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Pékin, Aung San Suu Kyi, les Rohingya et les militaires birmans

Pékin dont les intérêts au Myanmar sont considérables mais qui, lors de son 19e Congrès vient de réaffirmer sa philosophie des relations internationales sans ingérences extérieures, s’est d’abord tenu à l’écart de la condamnation internationale du régime mixte civilo-militaire de Naypyidaw sévèrement critiqué pour le traitement infligé aux musulmans Rohingya vivant en majorité dans l’ancien royaume d’Arakan (aujourd’hui État de Rakhine), étroite bande de terre de 500 km de long et en moyenne 70 km de large s’allongeant à l’ouest du pays, le long du Golfe du Bengale au sud du Bangladesh.

Mais la neutralité devient un exercice difficile quand les tensions autour des Rohingya harcelés et chassés par centaines de milliers vers le Bangladesh, objets de féroces répressions policières dans de très précaires camps de fortune établis dans l’État de Rakhine et cibles de la condamnation morale de la communauté internationale, risquent d’affecter l’un des plus importants projets de développement chinois en Asie du sud-est autour des terminaux d’hydrocarbures de Shwe et Kyauk Phyu. Lire : Le pétrole en ligne directe du golfe du Bengale vers le Yunnan.

Précisément située sur la frange maritime de l’État de Rakhine, aux limites de la vaste zone en effervescence des camps et villages de regroupement des Rohingya autour de Sittwe capitale de l’État, la zone de développement de Kyauk Phyu, terminal pétrolier opérationnel depuis avril dernier, point d’entrée vers la Chine du brut venant du Moyen Orient, est aussi la cible d’un projet de développement chinois de 10 Mds de $ (avec port en eau profonde et zone d’activités industrielles et commerciales), lui-même à proximité des gisements de gaz offshore de la côte birmane et à 100 km au sud du point de départ du gazoduc sino-birman, également vers le Yunnan, d’une capacité annuelle de 12 Mds de m3, entré en service de 2013.

La forte empreinte stratégique de la Chine.

Quel que soit l’angle de vue, force est de constater que les projets, enrobés par Pékin dans son discours sur les effets vertueux de la vaste projection extérieure des « nouvelles routes de la soie », recèlent une incontestable importance stratégique pour l’équilibre énergétique de la Chine.

En même temps, partie essentielle d’une coopération de plus en plus étroite entre Pékin et Naypyidaw, marque d’un réchauffement sino-birman succédant aux aigreurs ayant entouré la suspension du barrage géant de Myistone dont la construction déjà très avancée a été arrêtée en 2011, le puissant développement par la Chine du littoral de Rakhine est aussi une bouffée d’oxygène pour le gouvernement birman engagé avec l’aide de Pékin dans le processus de paix avec les États irrédentistes du Nord et de l’Ouest formant 50% du territoire. Le patronage chinois est enfin un appui à l’unité du pays que les nationalistes Birmans considèrent menacée à Rakhine.

Au cœur de ces processus se trouve la figure d’Aung San Suu Kyi, icône mondiale de la démocratie et du droit, héritière du rêve d’apaisement ethnique de son père, le Général Aung San assassiné le 19 juillet 1947 avec 6 de ses ministres. Brutalement éliminé six mois avant l’indépendance qu’il avait lui-même négociée avec Londres, Aung San, fondateur du parti communiste birman était animé d’un fort sentiment nationaliste anticolonial dirigé contre la Grande Bretagne l’ayant poussé dans les bras des occupants Japonais qui le formèrent militairement et l’aidèrent à consolider l’armée. A partir de 1943, nourrissant selon les archives militaires britanniques, des doutes sur la sincérité de Tokyo, il se rapprocha des alliés.

Après la guerre, à la conférence de Panglong (1947) Aung San eut le mérite de proposer un compromis « multiethnique » – cependant boycotté par les Karen - acceptable par les Birmans et les nationalités périphériques. Articulé à une large autonomie fédérale à la fois budgétaire, administrative et législative, l’accord préservait le lien avec l’État central par la présence des représentants provinciaux au parlement fédéral et le maintien à Rangoon des prérogatives régaliennes de défense, de sécurité et de politique internationale.

Un écheveau de passions nationalistes et religieuses.

Ce n’est pas la moindre des ironies de l’histoire que la fille du général Aung San, dépositaire de cette « mémoire fédérale » empreinte d’un grand esprit de conciliation et de pragmatisme soit aujourd’hui montrée du doigt et rattrapée par le surgissement dans son pays d’une autre source de tensions violentes bouillonnant sous la surface, elles aussi très anciennes, mais jamais résolues, attisées par les haines religieuses entre Bouddhistes et Musulmans, comme si le pays entrait soudain en résonance avec les tensions religieuses et le choc de cultures agitant la planète.

Accusée par les organisations des droits et la plupart des pays occidentaux et l’ONU de « trahir son prix Nobel de la paix » et de cautionner un « nettoyage ethnique » contre les Musulmans Rohingya, Aung San Suu Kyi qui mesure la complexité et les limites de son pouvoir placé sous le contrôle des militaires - http://www.questionchine.net/aung-san-suu-kyi-a-pekin-retour-au-principe-de-realite – est en réalité ballotée par le violent tourbillon provoqué par les tensions adverses où se télescopent un double écheveau de passions toxiques, à la fois religieuses et nationalistes.

Le maelstrom d’émotions présente plusieurs visages. Ceux des militaires détenant 25% des sièges au parlement et ceux des 500 000 moines bouddhistes dont le clergé est infiltré par la mouvance radicale ultranationaliste et islamophobe menée par Ashin Wirathu à la tête d’un mouvement prônant le boycott des commerces musulmans et des mariages inter-religieux. Interdit depuis le 23 mai par le sénat birman, le mouvement d’Ahin Wirathu condamné en 2003 à 25 ans de prison pour incitation à la haine raciale, mais libéré en 2012 par une amnistie nationale, s’appelle aujourd’hui « Fondation philanthropique Bouddha Dhamma ».

La conjonction de ces sentiments puissamment nationalistes dont Régis Anouil, rédacteur en chef d’Église d’Asie, l’agence d’information des Missions étrangères de Paris (MEP) dit qu’ils sont attisés et pilotés par les services secrets de l’armée, menace de compromettre les projets de l’étage supérieur articulés à l’héritage fédéral et multiethnique du père d’Aung San Suu Kyi et à la relance économique du pays dont Pékin, soucieux de ses intérêts stratégiques directs, est devenu un ardent promoteur.


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Par Ethepin Le 6/12/2017 à 13h53

Pékin, Aung San Suu Kyi, les Rohingya et les militaires birmans.

Concernant le gazoduc de Shwe gas à Kunming, on se souvient que le chantier avait déjà été l’occasion d’atteintes aux droit des population locales https://ejatlas.org/conflict/shwe-gas-field-and-pipeline. Ce projet ainsi que le port en eaux profondes s’accompagnent de restrictions concernant les bateaux de pêche locaux, de spoliation des terres, de pollutions diverses.

L’éradication des populations de la bande côtière, loin de menacer les projets de développement de la zone, sont plutôt un facteur favorable aux investisseurs, qui ne seront pas ou peu confrontés à une résistance locale. Le développement ultérieur d’activités économiques significatives renforcera les liens économiques entre le golfe du Bengale et la Chine, constituant une garantie supplémentaire aux yeux des parties prenantes.

Ces éléments sont de très mauvaise augure pour les Rohingyia, dont le retour sur place semble très hypothétique.

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