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Réunion du G.20. En l’absence de Moscou, la prévalence invasive et ambiguë de Pékin

Sous influence chinoise, le grand-écart de Djakarta entre Pékin et Washington.

La persistance d’une inquiétude stratégique face à la Chine est aujourd’hui balancée par la puissance de ses investissements. Tel était bien l’arrière-plan de la rencontre du Président Vidodo avec Xi Jinping, le 17 novembre.

Les deux présidents ont assisté par vidéo à une démonstration du TGV Jakarta - Bandung construit par la Chine ; ils ont aussi publié un communiqué commun ouvrant la voie à de vastes coopérations allant de l’éducation à la recherche médicale et à la création par Pékin d’un centre de recherche sur les vaccins, en passant par l’économie numérique, la lutte contre la pauvreté et l’agriculture.

La plus visionnaire des coopérations est exprimée par l’idée de relier les « routes de la soie » chinoises au projet indonésien du « Pivot Maritime Global ou en Anglais Global Maritime Folcrum – G.M.F- » [1]

L’importance de l’Indonésie pour la Chine a été soulignée par la couverture en première page du Quotidien du Peuple où il était indiqué que Pékin soutenait le projet controversé de Widodo de déplacer la capitale de Jakarta à Nusantara sur l’île de Bornéo. Au soutien politique s’ajoutent des investissements financiers et de maîtrise d’œuvre. A la grande frustration du Japon qui s’attendait à obtenir le contrat, la Chine construit une liaison ferroviaire à grande vitesse reliant les principales villes d’Indonésie.

Widodo semble avoir souscrit à une grande partie de l’agenda politique chinois, y compris les attentes de Pékin en matière de « non-ingérence dans ses affaires intérieures  ». Autant dire que, pour l’instant, subjugué par les investissements chinois, le Président indonésien pourtant à la tête du plus grand pays musulman du monde avec 262 millions de fidèles Sunnites, s’abstiendra de critiquer officiellement Pékin pour les violations des droits de l’homme contre les Ouïghours au Xinjiang.

Le malaise existe pourtant. Récemment Widodo déclarait au Financial Times que son pays refusait « d’être un pion dans une nouvelle guerre froide entre Pékin et Washington. » Comme la plupart des pays de l’ASEAN, Djakarta se sent mal à l’aise lorsqu’il est pressé de choisir entre les États-Unis et la Chine.

Mais selon le Financial Times du 7 novembre, pour Widodo, s’il est vrai que la puissance invasive de la Chine est un défi, la vérité est aussi qu’elle offre d’importants avantages concrets en termes de commerce et d’investissement.

*

Enfin, au-dessus de la longue suite de rencontres bilatérales organisées en marge qui sont le lot des grands sommets internationaux, celle qui, au milieu des tensions sino-américaines récemment portées au rouge vif par la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, a le plus retenu l’attention des observateurs est celle entre Xi Jinping et Joe Biden.

Joe Biden et Xi Jinping en mode apaisé, au milieu de vastes défis stratégiques.

Organisé le 14 novembre, dès le premier jour du G.20, l’échange à propos de Taïwan et des tirs de missiles nord-coréens a été franc et direct, disent certaines sources proches du dossier. Mais elles ajoutent aussitôt que la crainte d’une escalade a contribué à « adoucir » l’échange. « Nous allons nous battre vigoureusement. Mais nous ne cherchons pas le conflit, seulement à gérer la rivalité de manière responsable », a déclaré Joe Biden après son long échange avec Xi Jinping.

Il ajoutait que pour Washington, le cœur politique de la relation sino-américaine restait bien la « reconnaissance d’une seule Chine  », et qu’à son avis, l’intention de Pékin n’était pas d’agresser Taïwan dans un avenir proche.

Le résultat est qu’au milieu de profondes divergences latentes à propos de Taïwan, de l’embargo américain sur les microprocesseurs, des droits de l’homme, du Xinjiang, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et du soutien de la Chine à son industrie nationale, dont l’Amérique dit qu’il contrevient à la loi du libre marché, il a été décidé qu’Antony Blinken se rende rapidement en Chine, pour « poursuivre les entretiens », dit le Département d’État.

Après la réunion, Xi Jinping est cependant revenu à l’essentiel des tensions qui n’ont pas disparu. Pour lui, Taïwan était « la première ligne rouge » à ne pas franchir dans les relations sino-américaines. Il reste que la simplicité sans nuance de la vision chinoise des relations dans le Détroit cache l’essentiel.

Point aveugle de sa réflexion stratégique, le Parti fait mine d’ignorer que l’Île marche depuis 1988 vers une démocratie de plus en plus sophistiquée comportant même un exemple de « démocratie directe » dont une manifestation emblématique eut lieu à Kaohsiung en juin 2020, précisément en riposte aux intrusions chinoises.

Un référendum d’initiative populaire avait en effet permis d’annuler l’élection de Han Kuo Yu, candidat du KMT, porté au pouvoir grâce à l’intrusion massive des « trolls chinois » dans les réseaux sociaux de l’Île. Lire : A Taïwan la démocratie directe éloigne l’Île du Continent.

Alors que les investigations des services américains ont, depuis 2014, révélé l’existence au sein de l’Armée Populaire de Libération, d’unités de « cyber-guerre » - les plus connues portent les n°61 398 et 61 486, stationnées à Shanghai-Pudong -, dont le but est de dérober des secrets industriels, l’épisode intrusif dans l’élection municipale de Kaohsiung il y a seulement deux années, atteste que leurs objectifs peuvent aussi être politiques.

Du coup, l’incident entre Xi Jinping et Justin Trudeau ayant offusqué le président chinois et donné lieu à un long démenti du Waijiaobu, prend une toute autre signification, renvoyant l’offuscation publique du n°1 chinois à une posture.

Note(s) :

[1Le projet dont l’ampleur maritime est en effet adaptée à l’immense archipel indonésien à cheval sur deux océans, avait été proposé par le Président Jokowi pour la première fois en 2014. En 2019, Evan Laksmana, chercheur à l’antenne indonésienne du Centre des Études Internationales & Stratégiques à Djakarta, avait identifié les lacunes de sa mise en œuvre.

L’ambition qui voyait large, construite autour d’une culture de la mer, de ses ressources et de leur mise en valeur, accompagnée par des installations portuaires et une infrastructure adaptée reliant entre elles la multitude des îles, avec ses ramifications liées à une conception stratégique navale de portée « océanique » de la sécurité nationale, n’a pas encore vraiment décollé.

Au lieu de valoriser cette vision du « grand large océanique », l’attention de Djakarta s’est en effet portée vers une conception plus classique du développement, articulée à l’aménagement du territoire et à la promotion sociale visant à réduire les inégalités, proche de la vision « continentale » du développement prônée par le parti communiste chinois.

Le résultat, dit Evan Laksmana, est que « les intérêts stratégiques de l’Indonésie ont cédé le pas à l’inertie bureaucratique de la politique intérieure. » En substance l’étroitesse de la vision a gâché l’occasion de placer Djakarta en grande puissance de la mer.

De cette estrade, au-dessus du lot des autres pays de l’ASEAN, elle aurait été capable de gérer l’impact sur la région de la concurrence stratégique sino-américaine dont l’épicentre reste tout de même la menace d’empiètement chinois sur les eaux indonésiennes et, en premier lieu, le gisement de gaz des Natuna.


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