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Chapitre IV
J’entrepris quelques mouvements d’assouplissements et de décontraction, puis m’approchai des grandes baies vitrées pour admirer la vue. La tour Nanying, la Silver Tower, dominait la ville, au nord-est du troisième périphérique. Les locaux dans lesquels le général Faudrey nous avait momentanément logés étaient orientés sud-ouest et offraient donc théoriquement, de leur 26e étage, une vue saisissante de Pékin, de sa couche de pollution jaune et grisâtre et de sa circulation anarchique et débordante qui partait à l’assaut de chaque parcelle de route, de trottoir ou d’espace libre, comme les hordes de crabes aux pattes poilues vomis des grands lacs de l’est de la Chine à la saison des amours, avec la célérité des allées d’un parking de supermarché la veille d’un noël...
Chaque automobiliste essayait, dans un combat homérique de tous les instants, de niquer la voiture voisine ou de harceler les gros bus à la manière des mouches du coche, tandis que des vélos arrogants profitaient du moindre interstice entre les pare-chocs lancés au ralenti pour se frayer un passage, perpendiculairement au trafic, au mépris de tous les règlements, dans une immense corrida, jouée au ralenti, où tous les coups étaient permis, des plus risqués aux plus pendables... Le spectacle, vu du ciel, était phénoménal quand le temps était dégagé...
Ce qui n’était hélas, pas le cas pour le moment ; Un marchand de sable facétieux déversait largement des tonnes et des tonnes de grains arrachés aux dunes du désert de Gobi, sur une ville à la visibilité réduite à moins de cinq mètres au niveau du sol. Ce type de tempête s’abattait normalement durant les mois de mars ou d’avril et il était assez inhabituel de voir Pékin, ou plutôt de ne plus voir Pékin, si tard dans l’année, mais le niveau de pollution du ciel continuait inexorablement de se dégrader malgré les promesses incessantes, les communiqués de victoire d’un Bureau de l’environnement qui ne cessait de mentir et de grandes campagnes pour replanter un arbuste alors que de l’autre côté de la Chine, les chercheurs de profit tronçonnaient à qui mieux mieux tout ce qui pouvait ressembler à un arbre...
Le ciel avait les jolies couleurs d’un tube de néon sur la fin de sa vie et la ville se débattait dans une mélasse poisseuse qui collait à la peau et aux paupières en s’infiltrant dans les poumons à chaque tentative d’inspiration. Ce genre de poisse durait généralement deux à trois jours avant de disparaître...
Pékin s’enlisait dans cette glue sableuse... Notre enquête aussi... Et le dernier attentat faisait de la maison poulagat la risée de toute la ville. L’avantage, c’est que nous étions de plus en plus nombreux à nous partager les sarcasmes... Les précurseurs, les organisateurs de la visite du Président et sa garde rapprochée avaient déjà débarqué, histoire de nous prêter main forte...