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›› Editorial

Vents contraires

L’analyse de François Danjou offre une vue transversale des événements dont l’arrière-plan général est, à l’intérieur, un reflux de la popularité de Xi Jinping au moins chez certains intellectuels et un questionnement sur la pertinence de l’action extérieure de la Chine.

Elle ne prétend pas faire le tour de la question, ni préjuger de l’évolution des rapports de forces, mais elle propose un arrêt sur image au moment où, en Chine même, et malgré la censure, le Parti ne peut plus se prévaloir d’une unité sans faille autour de la gouvernance de Xi Jinping.

S’il est possible d’affirmer que l’opinion publique chinoise soutient l’actuel Bureau Politique dans son bras de fer avec l’Amérique, il n’en va pas de même de tous les intellectuels. Des craquements apparaissent en effet ici et là, traduisant une usure de l’enthousiasme qui il y a encore quelques mois accompagnait les discours sur le « rêve de renaissance de la Chine – 中国 复兴 梦 - ».

Les principales critiques fustigent un style de gouvernance autocrate ayant fermé tous les débats à l’intérieur du Parti et éliminé les nuances et les voix contraires au prétexte de la lutte contre la corruption.

A l’extérieur, il est vrai que Pékin peut encore se prévaloir de nombreux soutiens dans le Tiers Monde, en Afrique, en Amérique Latine, au Moyen Orient, en Amérique du Sud, en Russie, en Iran et en général de tous ceux qui détestent l’Amérique.

A ce sujet, un des meilleurs exemples de la fracture entre d’une part, les appuis internationaux de la Chine loin d’être négligeables et, d’autre part ses détracteurs, essentiellement Occidentaux, reste encore le contraste dans la manière dont les deux camps apprécient la politique de Pékin au Xinjiang.

A ce sujet, lire l’analyse de J-P. Yacine de juillet 2019 qui faisait l’inventaire des appuis de Pékin à propos du traitement infligé aux Ouïghour, que l’Occident tout entier condamne avec de plus en plus de mordant : Controverses globales autour du traitement des Ouïghour. Pékin rallie un soutien hétéroclite et brouille la solidarité des musulmans.

L’autre face de cette réalité est que la nébuleuse des critiques de Pékin prend de l’ampleur dans la presque totalité des pays occidentaux. Vue des États-Unis et d’Europe et en dépit des discours de l’appareil sur l’ouverture internationale et le désir de paix du régime, dont le président Xi Jinping a présenté un concentré lors de son discours à la dernière AG des Nations Unies à la fin septembre, la Chine de Xi Jinping suscite de sérieuses inquiétudes.

La préoccupante épine dorsale des stratégies extérieures de Pékin donne en effet l’image de la contestation du droit international notamment en mer de Chine du sud (lire : En mer de Chine du sud, les limites de la flibuste impériale chinoise) et, appuyé par une affirmation nationaliste sans mesure, celle d’un positionnement anti-occidental aujourd’hui attisé par le souvenir des humiliations infligées au XIXe siècle à la Chine par les « Huit puissances » (sur ce sujet, voir une mise en perspective, en Annexe I.).

Tandis que Pékin remet en cause en les critiquant ouvertement les principes démocratiques qui fondent la colonne vertébrale des régimes occidentaux dont, il est vrai, la frénétique dérive individualiste accentue la vulnérabilité, l’affirmation de puissance de la Chine a allumé de nombreux contrefeux contre Pékin.

Taïwan, une très symbolique incandescence.

Mais tout compte fait c’est dans le Détroit de Taïwan que se cristallise le plus clairement le choc entre d’une part l’impératif politique d’unification normalisée au nom des « caractéristiques chinoises » et de l’histoire et, d’autre part, l’exigence démocratique que l’actuelle Présidente Tsai Ing-wen, harcelée et ostracisée par Pékin à cause de son projet de rupture avec le Continent, érige en flambeau autour duquel elle tente de rassembler les démocraties de la planète. Lire : A Taïwan, la pandémie éclaire la brutalité de Pékin.

La rédaction.

*

A l’intérieur, des figures politiques contestataires existent et s’expriment. Si elles restent en Chine, elles risquent gros, comme Ren Zhiqiang, milliardaire et membre du Parti. Fils d’un vice-ministre et blogueur turbulent suivi par plus de 30 millions de lecteurs, il avait traité Xi Jinping de « clown ». Pour cette raison, il vient d’être exclu du Parti et condamné à 18 ans de prison.

A Qinghua, le professeur de droit international Xu Zhangrun a été démis de ses fonctions pour avoir dénoncé la dérive fascisante du régime articulée au retour en force du culte de la personnalité de Xi Jinping dont l’expression fut éclatante à l’occasion du défilé militaire du 1er octobre 2019, avec ses foules compactes, sa masse des défilés martiaux et le retour des portraits géants qu’on croyait oubliés.

Plus prudente, Cai Xia, professeur de droit à la retraite de l’École Centrale du Parti a attendu d’être réfugiée aux États-Unis pour lancer un message critique en ligne de 20 minutes.

Après avoir accusé le président de manipuler à son profit le Parti comme le ferait « un chef mafieux », au point que l’appareil a été transformé, dit-elle, en « parti zombie », elle a, ne doutant de rien, demandé à ses anciens collègues de démettre le Président de sa fonction.

Émanant non plus d’intellectuels, mais d’une cadre supérieure de l’appareil politique, qui plus est issue du creuset idéologique du Parti dont elle exprime, au moins en partie, la pensée critique, la contestation à l’égard du dirigeant suprême a manifestement changé de nature. La machine reste fermement en charge, mais désormais la propagande affirmant l’unité de la Chine derrière le n°1 n’est plus tout à fait exacte.

La brutalité de la norme uniformisée imposée par Xi Jinping a récemment soulevé un contrefeu en Mongolie intérieure peuplée de 4,5 millions de Mongols où, à la fin août, des élèves et leurs parents ont organisé un boycott général des cours pour protester contre le recul de la langue mongole dans plusieurs matières. Face à la fronde le Parti est resté de marbre.

Le 3 septembre, Hua Chunyin, la porte-parole du Waijiaobu, interpellée sur le sujet a, exprimant la priorité inflexible de Xi Jinping, rappelé que « le Mandarin écrit et parlé était un symbole de souveraineté nationale. » (…) « C’est le droit et le devoir de chaque citoyen d’apprendre et d’utiliser la langue nationale parlée et écrite commune ».

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Un craquement ?

Récemment les indices de dissensions entre Xi Jinping et Wang Qishan actuel vice-président et ancien n°1 de la Commission Centrale de Discipline de 2012 à 2017 qui fut chargé de lancer la campagne contre la corruption et de tirer les très brutales premières salves en 2013, dessinent la perspective d’une fracture plus profonde entre plusieurs visions du pouvoir. (voir en Annexe II la trajectoire politique de Wang Qishan différente de celle de Xi Jinping).

L’hypothèse d’un craquement entre le Président et Wang qui fut souvent présenté comme un très proche confident de Xi Jinping est encore très hasardeuse. Pour autant, la mise en cause pour corruption étant devenue une arme politique dont les tirs sont d’abord déclenchés contre l’entourage des cibles de haut niveau, il est légitime de s’interroger sur la signification de la toute récente mise en examen, rendue officiellement publique le 2 octobre, de Dong Hong 董宏.

Depuis 1998 à Canton, Dong est le proche camarade de Wang Qishan, qu’il avait aussi suivi à Hainan, à Pékin et jusqu’à la Commission de la réforme économique du Conseil des Affaires d’État aujourd’hui dissoute.

L’affaire est à suivre en gardant en mémoire que toute la trajectoire politique de Wang Qishan, dont le mandat s’achèvera en 2022, date à laquelle il sera atteint par la limite d’âge fixée par la jurisprudence – il aura 74 ans -, indique qu’il pourrait considérer de manière critique l’action de Xi Jinping.

Son jugement dissonant viserait non seulement l’agressivité de la politique extérieure, mais également la politique intérieure où il avait, dès 2013, souligné que la simple répression des corrompus qu’il conduisait pourtant fidèlement, ne traiterait que les symptômes du mal. Pour lui le seul remède efficace devrait s’intéresser au fonctionnement même de l’appareil politique.

Le 8 octobre, concluant un article sur le sujet, KATSUJI NAKAZAWA, spécialiste des affaires chinoises de Nikkei Asia se demandait si la relation entre Wang Qishan et Xi Jinping dont tout le monde louait la solidité, n’en était pas arrivée à son crépuscule. « Si c’était le cas » dit-il, « la structure du pouvoir chinois serait sur le point de connaître un changement tectonique ».

Nuages

A l’extérieur, en Occident le ciel s’assombrit encore un peu plus pour Huawei. Selon le WSJ, à Berlin, le cabinet d’Angela Merkel préparerait une législation alourdissant notablement les procédures d’approbation des équipements du Chinois pour du réseau de relais de la 5G.

Un flottement identique de la relation avec la Chine est à l’œuvre en Grèce après le passage de Mike Pompeo et le choix par le fournisseur d’accès Cosmote du Suédois Eriksson pourtant 30% plus cher, comme fournisseur exclusif des équipements de la 5G grecque. En Europe de l’Est, l’enthousiasme prochinois du schéma de relations 16 + 1 pourrait lui aussi avoir perdu sa dynamique.

En novembre de 2019, les services secrets tchèques annonçaient que la Chine était devenue « un risque comparable à celui de la Russie ». Les menaces proférées publiquement par le Ministre Wang Yi lors de la visite du président du Sénat tchèque à Taïwan n’ont rien arrang ; lire : Le sénat tchèque à Taïwan. Pékin perd son calme. Le fossé se creuse entre l’Île et les Chinois.

A Londres, le vent a tourné à 180° en fort contraste avec la lune de miel de la visite de Xi Jinping en 2015 (lire : Lune de miel entre Londres et Pékin. Le faste monarchique au service du pragmatisme) ; secouée par les crispations de la loi sur la sécurité à Hong Kong et l’accueil réservé à Nathan Law en juillet, la relation a carrément tourné à l’aigre.

Le 5 octobre, le tout nouveau Chancelier de l’Échiquier Rishi Sunak d’origine indienne, appelait à la fermeté et au réalisme dans la relation avec Pékin.

Alors que Pékin avait en 2018 acheté l’ancestral Hôtel des Monnaies (Royal Mint), surplombant la Tamise, face à la Tour de Londres aux limites de la City situé à un jet de pierre de l’ancien « China Town » pour en faire la plus vaste ambassade au monde –, projet grandiloquent où perce clairement un désir de revanche historique, un siècle-et-demi après les humiliantes guerres de l’opium –, voilà que le site de la prochaine mission diplomatique est ciblé par la communauté musulmane voisine peuplant les quartiers Est de la capitale britannique.

La raison de la colère est le traitement réservé par la Chine aux Musulmans Ouïghour du Xinjiang que le pouvoir chinois emprisonne illégalement en grand nombre en leur infligeant, sous prétexte de lutter contre le risque terroriste - qui n’est cependant pas une chimère -, un programme de rectification politique et des séances de travail forcé (sur le risque terroriste, lire : Xinjiang. Menaces djihadistes directes et spirale répressive et Risques de contagion radicale au Xinjiang).

La brutalité diplomatique en question.

Au moment où le pouvoir se raidit à l’intérieur, tandis qu’à l’extérieur monte une réprobation de l’Occident, le 30 septembre, Yuan Nansheng, qui fut jusqu’en 2014 Consul Général à San Francisco avec rang d’Ambassadeur, Docteur en droit, auteur prolifique de nombreux livres traitant des relations heurtées de la Chine avec l’Occident et ses voisins, mettait publiquement en garde contre la montée populiste et l’exacerbation nationaliste.

Aujourd’hui vice-Président de l’Institut des Études Internationales - 中国国际问题研究所 -, le centre de recherche stratégique du Waijiaobu, Yuan Nansheng se projette après la pandémie et anticipe que Washington échaudé par l’agressivité chinoise pourrait revenir à son ancienne stratégie de « containment - 遏制 » de la Chine.

Que craint-il ? Un retour à un succédané de guerre froide qui finirait par réduire le flux des échanges sino-américains aussi indispensables pour la Chine que pour les États-Unis. Il l’exprime sans trop de prudence et assez clairement pour que la tête de l’Appareil comprenne la critique.

« Bien qu’il soit peu probable que la Chine et les États-Unis s’engagent sur la voie du découplage, cette possibilité ne peut pas être éliminée et doit faire l’objet d’une attention particulière ».

Il ajoutait une critique acerbe du manque de subtilité des stratégies chinoises : « tenter de profiter du chaos de la pandémie en spéculant sur le déclin des États-Unis est une grave erreur stratégique. » (…) Car, dit-il, « maîtrisant les technologies de pointe, disposant du plus grand marché intérieur, contrôlant, par ses marchés boursiers le plus riche marché financier de la planète, les États-Unis pourraient être les premiers à sortir de la crise économique et à se remettre en ordre de marche ».

Enfin, prenant le contrepied de l’agressivité internationale des diplomates « Loups guerriers », (lire : La Chine agressive et conquérante. Puissance, fragilités et contrefeux. Réflexion sur les risques de guerre) Yuan prônait le retour à la prudence stratégique suggérée par Deng dans les années 90 « - 韬光养晦 –cachez vos éclats et cultivez l’ombre ».

« Certains », dit-il, « croient que la stratégie de Deng exprimerait une faiblesse. C’est un grand malentendu. (…). Le soldat tire son épée, mais le diplomate la range dans son fourreau. Personne ne doit savoir qu’elle est là. La diplomatie chinoise doit être plus solide. Et pas seulement plus brutale ».

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ANNEXE I
Nationalisme, normalisation et paranoïa du contrôle.

Le nationalisme chinois est aujourd’hui enflammé par les réminiscences fréquemment rappelées par Xi Jinping des humiliations infligées au XIXe siècle à la Chine par les « Huit puissances » que tous les élèves chinois du secondaire connaissent par cœur - Le Japon et l’Amérique + six grandes puissances européennes de l’époque, dont la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie + l’Autriche-Hongrie, passée à la trappe de l’histoire en 1918 –.

A la racine directe des tensions dans l’ancienne colonie britannique de Hong Kong, se trouve précisément le télescopage de l’histoire humiliée de la Chine avec le frénétique désir démocratique des jeunes jusqu’au-boutistes exprimant depuis l’été 2019 l’angoisse qu’une page de l’histoire s’est définitivement tournée.

On aurait cependant tort de croire comme le parti communiste chinois que le malaise est seulement celui des jeunes démocrates harcelés par Pékin. Il est aussi celui de la majorité de la population de la Région Administrative Spéciale R.A.S.

Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut se souvenir qu’il y a 170 ans – ce qui à l’aune des 3000 ans d’histoire de la Chine est très court -, l’Empire, victime d’un dépeçage ayant progressivement déchiré le Territoire comme une peau de chagrin, avait cédé à Londres un morceau de Hong Kong à chacune de ses défaites des guerres de l’opium (1842 : l’Île de Hong Kong - le port aux parfums -, 1860 : la péninsule de Kowloon - les neuf Dragons - et 1898 (trois ans après la défaite de la Chine contre le Japon) : les « Nouveaux Territoires » jouxtant la Chine au nord de l’actuelle R.A.S.

Ces derniers furent cédés aux Britanniques, alors que Tokyo récupérait Taïwan, restée territoire colonial japonais jusqu’en 1945, date de la défaite nippone contre l’Amérique.

Les humiliations infligées à la Chine ne se sont pas arrêtées là. En 1918, 20 ans à peine après la cession des derniers lambeaux de Hong Kong où, aujourd’hui le Parti souverain, redoute la naissance d’un sentiment de rupture développé à la faveur du schéma « Un pays deux systèmes », le traité de Versailles attribua au Japon la colonie allemande du Shandong.

Cette fausse manœuvre de Clemenceau ayant bafoué l’orgueil des Chinois au profit de leur ennemi héréditaire nippon, provoqua un sursaut d’orgueil appelé « Mouvement du 4 mai 1919 » à la racine du nationalisme chinois qui enfle aujourd’hui à la limite de la démesure.

Les sentiments pro-japonais bien connus de Clemenceau furent aussi l’arrière-plan de la naissance du Parti Communiste chinois dans une modeste maison de la concession française de Shanghai, deux ans plus tard, en 1921, dont l’appareil fêtera le centenaire l’année prochaine.

L’appareil saisira cette occasion pour mettre en scène par des réminiscences historiques soigneusement choisies, son discours selon lequel il est le seul à pouvoir gouverner la Chine. L’autopromotion coïncide avec la détermination de l’appareil à ne pas lâcher le pouvoir.

Cette pensée politique normative et unificatrice s’adosse non pas au marxisme, au Bouddhisme ou au Taoïsme, mais à l’ancestral fond culturel chinois issu de la pensée confucéenne. Celle-ci prêche l’harmonie et l’unité par la morale, mais sa version dure dite « légiste » qui ne croit pas au fond bienveillant des hommes, prône la cohésion par la coercition répressive.

Un concept politique normatif et intégral.

Dans cette conception de l’État, dit Yves Chevrier, Directeur d’Études à l’EHSS « la souveraineté fait du politique plus que l’exercice d’une autorité légitime, bien plus même qu’une technique de gestion administrative de la société, mais la garantie de la civilisation opposée en bloc au chaos. ».

Il ne s’agit pas d’une vision contingente du rapport de pouvoir à la société, contestable et révocable par les urnes, mais du « pouvoir d’ordonner le monde confondu intégralement avec le pouvoir de commander aux hommes. Il n’y a ni spirituel, ni temporel, ni sacré, ni profane, qui puisse lui échapper (…). Le territorial, le militaire, l’administratif, l’économie, la religion sont subordonnés à la toute-puissance de la souveraineté ». Celle-ci est exercée par le Parti unique confondu avec l’État et la Nation.

Marcel Granet disait la même chose : « C’est grâce à une participation active des humains et par l’effet d’une sorte de discipline civilisatrice que se réalise l’Ordre universel. À la place d’une science ayant pour objet la connaissance du Monde, les Chinois ont conçu une étiquette de la vie qu’ils supposent efficace pour instaurer un ordre total ». (La pensée chinoise. Marcel Granet. Albin Michel. 1934.)

Dans la même veine, Anne Cheng, fille de l’Académicien François Cheng et professeur au Collège de France, explore les ressorts rituels de la pensée politique articulée à la morale confucéenne assurant le fonctionnement normé de la société par un pouvoir incontestable puisqu’il se réfère à l’immanence de l’ordre naturel des choses.

C’est à tout cet arrière-plan culturel et politique où les rites, la morale et les techniques de gouvernement concentrées autour d’un pouvoir fort appuyé à « l’immanence d’un ordre naturel » que le régime chinois fait référence quand il évoque les « caractéristiques chinoises » au nom desquelles il protège la Chine des contestations et des dissidences assimilées au chaos.

Elles justifient l’actuelle quadrillage de la population chinoise par le « crédit social » - dont il faut cependant préciser que, contrairement à ce qu’en disent les critiques occidentaux, il est – jusqu’à présent - plutôt bien accepté par la population toujours hantée par la peur du « chaos », réminiscence insistante et répétitive de la longue histoire chinoise.

Autre nuance - sauf dans les régions à très fortes minorités allogènes, au Tibet, fief du Bouddhisme lamaïque, au Xinjiang et au Ningxia peuplés de musulmans - les premiers Ouïghour d’origine turque, les seconds Hui dont les ancêtres viennent d’Asie Centrale, d’Arabie et de Perse, où le quadrillage est implacable -, ailleurs en Chine, notamment dans l’arrière-pays et les campagnes, le « crédit social » n’est appliqué que de manière très lâche, voire bon enfant. Dans certaines régions, on ne sait même pas de quoi il s’agit.

Il reste qu’au Xinjiang, au Ningxia, au Tibet et à Hong Kong, la lourde main centralisatrice de l’appareil qui ne fait pas dans la dentelle, met en œuvre une féroce répression collective contre ce que le Comité Permanent du Bureau Politique perçoit comme un risque de dissidence séparatiste.

Dans ces territoires, la réaction du Parti n’est cependant pas uniforme face à des risques dont la nature est différente.

A Hong Kong, les contremesures destinées à tuer dans l’œuf toute velléité de rupture se sont limités à l’augmentation du pouvoir des forces de police et à la nouvelle loi dite « de sécurité nationale » interdisant toute manifestation et incarcérant sans jugement pour des durées plus ou moins longue, une bonne partie de la mouvance démocrate.

Au Xinjiang et au Tibet, en revanche, l’appareil, échaudé par les violentes révoltes contre les Han en 2008 au Tibet et en 2009 au Xinjiang, a entrepris une « normalisation sinisée » à la fois par une puissante immigration des Han et par l’enfermement de vastes échantillons de la population isolés dans des centaines de camps dits de « rééducation » dont la réalité est attestée par des photos satellites et de nombreux témoignages.

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ANNEXE II
Wang Qishan, un fidèle à la pensée critique.

Wang, ancien maire de Pékin promu en catastrophe à ce poste en 2003, durant la crise du SRAS s’était rapproché du n°1 depuis l’époque de la préparation aux JO de 2008, dont Xi Jinping, alors vice-président, avait la charge sous le mandat de Hu Jintao.

Il avait aussi adhéré à l’urgence de « nettoyer » le parti des vastes réseaux corrompus qui le gangrénaient au point de menacer sa survie. Mais sur le fond de la formation reçue et des convictions politiques et idéologiques tout oppose les deux hommes.

Spécialiste de l’histoire moderne à l’Académie des Sciences sociales (1979 – 1982), à l’époque où Xi Jinping, de 7 sans son cadet, était à 29 ans le secrétaire du ministre de la défense Geng Biao, affecté à ce poste grâce à l’entremise de son père Xi Zhongxun, Wang est d’abord un chercheur dont l’esprit est tendu par l’idéal d’objectivité.

De cette expérience dans le plus grand centre d’analyse de Chine qui fut suivie de quatre années au sein d’organismes de recherches sur le développement rural au Comité Central et au Conseil des Affaires d’État, le Vice-Président a acquis un sens aigu du pragmatisme et de l’exigence de composer avec les réalités.

Après ce passage dans la recherche, Wang s’est orienté vers la gestion de fonds, puis vers la finance d’État par le truchement des grandes banques publiques jusqu’à devenir en 1994, à 46 ans, gouverneur de Banque de Construction.

Après quoi il est entré en politique par le Comité permanent de la province de Canton avant d’être nommé en 2002 à la tête de l’île de Hainan.

C’est sa réputation d’homme réactif, ayant par l’expérience acquis un solide pragmatisme qui, en 2003, avait poussé l’appareil à le relever en catastrophe de son poste protégé à Hainan pour le plonger dans la tourmente de la capitale frappée par la grave crise politique de l’occultation par l’appareil de l’épidémie de SRAS. Au pied levé, il assuma la charge de maire Pékin jusqu’en 2007.

Après quoi il entra au Bureau Politique, puis au Comité permanent en 2012.

En 2018, à 70 ans, il était nommé à la vice-présidence de la République, terme d’une carrière riche d’expériences diverses, dans les centres de recherche, au sein du système financier chinois, à la tête de provinces comme vice-gouverneur du Guangdong (1998 – 2000) et n°1 à Hainan (2002 – 2003), à la mairie de la capitale (2003 – 2007) puis comme vice-premier ministre (2008 – 2013), et enfin à la tête du Commission Centrale pour l’inspection disciplinaire du Parti (中国共产党中央纪律检查委员会).

A ce poste, il a jusqu’en 2017 fidèlement servi le projet de Xi Jinping de la lutte contre la corruption, ciblant les « tigres » et les « mouches », assez souvent avec brutalité, à la suite de dénonciations anonymes. Au cours de ces années, il n’a formulé qu’une seule critique connue, mais qui touchait au cœur même de la stratégie de nettoyage éthique de l’appareil.

S’exprimant en 2013, il notait que la répression ne traiterait que la surface des choses et les symptômes d’un mal dont les racines étaient le fonctionnement même de l’appareil. La remarque dessinait les limites de l’exercice qui, depuis 2013 met la machine politique chinoise sous forte tension.

Cette seule observation révélait, il y a déjà sept ans, une brèche entre lui et le n°1. La répression brutale ne suffirait pas. Pour espérer réduire la mal, il faudrait tenter une réforme profonde du fonctionnement encore très enchevêtré du système socio-politique où les ramifications de l’exécutif sont encore très imbriquées aux intérêts d’affaires.

Surtout, les coups de balai infligés à la société, au tissu économique et à l’appareil, en marge du système judiciaire sans aucun souci d’indépendance, font surgir le soupçon délétère que les purges [1] ne sont en réalité qu’une lutte de clans destinée à éliminer les voix contraires.

Enfin, Wang Qishan connu pour son affabilité et sa souplesse qui s’est hissé au sommet de la République Populaire, fidèle serviteur du parti, ayant initié une féroce campagne d’assainissement, dont il avait lui-même identifié les failles, est assurément un patriote.

Mais, s’il est vrai qu’il a d’abord été animé par le souci légitime de débarrasser le pays de la gangrène de la corruption, il est improbable qu’il puisse approuver la dérive de limogeage politique par le vide qu’est devenue la campagne.

Enfin, ayant à l’époque de ses responsabilités financières dans l’appareil noué des liens avec nombre de responsables occidentaux, à la Banque Mondiale et aux États-Unis, il ne fait aucun doute que l’affirmation nationaliste sans nuance et anti-occidentale de Pékin l’a progressivement placé en porte-à-faux.

Note(s) :

[1dont la dernière ayant pris en écharpe la justice et la police eut lieu cet été, alors que, dit-on, une autre se prépare (lire : Sévère campagne de rectification de l’appareil de sécurité.)

 

 

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