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›› Editorial

Vue cavalière de l’année du Cochon. Perspectives du Rat

Technologies. Crispations et Rattrapages.

L’année du Cochon n’avait pas encore commencé quand le 3 janvier, le module Chang’e 4 s’est posé sur la face cachée de la lune, le 3 janvier 2019, dernier mois de l’année du Chien. C’était une première. L’exploit, compliqué par la nécessité de mettre en place un relais radio intermédiaire, a été salué par la NASA.

12 mois plus tard, l’année du Cochon s’est achevée par une série d’annonces sur les progrès rapides de la Chine dans les domaines de l’espace, des voitures et des trains rapides à conduite automatique.

Le 30 décembre, le retour opérationnel de la fusée Longue Marche 5 après les échecs de 2017, avec une capacité d’emport de 25 tonnes comparable à celle de la fusée européenne Ariane, a redonné au programme spatial chinois (exploration de la lune, station spatiale, exploration lointaine et système de positionnement spatial Beidou) le lanceur suffisamment puissant qui commençait à faire défaut.

L’autre avancée méritant attention est la mise en service d’un TGV Pékin – Zhangjiakou (site des JO d’hiver de 2022) à 250 km/h de moyenne sans pilote. Quant aux voitures sans chauffeur, la Chine n’est pas en pointe. 16e d’un classement sur 20 pays (la France est 13e), elle est loin derrière les champions que sont les Pays Bas, Singapour et les États-Unis.

Avant ces annonces de Xinhua, toute l’année du Cochon a été dominée par les déclarations chinoises sur la physique quantique et l’intelligence artificielle. S’agissant de l’intrication quantique des particules subatomiques, les progrès annoncés sont l’effet d’une coopération de chercheurs chinois avec l’Autriche, le Danemark et le Royaume Uni.

Quant à l’Intelligence Artificielle, la réalité est que le progrès chinois sont limités par une pénurie de talents (Yu Yifan jeune sino-américain au CV impressionnant). A l’étranger, son développement est gêné par les liens étroits du secteur avec l’État, à l’origine des soupçons d’espionnage. ». Lire : Intelligence artificielle. Mythes et réalités.

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En fond de tableau : la « guerre des microprocesseurs » et les stratégies de l’industrie chinoise pour combler son retard (lire : La guerre mondiale des semi-conducteurs.). Alors que le pays est le 2e marché mondial des semi-conducteurs, les entreprises chinoises sont absentes du secteur.

À l’heure actuelle, la Chine importe 84% de ses besoins en semi-conducteurs. 16% de ses semi-conducteurs sont produits localement, dont seulement la moitié sont fabriqués par des sociétés chinoises. « Made in China 2025 » vise, entre autres, à produire localement 40% des besoins en semi-conducteurs d’ici 2020 et 70% d’ici 2025.

L’affaire Huawei encourage la Chine à accélérer le développement de son industrie nationale des semi-conducteurs. Les sociétés nationales de ce secteur sont en partie exemptés de taxes. En même temps, Pékin recrute à grands frais des talents étrangers et structure aussi son industrie par des acquisitions d’acteurs locaux ou étrangers, sous l’égide du groupe public Tsinghua Unigroup.

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Mais désormais Américains et Européens se cabrent et résistent à l’internationalisation des groupes chinois. L’affaire Huawei est le principal symptôme des contrefeux occidentaux. Pékin riposte avec le plan « Mille talents » visant à faire venir ingénieurs, scientifiques et entrepreneurs, chinois ou non-chinois, grâce à de très grosses incitations financières.

La guerre des talents est bel et bien déclarée.

C’est bien ainsi que dans son style direct, semblant tourner le dos aux ambiguïtés et aux approches obliques chinoises, que Xi Jinping envisage l’avenir : une lutte existentielle. Ni plus, ni moins.

Tous les journaux chinois alignés sur Xinhua, repris par la presse internationale en avaient parlé : le 21 mai, le président était à Yudu, dans le district de Ganzhou, à l’est du Jiangxi pour commémorer l’épisode spectaculaire et mythique de la « Longue Marche » durant la guerre civile par lequel, selon la légende, le parti a échappé à sa destruction par l’armée de Tchang Kai-chek.

A cette occasion, alors que dans ses « tweet » et interviews D. Trump, qui exprimait l’intention de banaliser la querelle commerciale, ne cessait de priser son exceptionnelle relation avec Xi Jinping, ce dernier prononçait un discours appelant les Chinois à se préparer à participer à une « nouvelle longue marche : 我们正处于长征的起点, 以纪念红军开始其旅程的时间. 我们现在正在开始一个新的长征, 我们必须重新开始- Nous sommes ici pour nous souvenir de l’époque où l’Armée rouge a commencé son voyage et nous entamons une nouvelle longue marche. Nous devons tout recommencer ».

Concrètement, les tensions s’expriment aujourd’hui de manière féroce à travers la querelle autour de Huawei, fleuron du secteur télécoms de la Chine moderne, non enregistré sur les marchés boursiers et au capital opaque.

Huawei. Guerre ouverte. Xi Jinping hausse les enchères.

En pointe dans la compétition globale pour la 5e génération de la téléphonie mobile dont l’éventail des possibilités est encore en cours d’exploration – vitesse de téléchargement et variété des usages y compris dans l’industrie, la robotique, l’aménagement du territoire, la télémédecine, l’automatisation, le pilotage et la surveillance à distance, l’aménagement urbain et les transports (la liste n’est pas close) –, le groupe chinois accusé d’espionnage par Washington est porteur, avant ses concurrents directs Apple et Samsung d’une rupture capacitaire nette par rapport à la 4G, pourtant seulement en cours d’installation en France.

Pour autant, l’avance technologique de Huawei recèle pour l’instant le sérieux talon d’Achille de dépendre du système d’exploitation mobile Android fondé sur le noyau Linux et développé par Google.

Quel que soit l’angle de vue, la référence à la Longue Marche, cette épopée d’une année – octobre 1934 à octobre 1935 -, esquive stratégique meurtrière de 12 000 km ayant coûté la vie à plus de 90 000 militants et fidèles, constituait la plus forte dramatisation par le régime chinois de la vaste rivalité sino-américaine.

Fervent des discours sacrificiels faisant référence aux souffrances endurées par le peuple chinois durant le XIXe siècle et la guerre civile (lire à ce sujet : L’arrière plan sacrificiel et moral de la gouvernance chinoise.), Xi Jinping a, en évoquant la « Longue Marche », haussé les enjeux des mois qui viennent au niveau d’une lutte pour la survie du Régime. Faisant cela, il prend un risque politique interne.

Certains y voient la preuve d’une assurance, articulée à l’un des épisodes les plus emblématiques de l’histoire de la Chine moderne. Mais il est prudent de nuancer. A l’affichage de sérénité tranquille à laquelle sont rompus les porte-paroles, se mêle une inquiétude.

La réalité où on voit le n°1 chinois faire appel aux mânes maoïstes de la « Longue Marche » dans un discours qui, en filigrane, n’évoque rien moins que la survie du système, est tout de même que la partie chinoise exprime une angoisse face aux pressions de la Maison Blanche ciblant, non seulement un des plus emblématiques fleurons technologiques de la Chine moderne, mais aussi et surtout l’architecture même du système chinois où les affaires et la politique sont étroitement imbriquées. Lire : Guerre commerciale, rivalité d’influence. Huawei dans l’œil du cyclone.

Tels sont les enjeux technologiques et politiques pour l’année du RAT. Ils ne sont pas minces.


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