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« Renverser ciel et terre » Une plongée saisissante dans la tragédie de la révolution culturelle

Les éditions du Seuil viennent de publier « Renverser ciel et terre – La tragédie de la révolution culturelle – Chine, 1966 – 1976 ».

La somme de 912 pages est la traduction par Louis Vincenolles d’un deuxième livre de Yang Jisheng - 杨继绳, - 天地翻覆 - 中国文化大革命史 – paru en 2016 à Hong Kong hors de portée directe des censeurs. L’ouvrage de 1151 pages est, dit l’auteur, qui cite Georges Orwell, destiné à dévoiler les mensonges et rétablir la vérité.

En Chine en tous cas, l’entreprise est acrobatique. Publiés discrètement à Hong Kong par Comos Book, les livres de Yang sont introuvables sur le Continent. Depuis 2012, le Parti augmente ses pressions pour qu’il rentre dans le rang et cesse de fouiller la face sombre de l’histoire de la Chine.

Mais sa situation politique reste ambigüe, signe que le sujet est à la fois tabou et difficile à gérer par une élite qui fut elle-même ou par le truchement des familles, directement impliquée dans le mouvement. Yang Jisheng n’a pas été exclu du Parti et vit encore dans les logements pour retraités de Xinhua à Pékin.

Il reste que, l’homme étant têtu, le régime semble avoir dû, « pour le calmer », s’adresser selon ses méthodes éprouvées à sa femme et laisser planer des menaces voilées sur l’avenir de son fils et de son petit-fils (qui a tout de même été autorisé à s’inscrire à l’Université).

L’ayant d’abord forcé à abandonner la présidence de la rédaction de Yanhuang Chunqiu (Annales chinoises), devenu un mensuel numérique dont la force d’investigation critique s’est évaporée, le Parti lui a, au printemps 2016, interdit de se rendre aux États-Unis pour recevoir à Harvard le prix Louis-M. Lyons de la Fondation Nieman, récompensant l’intégrité et la conscience journalistiques.

Après le premier tabou à la sensibilité politique explosive paru en 2008 sur le désastre du « Grand bond en avant », également traduit par Louis Vincenolles aux Éditions du Seuil, sous le titre « Stèles » (lire : 墓碑 mu bei de Yang Jisheng, est paru en Français), cette deuxième plongée de Yang Jisheng dans le machiavélisme maoïste éruptif que fut le chaos de la révolution culturelle, est une méticuleuse exploration documentée avec la précision d’un journal de bord dont il n’existe à ce jour aucun équivalent.

Quand « Stèles » était la description d’un famine aux dimensions épiques, provoquée par une frénésie collectiviste sans limites, « Renverser ciel et terre » en est la suite.

Présente dans l’inconscient chinois, mais jamais évoquée, ni dans les écoles et les livres d’histoire, rarement dans les conversations, la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne 无产阶级文化大革命, » fut un long et meurtrier spasme politique et social qui dura dix années.

Explosion impitoyable d’une rage de pouvoir à la suite de l’échec du Grand Bond et de ses 36 millions de morts ayant entamé l’autorité de Mao, la Révolution culturelle fut surtout une fuite en avant chaotique et un essai de révolution permanente lancée par le démiurge pour réparer son égo ébréché et tenir à distance toute résurgence capitaliste des forces de droite [1].

Sa virulence sans cesse entretenue et attisée par Mao lui-même fut la preuve que sa mise sur la touche n’était que formelle. Nourrie par le souvenir entretenu de l’épopée, son emprise sur le peuple et notamment la jeunesse était intacte et lui permettaient de contourner l’appareil. Dès la p.19, de son long avant-propos de 90 pages, Yang le rappelle, « s’il avait réellement perdu le pouvoir, aurait-il pu, envers et contre tous, déclencher la révolution culturelle ? »

L’intérêt historique de cette somme est qu’elle embrasse grâce à une formidable accumulation de faits précis, les dix années de tumulte à partir du double point de vue de l’acteur impliqué et de l’analyste qui tente de comprendre une période confuse et sanglante.

Devenu garde rouge, Yang, fut, comme l’écrit Louis Vincenolles, « happé » par les bataillons de choc de Qinghua, de 1966 à 1967. Il avait 26 ans.

Il le dit lui-même en introduction, durant cette année où le mouvement a explosé, il s’est rendu dans plus de dix villes, dans le cadre de l’expérience chuanlian (串连), l’offensive initiale des gardes-rouges qui, dit-il, lui a permis de saisir l’atmosphère de la révolution culturelle 感受了文革中的社会气氛.

Le but de ces coups de boutoir tous azimuts était, grâce à l’action de vagues d’étudiants électrisés par Mao, et selon les termes officiels de l’époque, de « créer une puissante onde de choc 造成的强大冲击波destinée à briser 打破 les dirigeants locaux du parti et du gouvernement 各地党政机关领导人 qui tenteraient de résister à la révolution culturelle et de la contrôler 对文革抵触, 控制的态度 ».

Un an plus tard, en 1968, Yang entrait à Xinhua, d’où il prit de la hauteur. De ce poste d’observation et d’enquête exceptionnel – point d’arrivée d’un incessant flot d’informations – il eut une vision d’ensemble de l’événement. Inlassablement, il s’est appliqué à en décrypter le sens tout en rapportant fidèlement le déroulement local des calamités. En même temps, il analysait les rivalités à la tête, entre Mao, Zhou Enlai, Liu Shaoqi, Lin Biao, Chen Boda et Deng Xiaoping.

Bien sûr, les luttes internes du Parti à l’époque – et encore maintenant – échappaient au commun des mortels, et même aux personnes informées comme les membres de l’Agence Chine nouvelle. Après avoir terminé Stèles, Yang Jisheng a entrepris une vaste recherche dans les archives existantes, les témoignages publiés ou non des participants (dont beaucoup ont paru dans Annales chinoises au fil des ans) afin de les mettre en perspective.

C’est aussi cette vision méticuleuse et stéréoscopique, découpée en séquences qui fait l’intérêt exceptionnel et unique de l’ouvrage de Yang Jisheng.

Note(s) :

[1Dans son « Avertissement » Louis Vincenolles cite Simon Leys (Les Habits neufs du président Mao, Champ Libre, 1971). « Le pouvoir étant de « Gauche » par définition, l’opposition doit être désignée par le terme de « Droite ».

Quand le pouvoir vire à « Droite », il reste quand même de « Gauche ». Les plus extrémistes des opposants aux retours du conservatisme ordonné, n’étaient plus désignés « de gauche », mais comme des « rebelles ». Mao les a sans cesse utilisés comme « sa main gauche » en les réprimant par sa « main droite ».


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