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›› Taiwan

L’inflexible détermination de Pékin et la résistance des taïwanais

Les effets indésirables de la brutalité.

L’augmentation des pressions de Pékin contre l’Île a produit un mouvement de solidarité antichinois et pro-taïwanais. Parmi les plus actifs promoteurs se trouvent des intellectuels japonais. Ici un séminaire, exprimant une solidarité par le rare affichage de l’emblème taïwanais, prône la proximité entre le Japon et les États-Unis sur la question de Taïwan. L’augmentation des pressions chinoises a également modifié la position européenne.

La recommandation d’octobre 2021 du Parlement européen au haut représentant de la Commission européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité sur les relations avec Taïwan en est un exemple. Statuant que Taïwan et l’UE sont des partenaires aux vues similaires partageant des valeurs communes, le parlement a également salué les efforts de Taipei pendant la pandémie comme un « exemple tangible du comportement de Taïwan en tant que partenaire et la preuve qu’il doit être traité comme tel ». Un mois plus tard, une délégation du Parlement européen se rendait à Taipei.


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Avec cet arrière-plan qui donne des réactions taïwanaises à la pandémie une image contrastant avec les occultations initiales du parti communiste chinois à Wuhan, les démonstrations de force à coups de missiles, ont fait naître dans la communauté internationale démocratique un mouvement de sympathie que Tsai Ing-wen a réussi à hausser au niveau d’une résistance globale des démocraties contre les pressions des autocrates.

Lire : Large victoire de Tsai Ing-wen. L’indépendance mise en sommeil. Pékin réagit avec placidité.

Plus encore, alors que lors des rencontres officielles, Pékin impose à tous ses interlocuteurs de reconnaître « la politique d’une seule Chine », nombreux sont ceux (États-Unis, Royaume-Uni, UE, Canada) qui, non seulement, maintiennent des liens économiques, culturels et parfois même militaires avec l’Île, mais encore y envoient des délégations de parlementaires, comme récemment le vice-président du parlement européen.

En réalité, tout indique que la Chine a sur-réagi à la visite de Nancy Pelosi. Même si Nancy Pelosi est la troisième personnalité dans l’ordre de succession présidentiel, elle n’est pas la première figure politique d’importance à visiter Taïwan, il suffit de se souvenir de la visite du secrétaire d’État américain à la santé Alex Azar, le 9 août 2021. Mais, dans le contexte politique échauffé de la préparation du 20e congrès du Parti en novembre prochain, il est probable que le Bureau Politique et Xi Jinping craignent d’être accusés d’avoir laissé s’estomper la force de l’affirmation « d’Une seule Chine », absolu consensus de l’opinion chinoise, au profit de la banalisation des relations internationales de l’Île.

Enfermés dans leur détermination toujours enracinée dans le souvenir de la guerre civile d’imposer aux Taïwanais un avenir stratégique dont ils ne veulent plus, ils persistent et signent, ignorant que les tirs de missiles augmentent l’audience de Tsai Ing-wen, non seulement à Taïwan, mais également dans la communauté mondiale des démocraties [2].

Alors que, toujours vindicatif, Lu Shaye l’Ambassadeur de Chine en France déclarait le 7 août au micro d’Europe 1 que l’armée chinoise ne reculera pas face à la population de l’Île « endoctrinée », l’appareil publiait le 10 août son troisième « Livre Blanc sur Taïwan intitulé » « La question de Taiwan et la réunification de la Chine à l’ère nouvelle. - 台湾问题与新时代中国统一事业 ».

Un nouveau Livre Blanc sans concessions.

A la suite des deux premiers publiés en 1993 et 2000, le nouveau Livre Blanc sur Taïwan expose « une feuille de route » de la réunification pacifique par le biais du concept « Un pays deux systèmes » dont les Taïwanais devenus démocratiques en 1988 et échaudés par la récente crise de Hong Kong ne veulent pas. Exprimant un durcissement par rapport aux deux précédents, le nouveau LB fixe clairement les limites des libertés politiques accordées à l’Île qui, en cas de dérive du schéma politique des deux systèmes, serait replacé sous le contrôle direct de Pékin.


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Faisant remonter l’appartenance de l’Île à la Chine des « Trois Royaumes » (220 à 280 ap. JC), le document rappelle aussi, comme Qin Gang que les Song (960 – 1271) et les Yuan (1271 – 1368) avaient établi des pouvoirs administratifs et militaires dans les îles Penghu et Taïwan, avant de se référer lui aussi à la résolution de l’ONU de 1971.

A la suite des LB précédents de 1993 et 2000 qu’il complète, convoquant aussi le souvenir des humiliations 屈辱 - infligées à la Chine au XIXe siècle, il trace en détail les perspectives d’une réunification sous la forme politique « d’Un pays deux systèmes », rendue possible dit-il par la multiplication des échanges depuis la fin de la loi martiale à Taïwan en 1987 , à la condition que Taipei reconnaisse l’appartenance historique de l’Île à la Chine dans le cadre du « consensus de 1992, en chinois 九二共識 » [3].

Mais lui aussi passe sous silence l’évolution démocratique de l’Île et que, depuis 2019, les Taïwanais sont les témoins directs de la manière dont à Hong Kong, le Parti a sévèrement dépouillé les « Deux systèmes » de leur essence de liberté politique, d’information et d’expression.

Dans la R.A.S, modifiant la structure du « Legco » en contournant les législateurs locaux, Pékin, sévèrement alarmé par le risque de sécession indépendantiste autorisé par les libertés politiques du schéma politique hybride, a réduit à néant l’influence les démocrates dans la RAS (lire : Réforme électorale. La mise aux normes politique de Hong Kong se poursuit sans faiblir) et poussé les activistes contestataires de la société civile à l’exil pour échapper à la prison.

Plus encore, comparé aux deux précédents, le texte du nouveau LB comporte un inquiétant durcissement. Comme à Hong Kong, il introduit l’aléa que l’Île serait directement subordonnée à Pékin en cas de dérive du schéma « Un pays deux systèmes » ou/et de menace contre la sécurité nationale, ce qui permettrait à Pékin de limiter les libertés.

Sans tenir compte des réticences taïwanaises qui rejettent massivement toute réunification avec l’actuel pouvoir à Pékin, il rappelle son caractère « historique inébranlable 不渝的历史任务 », présenté avec emphase comme une tâche à laquelle aspirent sans exception « les filles et les fils de la Nation chinoise - 全体中华儿女的共同愿望- ». Réunifiée contre l’avis de la majorité, l’Île serait comme à Hong Kong contrôlée par les pro-Pékin. Quant aux autres, il est probable que, comme le suggère l’Ambassadeur Lu Shaye, ils devraient être rééduqués pour corriger « l’endoctrinement » dont ils sont victimes.

Certes, le LB affirme accorder la préférence à une réunification pacifique, son premier choix. Mais fidèle à la position historique de l’appareil et revenant sur les conférences des années ayant précédé la reddition sans condition du Japon et sur celles qui suivirent, d’où la Chine communiste avait été exclue au profit de Taïwan représentée par Tchang Kai, il répète qu’il ne renoncera pas à l’usage de la force pour réaliser la réunification de la Nation chinoise 我们不承诺放弃使用武力.

Il prend cependant garde de rassurer les Taïwanais, en précisant qu’il ne le ferait qu’en toute dernière extrémité 不得已情况下最后选择, « poussé par des circonstances impérieuses. » La nuance est avant tout destinée à la partie des élites politiques, héritières de Tchang Kai-chek qui acceptent l’idée d’une seule Chine, même si elles réfutent toute réunification sous l’égide de l’actuel régime chinois.

Tel est le contexte de la visite en Chine du n°2 du KMT prévue jusqu’au 27 août. Elle est à replacer dans le contexte de la lutte pour le pouvoir à la tête de l’Île où les héritiers du Maréchal et de son fils, spéculant sur l’inconfort provoqué chez les Taïwanais par les harcèlements militaires, tentent de se donner l’image du parti de l’apaisement, par contraste avec la mouvance de rupture de Tsai Ing-wen accusée d’attiser les tensions avec Pékin par son refus de reconnaître l’idée d’une seule Chine.

L’opportunisme politique du KMT en visite en Chine.

Depuis le 10 août Andrew Hsia, n°2 du KMT est en Chine en visite non officielle. Membre du parti vaincu de la guerre civile en 1949, mais reconnaissant la politique d’une seule Chine, il est improbable qu’il ne rencontre pas des représentants de la direction politique chinoise.


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Dans le but d’affirmer sa différence politique avec le DPP au pouvoir, le KMT promoteur de la « politique d’une seule Chine », mais dont l’audience dans l’île a faibli, a, le 10 août dernier, envoyé sur le Continent une mission d’enquête de deux semaines conduite par son Vice-président Andrew Hsia 夏立言 (72 ans), ancien Président de la Commission des Affaires Continentales (2015 – 2016) et membre du Conseil municipal de Taichung, fonction dont il a démissionné à son arrivée en Chine.

A son départ, Hsia dont la délégation est composée entre autres de Lin Chu-chia (林祖嘉), président du Conseil des affaires continentales, de son adjoint Tai-hsien (鄧岱賢) et de Kao Su-po (高思博) Directeur du premier centre de recherches du KMT, avait indiqué que son voyage avait pour but d’échanger des vues avec les hommes d’affaires Taïwanais en Chine, mais que les contacts directs avec les dirigeants chinois étaient « moins probables ».

Sans surprise la nouvelle du voyage a provoqué une violente polémique. A l’occasion d’une réunion de son Parti, le 10 août, Tsai Ing-wen déclarait que « le voyage avait non seulement déçu les Taïwanais, mais pourrait envoyer un mauvais message de désunion des Taïwanais à la communauté internationale. »

A quoi Hsia a répondu que le voyage, planifié avant la crise des missiles, permettrait de prendre conscience des difficultés de la communauté d’affaires taïwanaise sur le Continent sur laquelle Pékin a augmenté ses pressions (lire : Pressions chinoises tous azimuts contre Taïwan et retours de flammes).

Mais selon une source interne au KMT, restée anonyme, la délégation a bel et bien l’intention de rencontrer les officiels chinois dont Zhang Zhijun, 69 ans, membre du Comité Central et de la Commission centrale des Affaires étrangères et Directeur du groupe dirigeant pour les Affaires taïwanaises (lire notre article : Nankin : une rencontre inédite aux conséquences incertaines).

Il reste que la visite sent le souffre dans toute la classe politique. Les critiques ne viennent en effet pas seulement de la mouvance Tsai Ing-wen. Lu Chia-kai (呂家愷), candidat KMT au conseil municipal de Nouveau Taipei, dénonçait le manque de légitimité d’une visite sans réel fondement politique « Hsia devrait clairement énoncer sa position avant le départ pour atténuer les inquiétudes du public. »

Il ajoutait sur un mode dramatique que « L’échange pourrait affecter l’avenir de notre Nation, au moment où la Chine mène des exercices militaires autour de Taïwan... Si la guerre éclatait, ce sont les jeunes qui devront se battre.

Note(s) :

[2Récemment, la République tchèque a vertement réagi aux menaces de Pékin ripostant au refus du maire de Prague Zdenek Hrib de céder aux pressions de l’ambassadeur de Chine qui, lors d’une réunion avec des diplomates étrangers, lui avait intimé l’ordre de faire sortir le représentant taïwanais. Lire : Le sénat tchèque à Taïwan. Pékin perd son calme. Le fossé se creuse entre l’Île et les Chinois.

[3Le « consensus » que Tsai Ing-wen ne reconnaît pas, découle d’une rencontre à Hong Kong (encore territoire britannique) en novembre 1992 entre les deux associations (l’ARATS - Association for Relations Across the Taiwan Straits - pour le Continent et la SEF – Strait Exchange foundation - pour l’Île) articulant de manière non officielle les relations entre les deux rives. (En lisant notre article datant du 2 février 2013, on constatera à quel point, en moins de dix ans, la situation s’est durcie : Un improbable traité de paix.)


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