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« Qui ne gueule pas la vérité… ». Une interview édifiante de René Viénet

Les errements post-maoïstes des zélotes de la « Bande des Quatre »

Nicole Brenez : Le 9 septembre prochain sera le jour anniversaire de la mort de Mao ZeDong, en 1976, mais ipso facto du lancement à la télévision française, ce jour-là, du film de 26 minutes Mao par lui-même que vous lui aviez consacré en prévision de sa disparition.

Ce film (sur Antenne 2) est l’essentiel de l’audience en France ce soir de septembre 1976, il y a presqu’un demi-siècle, et n’a guère vieilli. Pouvez-vous nous en préciser le contexte et offrir quelques détails sur une soirée qui fut assez animée, et sur les aspects inattendus du débat ?

RV : Depuis 1974 je préparais un film sur l’histoire de la révo.cul., alors en cours et bien mal comprise en France. Souvenez-vous que tous les intellectuels français, de grandes têtes molles, de Bernard-Henri Lévy à Alain Badiou, en passant par Philippe Sollers et autres tristes comiques, bavaient de plaisir sur le Grand-bond-en-avant et sur la contre-révolution anti-culturelle (l’expression, bienvenue, est de Boris Souvarine).

Mon long-métrage, le seul projet alors de ce type et sur ce sujet, devait s’appeler Révo. cul. dans la Chine pop. En fait, ce bon-mot, qui s’est rapidement imposé, sera donné à une anthologie de la presse des gardes rouges préparée par Chan HingHo, avec l’aide d’une petite équipe de traducteurs — à laquelle j’ai donné ce titre au moment où j’en ai rédigé la préface et la quatrième de couverture.

Et je retiendrai pour le long-métrage un autre titre que j’avais en réserve : Chinois, encore un effort pour être révolutionnaires.

NB : Vous aviez toujours des titres en réserve ?

RV : Oui, et le meilleur assurément fut Un bol de nids d’hirondelles ne fait pas le printemps de Pékin, que j’avais inscrit sur une marge de journal à HongKong en dînant avec Pierre Ryckmans (Simon Leys) et Jacques Pimpaneau.

Il faudra attendre Wei JingSheng pour l’utiliser, mais le titre était en stand-by, avec une juvénile arrogance hegelienne de comptoir (de bistrot : « ce que le concept enseigne l’histoire le montre avec nécessité ») : c’est à dire que, non seulement, j’avais en tête la certitude d’une réforme économique que Deng (dont je ne doutais pas du retour) ne manquerait pas de lancer, mais la pessimiste suspicion qu’elle n’aboutirait pas nécessairement à la démocratie.

Trois judicieuses anticipations, avec trois volées d’escalier d’avance sur le train-train des politologues mondains parisiens. Je n’avais donc guère d’amis.

NB : Donc deux films : pourquoi ? Et comment ?

RV : Le long métrage devait être terminé pour la date, impossible à parier, mais qui me paraissait proche, du retour au pouvoir de Deng XiaoPing avec la neutralisation concomitante de Madame Mao et de ses complices. J’avais annoncé sur A2, dès décembre 1975, à l’occasion de la visite de Gerald Ford à Pékin, cette plus que probable séquence lors d’une émission où le ministre Lionel Stoléru est sorti du plateau, de manière théâtrale en direct, applaudi par les maoïstes dans la salle, car il souhaitait protester contre le fait que j’appelais Jiang Qing de son nom marital : Madame Mao. J’avais également expliqué qu’elle irait au couvent le jour de la mort de son époux. Et que, une fois Mao disparu, la Révo. cul. serait terminée.

Le catho-mao de service Jean-Luc Domenach, qui était sur le plateau, rajouta sa goutte d’eau bénite en protestant qu’il avait « appris, de source sûre, que la camarade Jiang Qing et le camarade Deng XiaoPing, réconciliés, œuvraient ensemble à l’édification du socialisme ».

Sa péroraison se tenait sous une affiche du livre Révo. cul. dans la Chine pop., la fameuse caricature de la procession des clowns, que j’avais punaisée comme décor sur le mur du plateau de la tv. Du catho-mao pur jus : un morceau d’anthologie.

NB : Voilà une séquence TV intéressante à diffuser aujourd’hui, en souvenir de délires passés et dépassés.

RV : Sauf qu’elle a été effacée dans les archives de l’Inathèque ! [sic] C’est, de mémoire d’inathécaire, dans le sous-sol de la BNF, le seul segment du très légal - et très protégé - « fil-antenne » qui ait été jamais détruit, comme en témoigne la main-courante parallèle (pour toutes les émissions de la TV française de cette époque).

Comme le jeune (alors) J-Luc Domenach n’avait pas ce pouvoir assez extraordinaire, il faut imaginer que cette extraction forcée pour faire disparaitre les faits et la vérité est due au pouvoir, à l’époque, celui du ministre giscardien. Lors du pot qui avait suivi l’émission, j’avais en effet signalé à Lionel Stoléru qu’il s’était mis dans une seringue avec sa réaction maolâtre spontanée irréfléchie et qu’il en sortirait, tôt ou tard, fatalement fripé et contrit, par le petit-bout.

NB : Mais vos deux films, à la date du décès du Président Mao ?

RV : Pour le long-métrage je n’étais pas maitre du temps ni de l’horloge : je devais attendre le retour au pouvoir de Deng XiaoPing que j’annonçais, ou - pour le moins - la chute que je jugeais inéluctable de la Bande des Quatre (ce vocable viendra plus tard, avec leur arrestation : je les appelais à l’époque les idéologues fous ; voir peking-duck-soup-ch-poster.)

Mais à l’égard de ma productrice, Hélène Vager qui était adorable et de l’INA qui était son coproducteur, je me devais de préparer quelque-chose d’immédiatement comestible, pas trop offensif, qui pourrait être vendu à la télévision le jour même de la mort de Mao, ce que les professionnels des médias appellent une « nécro ». Donc un 26 minutes, irréprochable, mais avec la langue dans la joue, comme vous pouvez l’imaginer.


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Par Wonderjo Le 3/09/2021 à 09h57

est ce bien sérieux ?

quand on aborde un texte aussi long, on parcourt en diagonale et on tombe sur ce paragraphe consacré à une coopération triangulaire entre France, Chine et Taiwan autour du projet Areva, coopération à laquelle l’auteur croit toujours. Peut être le reste du texte mérite-t-il d’être lu mais difficile de le trouver aérien aujourd’hui quand on observe la situation du triangle en question généreusement lesté d’une enclume. Les difficultés du projet Areva n’excusent en rien cette myopie d’appréciation.

Par François Torrès Le 8/09/2021 à 08h34

« Qui ne gueule pas la vérité… ». Une interview édifiante de René Viénet.

Cher Lecteur, merci de votre commentaire. Permettez-moi d’en relever quelques incohérences. Après avoir glosé sur la longueur du texte, dont vous dites que vous n’avez fait que le survoler, remarque qui, au passage, chevauche l’air du temps de la synthèse maximum au détriment de la nuance, vous fustigez le manque de perspicacité - « la myopie d’appréciation » dite-vous - de l’auteur à propos de la situation dans le Détroit de Taïwan.

La critique est à la fois terrible et très injuste quand on sait qu’elle cible un homme qui, lucide avant tous les autres, fut par deux fois exclu du CNRS pour avoir dénoncé les mantras maoïstes ayant submergé l’Université française.

A cet égard, je vous invite à lire ou à relire le texte écrit par François Danjou, publié par QC en septembre 2014, à la mort de Simon Leys. Intellectuellement, ce dernier fut parmi les sinologues les plus proches de René Viénet après que, dans le maquis des harcèlements maoïstes, Viénet fut le premier à publier son livre iconoclaste « Les habits neufs du Président Mao » Hommage à Simon Leys et à la liberté de penser

S’agissant de la question de Taïwan, la vision de René Viénet est à nouveau à contretemps des incessantes répétitions glosant sur un probable conflit dans le Détroit.

Dans ce contexte où les médias amateurs d’émotions fortes rabâchent à longueur de vidéos et d’analyses la perspective d’un affrontement armé, il est salutaire de s’interroger si la vraie perspicacité et la bonne appréciation ne seraient pas ailleurs.

Elles consisteraient, par exemple, à anticiper que, non seulement une conflagration directe ouvrant une boîte de Pandore stratégique insondable serait très improbable, mais que, de surcroît, il pourrait être possible que les deux parties – qui sont des Chinois dont René Viénet connaît bien les riches ressources de pragmatisme - finissent par trouver un arrangement d’apaisement pour sortir par le haut de ce cul-de-sac souverainiste inflexible.

Si c’était le cas, par une hypothèse qui, aujourd’hui, paraît contre intuitive quand on ne considère que la surface des choses – mais en Chine plus qu’ailleurs, la réalité est enfouie sous les apparences – le projet de retraitement des déchets taïwanais serait pour la France un formidable levier d’influence.

Enfin vous notez que le naufrage d’Areva, n’a pas de rapport avec l’échec du projet triangulaire. Il est en tous cas directement lié à l’incompétence, fond de tableau des tête-à-queue de la stratégie française à l’égard de la Chine et de Taïwan.

Il renvoie aussi à l’imprudence d’avoir placé par esprit de clan et arrière-pensées progressistes de posture, une personne qui, en dépit de ses expériences à Alcatel et à la Cogema, n’avait peut-être pas les épaules et la clairvoyance sereine pour prendre la tête d’un des fleurons stratégiques les plus sensibles de l’industrie française.

François Torrès, ancien responsable des Affaires chinoises à la Délégation aux Affaires Stratégiques du Ministère de la Défense et Conseiller éditorial du site Question Chine.

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