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Risques de conflit dans le détroit de Taïwan. Le durcissement chinois face à la rupture démocratique

Cet essai est un point de situation des interactions entre Taïwan et le Continent mises en perspective historique. Il reprend les thèmes de plusieurs analyses déjà mises en ligne. S’il est exact que, conséquence de la guerre civile et de la fuite à Taïwan de Tchang Kai-chek et de ses troupes, le parti communiste chinois n’a jamais contrôlé Taïwan, le régime à Pékin ne l’entend pas de cette oreille.

Pour lui qui s’applique à replacer son rôle dans la longue histoire du pays, l’appartenance de l’Île est d’abord légalement attestée par la reconnaissance des NU en 1971, excluant Taïwan dont le statut international est alors devenu flottant et ambigu ; elle est aussi assurée sans ambiguïté par la série des « Trois communiqués  » entre Pékin et Washington établissant clairement l’existence « d’Une seule Chine dont le gouvernement légal se trouve à Pékin. » ;

Plus encore, et dans un esprit de continuité historique, l’appartenance souveraine est aussi affirmée au nom de la longue histoire d’interactions culturelles et économiques dans le Détroit datant de la première moitié du XVIIe siècle, où l’Île a même, avant d’être conquise en 1683 par les troupes de la Dynastie Qing, servi de refuge rebelle aux fonctionnaires et militaires des Ming hostiles aux Mandchou qu’ils considéraient comme une force d’occupation étrangère.

Indication de la longue imbrication des deux histoires, les réfugiés des Ming s’étaient déjà installés dans l’Île avec, comme Tchang Kai-chek trois siècles plus tard, le projet de reprendre le Continent aux Mandchou.

Pour autant, ce narratif de l’appartenance imbriquée par l’histoire passe sous silence la rupture démocratique, provoquée en 1988 par Jiang Jinguo, le fils même de Tchang Kai-Chek. L’angle mort de la conscience autocrate du Parti ignore, sans esprit de recul, qu’à Taïwan le poids de la volonté populaire consultée par les urnes éloigne l’Île du parti communiste en voie de radicalisation totalitaire.

Aujourd’hui, alors que l’exécutif de l’Île est, à la suite d’élections libres, investi par une mouvance de rupture politique avec le Continent, près de 87% des Taïwanais sont, à des titres divers, hostiles à une réunification avec un Continent dominé par l’appareil communiste.

Alors qu’à Taïwan monte un esprit de résistance civique inspiré par la combativité opiniâtre des Ukrainiens, l’obstination souveraine de Xi Jinping ayant haussé la réunification à hauteur d’une exigence nationaliste incontournable, y compris par la force, fait entrer la question de Taïwan dans des eaux mal balisées.

La rédaction.

*

La question de Taïwan est un des points brûlants de la situation stratégique mondiale. Nombreux sont les stratèges occidentaux qui la considèrent comme le point inflammable possible d’un conflit de grande ampleur entre les États-Unis et la Chine.

A l’heure où le régime chinois, clairement plus radical, durcit contre l’Île sa position de souveraineté cependant inchangée dans le fond depuis 1949, les élites politiques américaines perçoivent que si Pékin parvenait à s’emparer militairement de Taïwan, la prévalence stratégique des États-Unis, non seulement dans le Pacifique occidental mais également dans le monde, serait durablement compromise.

Ailleurs, la mouvance estimant qu’en cas de conflit dans le Détroit, les pays occidentaux démocratiques ne pourraient pas rester inertes gagne en importance. Le 24 février 2021, Antoine Bondaz, docteur en sciences politiques de la Fondation pour la Recherche Stratégique, auditionné par le parlement européen estimait que, sur la question de Taïwan, il était « urgent que les États membres de l’Union passent du statut d’observateur passif à celui d’acteurs proactifs. »

Pour lui, le défi et les intérêts des Européens étaient que les chefs d’États du Conseil « adoptent une stratégie claire pour dissuader Pékin de bousculer par la force le statuquo dans le Détroit ».

Alors que d’un point de vue stratégique, il est naïf et dangereux de considérer que le « statuquo » serait une notion viable dans un monde en évolution rapide au milieu d’un bouleversement de rapports de forces défavorables à l ’Occident, c’est peu dire que Pékin rejette l’idée de « l’immuable  ».

La brutalité à l’emporte-pièce du Parti communiste.

Le 16 octobre, le discours d’ouverture du 20e Congrès du Parti de Xi Jinping était un vaste inventaire des intentions de l’appareil truffé de contradictions.

La propagande faisait cohabiter le « centralisme démocratique » d’un parti de plus en plus dirigiste dont la hiérarchie s’est concentrée autour du pouvoir sans partage de Xi Jinping ; l’illusion que les Taïwanais pourraient accepter de rejoindre une Chine gouvernée par le schéma « Un pays deux systèmes » récemment vidé de sa substance à Hong Kong ; et, par-dessus tout, les intentions d’une réunion pacifique toujours mêlées à la menace récurrente d’une intervention armée.

La réalité est que, depuis qu’il est arrivé pouvoir, il y a dix ans, Xi Jinping a durci sa position à l’égard de l’Île. Le raidissement s’est accentué en 2016, à l’élection de Tsai Ing-wen qui tout en déclarant souhaiter « le statuquo » [1], rejette « le consensus de 1992 » , acceptation de principe par Taipei et Pékin que l’Île est historiquement chinoise.

Conclu en novembre 1992 à Singapour entre deux organismes officieux représentant l’un le Parti Communiste chinois (ARATS – Association for the Relations Across the Taïwan Straits) et l’autre Taïwan (SEF – Straits Exchange Foundation) alors sous la coupe politique du Kouo-Min-Tang favorable à la « politique d’une seule chine », le « consensus » est une ambiguïté qui tient à distance les tensions militaires dans le Détroit.

Se référant à la République de Sun Yat-sen (1912), le « consensus » stipule que les deux côtés conviennent de l’existence « d’une seule Chine », mais diffèrent sur ce que serait la nature politique d’une Chine réunifiée.

Nouvelles conditions d’engagement de la force et tensions avec Washington.

Portant depuis 2013, une pensée nationaliste anti-occidentale où se mêlent les souvenirs amers du siècle des humiliations de la Chine par l’Occident et le Japon au XIXe siècle et l’ambition de hisser son pays au premier rang des puissances mondiales à l’échéance des cent ans de pouvoir du parti communiste en 2049, Xi Jinping a progressivement fait évoluer les conditions de l’usage de la force contre l’Île.

Initialement conçue pour dissuader une intention de rupture, elle est aujourd’hui perçue comme l’instrument à part entière d’une réunification coûte que coûte. Tel est le sens que les Taïwanais donnent à la dernière phrase de son discours du 16 octobre qui évoquait l’inéluctable : «  La roue de l’histoire est celle de la renaissance de la Nation chinoise. La réunification complète de notre pays doit être réalisée et elle pourra, sans aucun doute, être réalisée.  »

Au même moment, le 12 octobre, deux jours avant l’adresse de Xi Jinping au 20e Congrès, le Président américain dévoilait le cœur de la nouvelle stratégie de défense du Pentagone. On y lisait une alerte où Pékin était désigné comme une menace systémique majeure, partie d’une alliance des autocrates contre les démocraties. « Alors que la Russie a brutalement détruit la stabilité européenne en agressant l’Ukraine, la Chine qui nourrit le projet de remodeler l’ordre international, exporte son modèle de gouvernance marqué par la répression à domicile et la coercition à l’étranger. »

Le 4 août dernier, quatre-vingt-dix jours avant l’ouverture de la mise en scène politique du 20e congrès, Pékin a brutalement rappelé sa détermination à affirmer sa souveraineté sur Taïwan.

Déclenchant une vaste démonstration de force autour de l’Île [2], donnant le sentiment de tester une stratégie de blocus, Pékin réagissait violemment à la visite dans l’Île du 2 au 4 août 2022 de Nancy Pelosi, troisième dans l’ordre protocolaire américain.

L’extrême brutalité de la réaction qui exprimait la crainte que Washington dénonce les arrangements pris au moment de sa reconnaissance de la Chine en 1979, signifiait aussi que la question taïwanaise était une affaire intérieure chinoise ne souffrant aucune ingérence extérieure.

Arrivée dans l’Île à bord d’un « Air Force One » de la Maison Blanche contredisant le discours de Washington d’une initiative du Congrès indépendante de l’exécutif, la venue de la Présidente de la Chambre des représentants qui, par le passé s’était souvent signalée par ses critiques des abus du régime chinois, a été perçue à Pékin comme une provocation.

En interne, la férocité de la réaction était attisée par l’obligation de ne faire aucune concession souveraine alors que se profilait le Congrès du Parti où, pour la première depuis Mao (qui fut n°1 du parti de 1943 à sa mort en 1976), Xi Jinping (69 ans depuis juin 2022), postulait pour un troisième mandat en transgressant la jurisprudence de l’appareil fixant la limite d’âge des débuts de mandat à 68 ans.

Note(s) :

[1La formule spécule sur le maintien indéfini et improbable d’un équilibre instable des contraires. D’un côté Pékin, politiquement cadenassé, aujourd’hui subjugué par un nationalisme radical, portant plus que jamais la réunification à hauteur d’une mission nationale sacrée, garantit au nom du statuquo, de ne jamais attaquer l’Île.

De l’autre Taïwan, quoique de culture chinoise marquée par le Confucianisme, aujourd’hui battu en brèche par un foisonnement de tendances post-modernes, devenue une démocratie vibrante, portée vers la rupture avec le Continent autocrate, promet, au nom du même statuquo, de ne jamais déclarer l’indépendance, en dépit de puissantes forces internes militant pour l’établissement d’un État séparé de la Chine.

[2A ) Brutale augmentation du survol du Détroit par des chasseurs de combat évoluant en formations serrées aux limites de la Zone de Défense et d’Identification de l’Île à 250 Nautiques au sud-ouest de Kaohsiung et à 75 Nautiques au nord-ouest de Taipei. B ) Tirs de missiles balistiques autour de l’Île dont les impacts empiétaient sur le ZEE de l’Île et sur celle de l’archipel japonais de Hateruma situé à 200 Nautiques à l’Est de Taïwan.


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