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Alors que, selon le China Daily, les écoles privées ont récemment connu un succès considérable comptant pour plus de 35% du total des écoles dans le pays et accueillant près de 54 millions d’élèves, en augmentation moyenne de 5% par an, le parti vient de décider de les mettre aux normes pour les protéger de l’influence occidentale et freiner l’explosion du commerce de tutorat. Officiellement la raison invoquée est de réduire les coûts de scolarité pour alléger les charges éducatives des familles. En arrière-plan l’exigence de relancer la natalité du pays et l’intention d’étendre le contrôle du parti.
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Poursuivant la politique prônée par Xi Jinping de mise aux normes marxistes décrite par Alice Ekman dans « Rouge vif » (ed. de l’Observatoire, 2020), mâtinée d’arrière-pensées nationalistes anti-occidentales, le 14 mai, le gouvernement a annoncé un série de mesures destinées à contrôler les programmes des écoles privées et les capitaux qui les financent.
La nouvelle loi dont le but officiel est aussi de réduire les coûts pour alléger les charges des familles et relancer la natalité, entrera en vigueur le 1er septembre.
Elle prohibe l’enseignement des programmes étrangers dans les écoles privées allant de la maternelle à la neuvième année (qui concerne les élèves jusqu’à 15 ou 16 ans) et interdit qu’elles soient dirigées par des entités étrangères.
Dans ce nouveau cadre, les membres du conseil d’administration ou de tout autre organe décisionnel qui devront inclure des représentants du parti, devront être des ressortissants chinois.
Dans son blog « Le vent de la Chine », Éric Meyer souligne aussi que l’entreprise poursuit la reprise en main idéologique du système éducatif.
Avec la remise à l’honneur de l’enseignement du marxisme, la normalisation politique est déjà largement entamée dans les universités et les centres de recherche au mépris de la liberté académique (lire : Feu sur les « excroissances méningées du Parti » et reprise en main idéologique et Le Parti omniprésent met aux normes le système éducatif et les professeurs).
La lutte becs et ongles contre toute influence étrangère dans le système éducatif, allant jusqu’à prohiber les manuels non chinois et interdire les financements étrangers des écoles privées est largement plébiscitée par les réseaux sociaux nourris au nationalisme inflexible diffusé par l’appareil.
Les professeurs – étrangers y compris – devront se soumettre à une formation idéologique d’une vingtaine d’heures afin « d’empêcher les éléments néfastes de nuire à la souveraineté du pays et à ses intérêts ».
Le recadrage suit le coup de balai donné à la mouvance des ONG étrangères toutes suspectées de diffuser une pensée politique occidentale dangereuse pour la stabilité du pays et la prévalence politique du parti.
Le lucratif commerce du tutorat dans le collimateur.

Le boom de l’industrie des cours particuliers se nourrit à la fois de l’ADN confucéen de l’exigence parentale d’aider leurs enfants à se valoriser par l’étude et de la très féroce compétition qui, in fine, pousse, après la 12e année de lycée, les élèves et leurs parents à tout faire pour intégrer l’une des trois meilleures universités chinoises : 1. Qinghua 清华 ; 2. Université de Pékin 北大 ; 3. Fudan 復旦大學 à Shanghai. Le SCMP rappelle « qu’entrer dans une université de premier plan est considéré comme un moment décisif pour les jeunes Chinois, qui font face à un marché du travail compétitif après l’obtention de leur diplôme. Environ 15 pour cent des diplômés universitaires chinois sont au chômage au cours de leurs six premiers mois, tandis qu’environ 25 pour cent des diplômés gagnent un salaire dérisoire malgré leurs diplômes académiques.
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Selon des sources chinoises citées par Reuters, restées anonymes compte tenu de la sensibilité de la question où des sommes considérables sont engagées, le coup de balai visera aussi le commerce inégalitaire et florissant du tutorat dont profitent les familles aisées pour promouvoir le succès scolaire de leur progéniture.
Courant de la maternelle à la 12e année, quand les élèves sont soumis à la pression du « Gaokao – 高考 », examen d’entrée à l’université, le très lucratif créneau a récemment généré le chiffre d’affaires astronomique de 120 Mds de $ à la charge des parents soucieux d’assurer à tout prix la réussite de leurs enfants.
Alors que 75% des parents sacrifient à l’exigence d’aider leurs enfants par des cours particuliers, les démarchages pour le tutorat privé seront interdits dans les enceintes scolaires, alors même que certains instituts privés ont investi jusqu’à 1 milliard de dollars. Ce qui explique la discrétion du gouvernement, dans un contexte où les cours en bourse de certains instituts de tutorat se sont effondrés de 25%.
L’offensive se développe sans ménagement contre toutes les entreprises privées à vocation éducative y compris celles des secteurs de la direction d’entreprise ou de la gestion des ressources humaines.
Eric Meyer cite l’Université Hupan 湖 畔 大 学 d’autant plus dans le collimateur qu’ayant été fondée en 2015 sans autorisation, qui plus est à Hangzhou, fief politique de Xi Jinping, elle traîne aussi le boulet d’être présidée par Jack Ma, le magnat du commerce en ligne, concurrent chinois d’Amazone que le Parti vient tout juste de ramener à la raison marxiste.
Lire : Le micro-crédit en ligne percuté par le principe de précaution et la normalisation politique et Jack Ma s’est évanoui. LA FOURMILIÈRE A PERDU SA REINE.
Il est vrai que fonctionnant selon un mode ultra-élitiste à contre-courant de la philosophie communiste de suppression des inégalités et des classes, Hupan dont le taux d’admission inouï est de 1%, se targue, dans ses publicités, d’être encore plus sélectif que Harvard ou Stanford.
Même si les frais annuels de scolarité de Hupan sont seulement 30 000 $ contre 53 000 $ à Harvard et Stanford, le rapport du PIB chinois par habitant à celui des États-Unis 3,5 fois inférieur, confirme bien que l’école de management de Jack Ma est réservée à la frange supérieure de la société chinoise.
Le coup direct contre Hupan a été tiré début avril quand l’appareil a ordonné de fermer les cours de première année, interdisant à l’Institut de recruter de nouveaux stagiaires.
Une page se tourne.

Trois des plus célèbres PDG de l’industrie numérique high-tech ayant démissionné. De gauche à droite Simon Hu, PDG d’Ant Group, Colin Huang, PDG de Pinduoduo et Zhang Yiming, PDG de ByteDance.
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Ce n’est pas tout. Les attaques contre Jack Ma qui, il n’y a encore pas si longtemps, était le symbole de la réussite à l’occidentale dans le monde de la création d’entreprise, se sont élargies à d’autres magnats industriels. Ainsi furent aussi ciblés les PDG de Lenovo, Liu Chuangzi, de Fosun, Guo Guangchang et de Giant Interactive Shi Yuzhu.
L’orage a été accompagné de démissions en chaîne évoquant une purge dans la mouvance des grands patrons à succès de la Chine d’après Deng Xiaoping. Une page se tourne.
Au risque des dérapages corrompus et de l’enrichissement sans mesure, avec ses cohortes d’affichages arrogants de nouveaux riches drogués au luxe tapageur, le « petit timonier » prônait la libération de l’esprit d’entreprise, cependant contrôlé par l’appareil.
Xi Jinping change la donne et abat sur les entrepreneurs la chape idéologique du Marxisme, dont l’effet répond à la fois à son exigence de centralisation politique et à celle de réduire les inégalités.
La manœuvre a aboutit aux démissions en cascade cités par Eric Meyer, de Jack Ma lui-même, fondateur d’Alibaba, de Colin Huang, PDG de Pinduoduo (commerce en ligne concurrent d’Alibaba), Simon Hu, PDG de Ant Financial, sérieusement secouée par l’offensive du parti contre Jack Ma, et Zhang Yiming, PDG de ByteDance.
Question Chine avait tracé le portrait du dernier, alors qu’il était en pleine ascension au milieu des controverses avec Washington à propos de l’application « Tik Tok » devenue virale chez le public de jeunes américains.
Lire : Mises en garde occidentales contre la force intrusive des réseaux sociaux chinois.