conseiller stratégique pour l’Asie du président Obama, Kenneth Lieberthal spécialiste des affaires chinoises qui fut conseiller spécial du président Bush pour la sécurité nationale et du vice-amiral Michael McDevitt, expert des stratégies navales chinoises :

« Washington devrait cesser de considérer la mer de Chine du sud comme le cœur d’une nouvelle guerre froide avec la Chine et l’essence de ses relations avec Pékin (…) Une telle approche conduira probablement à manquer les objectifs que poursuivent les États-Unis et à aggraver les tensions sino-américaines. Elle plombera la confiance réciproque, tout en augmentant le risque que les pays asiatiques opposés aux stratégies de Pékin prennent des initiatives inconsidérées. ».

Un an après ce texte, la vraie question est : le temps de la sagesse est-il révolu ?

Lire aussi :

- Chine, Russie, Etats-Unis : Une ambiance de guerre froide
- Entre raison, émotions et rivalités stratégiques, la marine chinoise participe à RIMPAC


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