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Les faces cachées des « Nouvelles routes de la soie ». Un défi pour l’Europe

Se méfier de la convivialité amicale.

Ce nouveau « découpage du gâteau » proposé pose donc un certain nombre de questions sur les intentions réelles de nos « amis » chinois et sur la défense de nos propres intérêts.

Ces derniers commandent de cesser de raisonner en termes de « B.R.I » ou de routes, pour revenir à quelques questions simples. Quelles opportunités ? Quels risques ? Comment défendre nos intérêts ? Le reste n’est que discours et ne sert qu’à brouiller et camoufler des intentions et des stratégies qui peuvent nous être préjudiciables.

La vérité oblige à dire qu’après plus de deux ans de promotion intensive, les grands projets commerciaux et industriels franco-chinois « B.R.I » sont toujours rares et peu conséquents. Non pas à cause d’un défaut d’initiative ou de maladresses de notre part. Mais tout simplement parce nos intérêts ne coïncident pas.

Les projets « B.R.I » ciblent en effet d’abord l’infrastructure des pays en développement, financés à 100% par la Chine, avec du matériel et des équipements exclusivement chinois et, souvent, de la main d’œuvre entièrement chinoise.

Ne nous voilons pas la face. Dans ce jeu de puissance, il n’y pas de place pour la convivialité amicale.

Le cas concret d’un Chinois à la FAO.

A côté d’une débauche financière quelque peu outrancière, tous les coups sont permis. La dernière élection avec 108 voix contre 71 à la tête de la FAO du candidat chinois Qu Dongyu (58 ans), biologiste de formation, vice-ministre des Affaires rurales et ancien n°2 de la province musulmane autonome du Ningxia, au détriment de la Française Catherine Geslain-Lanéelle (55 ans), ingénieur agronome et secrétaire d’État à l’agriculture, en dit long sur la capacité d’influence de Pékin.

Outre que la française fut victime d’une très hypocrite polémique intra-européenne, lancée par le Guardian fustigeant ses positions pro-OGM proches des Américains, sa candidature fut largement submergée par la prodigalité financière de la Chine à l’égard du continent africain auquel Pékin a promis 60 milliards d’investissements sans conditions politiques (lire : Chine – Afrique : De la quête des matières premières à la coopération. Sur fond de manœuvre géopolitique.).

Au cours de la campagne avant le vote, Pékin avait d’abord écarté la candidature du Camerounais Médi Moungui en janvier 2019, lors de la visite à Paul Biya de Yang Jiechi ancien ambassadeur à Washington et membre du Bureau Politique, en effaçant purement et simplement la dette de Yaoundé qui se montait à 1600 Mds de Francs CFA (2,5 Mds d’€).

Trois mois plus tard, à l’occasion de la visite à Montevideo du vice-premier ministre chinois Hu Chunhua, le chef de la diplomatie uruguayenne, Rodolfo Nin Novoa, annonçait que son pays soutiendra le candidat de Pékin. A la clé les promesses chinoises d’investissements dans la cadre de projets « B.R.I. ».

Résultat, écrit Emmanuelle Ducrot dans l’Opinion, l’élection a porté à la tête de la F.A.O « le représentant d’un pays qui défend bec et ongles ses intérêts dans les institutions internationales. Un pays en proie à de besoins croissants de nourriture et à une impossibilité à la produire lui-même. Ce besoin vital de sécuriser ses approvisionnements l’a conduit à acquérir massivement des terres – notamment en Afrique –, souvent au détriment des populations locales. »

La conclusion très amère de l’article pointe du doigt les conséquences d’un défaut d’influence de l’UE, notamment en Afrique « ceux qui ont boudé le menu raisonnable de Catherine Geslain-Lanéelle vont devoir maintenant avaler les couleuvres » (…) « C’est l’argent qui a fait la différence », résume-t-on à Rome, au siège de l’organisation.

Pire encore. Selon une source diplomatique citée par Le Monde, Pékin aurait appuyé son candidat par la corruption et le chantage. Le retrait du Camerounais Médi Moungui aurait été obtenu par un dessous de table de 62 millions d’€. Quant à Cuba, au Brésil et à l’Uruguay, ils cédèrent à la menace de la pléthorique délégation chinoise de plus de 80 membres de bouder leurs produits agricoles s’ils ne votaient pas pour Qu.

Les séductions chinoises et les intérêts européens.

Ne nous laissons pas non plus allécher par des chimères de propagande. Prenons le cas des nouvelles routes ferroviaires de la Soie. Est-il bien raisonnable de s’entredéchirer et de multiplier les concessions et les discours d’obédience à Pékin pour tenter d’attirer, vers des villes françaises des lignes ferroviaires de fret tellement subventionnées par le gouvernement central chinois qu’elles parviennent à acheminer des trains parfois en grande partie vides.

En arrière-plan de ce non-sens économique, l’une des plus grandes fragilités du système chinois qui reste le fonctionnement endogène de l’administration toujours articulée à la surenchère courtisane des bureaucrates en quête des faveurs et des subventions du prince.

A terme, le trafic ferroviaire s’adaptera à la réalité d’une demande commerciale et non pas aux éphémères tractations politiques. Quel que soit le nom pompeusement donné à la ligne, il est difficile d’imaginer qu’un container roulera jusqu’à Madrid si la destination initiale de son chargement est Duisbourg ou Strasbourg.

« B.R.I » est un défi auquel nous devons mieux nous préparer en clarifiant nos propres objectifs, en fortifiant nos alliances et en évitant de tendre la main avant d’avoir clairement compris les intentions de nos partenaires chinois.

Certains nous disent que la Chine est animée de bonnes intentions, qu’elle est trop puissante et que, par conséquent, nous n’avons rien à gagner à nous opposer à elle. Gardons cependant à l’esprit la brutalité de ses stratégies conditionnant – contre les règles de l’OMC - l’accès à son marché à des transferts de technologies à l’origine de copies concurrentes aux prix imbattables. Lire : Les faces cachées de l’ouverture commerciale chinoise. et L’innovation avec caractéristiques chinoises.

Au total, sans nier les vertus d’une coopération bien comprise, la vieille Europe a certainement mieux à faire que de chercher à se couler coûte que coûte dans les projets de Pékin. Et d’abord se mettre en ordre de bataille pour relever le défi des influences technologiques, industrielles et commerciales chinoises.

Le 30 septembre, l’Institut Mercator d’études chinoises « MERICS », publiait un article sonnant l’alarme du retard du Vieux Continent dans le secteur numérique où les groupes européens ne détiennent que 3% du marché asiatique des plateformes en ligne contre 27% à Tencent, Alibaba, Ant Financial [1]. Ce n’est pas tout.

Alors que les groupes européens sont à la traîne numérique, les Chinois se sont appropriés des actifs comme l’Allemand Kuka (lire : La nouvelle agressivité des groupes chinois à l’international mise en perspective.), le Suédois Volvo et le Suisse Syngenta (lire : ChemChina se paye SYNGENTA. Objectifs : progrès technologiques et modernisation des campagnes.), grignotant inexorablement les positions économiques de l’Europe dans le monde, depuis la chimie à l’automation en passant par le secteur spatial.

La tendance s’est clairement confirmée depuis le lancement des « Nouvelles Routes de la soie », par lesquelles la Chine exporte ses surcapacités et, construisant un réseau global de partenaires, se place au Centre d’un ordre économique mondial de plus en plus sino-centré, où le projet « Made in China 2025 » fonctionne comme un levier de captation de technologies en vue d’une autosuffisance complète et d’une domination du marché mondial.

*

Pour faire face à cette déferlante la Commission de J.C. Junker n’a pas été inactive. Mais sans une sérieuse et urgente mise en ordre de bataille collective, les efforts passés pourraient bien s’avérer à la fois insuffisants et trop tardifs.

La priorité est, disent les auteurs, de regrouper et de canaliser les initiatives stimulant l’innovation des États membres afin de répondre aux besoins de développement sur le terrain dans toute l’Europe. Les projets devraient appuyer la modernisation technologie favorisant transition industrielle à grande échelle.

A cet effet, il s’agit de favoriser l’innovation afin que les entreprises européennes tirent parti des avantages de la transformation numérique et restent compétitives dans les marchés émergents en Asie en mutation rapide.

En d’autres termes, disent les auteurs, il faut cesser d’agir de manière dispersée et regrouper le ressources publiques et privées pour cibler et stimuler de manière concertée les opportunités de développement innovantes sur les deux continents.

Cela permettrait également, ajoutent les auteurs, de promouvoir davantage les investissements de l’UE dans les pays partenaires, de mieux faire connaître les projets européens existants qui ne manquent pas de puissance, mais ne font, contrairement aux projets chinois l’objet d’aucune publicité.

L’idée de regrouper les efforts européens en canalisant les fonds et les initiatives privées et publiques est-elle un vœu pieux ? Ce serait probablement le cas si les pays européens étaient toujours assurés de leur prévalence globale. Depuis l’émergence, par des moyens parfois peu orthodoxes des concurrences chinoises tous azimuts, la donne change.

Certes il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Les séductions chinoises continuent à allécher l’Italie, les pays d’Europe Centrale et Orientale et nombre de pays en mal de capitaux et de débouchés. Mais le vent tourne. A son dernier passage en Europe, le président Xi Jinping a dû faire face à la cohésion inattendue de Paris, Berlin et Bruxelles. Lire : Face à Pékin, la solidarité hésitante de l’Europe.

Note(s) :

[1Alexandra-Andreea Pop est coordinatrice du groupe de travail au sein du département des affaires gouvernementales de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, chapitre de Shanghai.

Anne-Sophie Deman est analyste pour l’UE chez Hanbury Strategy, où elle dirige également le bureau de Bruxelles.


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Par Alain Bridoux Le 23/12/2019 à 19h17

Les faces cachées des « Nouvelles routes de la soie ». Un défi pour l’Europe.

Les Nouvelles Routes la Soie représentent une face du Soft Power Chinois. Cependant elles présentent aussi des opportunités de contrats d’équipement pour des sociétés Françaises comme Véolia, Vinci et autres. Elles offrent également des réductions de couts du frêt pour des sociétés Françaises produisant en Chine comme Safran.

Beaucoup d’Européens ayant travaillé en Chine sont navrés de voir les présentations des risques réels occultant les opportunités offertes.

Par ailleurs, les références aux invasions Mongoles accolées aux Nouvelles Routes de la Soie risquent de raviver à juste titre chez les dirigeants Chinois les souvenirs de certains comportements peu glorieux des Occidentaux au 19e siècle. En plus de l’amalgame historique douteux, cela ne peut que nuire aux intérêts des sociétés Françaises en Chine.

J’espère que ma critique d’un article érudit et intéressant par ailleurs permettra de susciter l’intérêt de sociétés Françaises à la recherche de débouchés en Asie.

Par La rédaction Le 25/12/2019 à 13h56

Les faces cachées des « Nouvelles routes de la soie ». Un défi pour l’Europe.

Cher Monsieur, merci de vos remarques. Vous avez raison, les sociétés comme Safran qui disposent de technologies que la Chine convoite sont, sur le marché chinois, dans une meilleure position que d’autres. La situation de chaque entreprise est en effet différente donnant l’image d’une complexité qui mériterait des longues analyses détaillées. La personnalité des acteurs et leur habilité sur ce marché traversé par de fortes rivalités entre les entreprises locales elles-mêmes constituent également des variables importantes.

Pour autant, s’agissant des routes de la soie il n’est pas tout à fait exact d’écrire que les articles de QC occultent la part des opportunités. Ils s’appliquent au contraire à rendre compte des situations en pesant tous leurs aspects. Par exemple, à propos de l’action de la Chine en Afrique ou en Grèce par le biais de nombreuses notes.

Lire à ce sujet : https://www.questionchine.net/l-afrique-la-chine-et-l-europe?artpage=3-4

Dans l’article ci-dessus, le § cité est partie d’un longue note qui présentait dans le détail et hors clichés, le voyage de Xi Jinping en Afrique à l’été 2018. Page 3, un paragraphe évoque les opportunités et la possibilité que la Chine réussisse en Afrique mieux que les Occidentaux.

Certes sur des sujets aussi vastes, les oublis et les défauts de perspective sont inévitables. Mais depuis plus de 15 ans, l’intention d’objectivité est notre ligne éditoriale invariable. Vous noterez par exemple que l’analyse sur les Chinois en Grèce, la p.2 revient sur les brutalités et les défauts de solidarité de l’Europe ayant pavé la route des succès chinois que nous présentons sans nuance. https://www.questionchine.net/en-grece-et-au-bresil-pekin-donne-le-ton?artpage=2-3

En Asie du Sud-est, notamment au Cambodge, force est de constater que Pékin se comporte en pays conquis ce qui allume des contrefeux plus ou moins vifs : https://www.questionchine.net/dans-le-sillage-scabreux-des-routes-de-la-soie. Remarquez cependant que, dans l’article ci-dessus, Jean-Paul Yacine s’applique à la perspective. Dépassant les manichéismes il propose un retour sur l’histoire de la longue immigration chinoise dans le pays. En dépit des fortes critiques anti-chinoises de la majorité des Cambodgiens, sa conclusion est réservée.

En Europe Occidentale où le concept des « Routes » n’a pas fait souche, le fait est qu’il existe une méfiance dont QC se borne à rendre compte. Au-delà, le site s’applique régulièrement à un effort de synthèse : https://www.questionchine.net/investissements-chinois-a-l-etranger-arret-sur-image

Autant que possible, il pèse « le pour et le contre » https://www.questionchine.net/wanda-group-et-cosco-deux-histoires-contrastees-revelatrices-des-strategies-de-pekin

Pour les affaires chinoises en France là aussi nous cherchons à présenter toutes les faces de la question. https://www.questionchine.net/les-ambiguites-de-la-france-en-chine (2018)

https://www.questionchine.net/investissements-chinois-en-france-mythes-realites-et-inquietudes (2016)

Dans l’article ci-dessus nous parlions des investissements chinois vertueux en France (entre autres : SUEZ et CLUB MED). En même temps, François Danjou évoquait avec plaisir l’implication chinoise dans la filière lait à Carhaix analysée sur un mode très positif. Il s’est trompé.

Hélas…Lisez à ce sujet l’article de La Croix 2, tout juste 28 mois après l’inauguration en grande pompe de l’usine de Carhaix. https://www.la-croix.com/Economie/France/Lait-piteux-echec-Chinois-Bretagne-2018-08-29-1200964762. La rédaction est maintenant confrontée à l’exigence de corriger l’optimisme de FD.

Enfin, avec en tête l’enseignement de Fernand Braudel, nous cherchons modestement à appuyer nos analyses ponctuelles et le suivi des événements sur des « soubassements » de longue haleine, culturels ou civilisationnels. F. Braudel en parlait une peu comme « les plaques tectoniques de l’histoire des hommes. »

Ainsi, au printemps 2017, à partir d’événements précis Jean-Paul Yacine a cru utile de faire le point sur l’intégration des Chinois en France, avec quelques évocations du racisme qu’ils subissent dont on parle habituellement très peu.

https://www.questionchine.net/le-long-chemin-d-integration-des-chinois-en-france

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